En juillet 2002, comme nous l’avons dit à votre journal, le premier assassinat public d’un citoyen par des terroristes maniant le sabre et la hache signalait la naissance de notre GIA. Nous vivons maintenant la situation qu’a vécue l’Algérie de 1992 à 1994. La rue est devenue hostile à tous ceux qui ne portent ni foulard ni barbe « afghane ». On n’en est pas arrivé au vitriol, mais c’est une simple question technique.
En même temps, Mustapha Ramid, porte-parole du groupe parlementaire PJD (islamiste « modéré ») au Parlement (42 députés), a usé de la tribune parlementaire pour jeter l’anathème contre les Marocains inscrits dans des écoles européennes, pour exiger l’arrestation des rockers accusés de satanisme, demander la fermeture des débits d’alcool et exercer des pressions sur les couples de promeneurs (illégitimes) dans les lieux publics. Ce climat, les démocrates algériens le connaissent bien. Il s’est installé sournoisement dans le pays à la faveur des tâtonnements du Pouvoir, de son inexpérience et d’une vision strictement sécuritaire du phénomène. Nous en payons le prix maintenant. Il ne faut pourtant pas oublier que les islamistes ont profité du vide politique et du manque total de confiance des jeunes dans leur pays, de l’écurement, de la misère et de la honte subie par les Arabes en Palestine et en Irak. Le Pouvoir a passé un accord avec les islamistes « intégrés ». On semble croire que la négociation directe avec des chefs corrompus évitera de se retrouver face à une armée de jeunes, pas prête à se laisser corrompre. Ces jeunes-là forment déjà la piétaille, la chair à canon. Dix d’entre eux viennent de se faire sauter au milieu de dizaines de citoyens paisibles à Casablanca. Face à l’avancée islamiste, les autorités ont longtemps balancé entre deux stratégies : éradiquer ou intégrer au jeu politique. Les deux démarches ont échoué. La présence des tribuns du PJD au Parlement n’a pas calmé leurs ouailles et on a attribué 10 ans de prison à des membres d’une présumée cellule dormante d’Al Qaïda sans la moindre preuve.
Curieusement, les attentats perpétrés à Casablanca ont ciblé des cibles identiques à celles qu’on avait prêtées aux « dormants » d’Al Qaïda. Apparemment, on a semblé vouloir nuire à l’Occident. Mais à l’heure actuelle, il n’y a que 2 victimes européennes sur 41.
Et on remarquera que 3 des cibles étaient des débits de boissons alcoolisées. Pendant que l’Etat change de politique tous les trois mois et invente de faux terroristes au besoin, les vrais terroristes investissent la société à la base. Le prosélytisme a atteint le hammam, le café, l’école, tous les espaces publics sont devenus des pépinières de redresseurs de tort.
On a reporté les communales pour éviter aux villes importantes (Casa, Tanger, Fès) de tomber aux mains des islamistes si elles se tenaient en juin comme prévu.
On les a donc reportées à septembre, ce qui équivaut à repousser le problème à plus tard.
Il y a deux commanditaires possibles aux cinq attentats qui ont frappé le Maroc, vendredi 16 mai.
Bien que ces commanditaires informels puissent, à l’occasion, être alliés ou servir de soutien logistique les uns aux autres. Si c’est la nébuleuse Al Qaïda qui a fomenté les attentats, nous avons affaire aux mêmes professionnels internationaux que ceux qui ont frappé Riyad il y a une semaine et qui possèdent fatalement une solide base logistique au Maroc. Ils agissent dans ou pour les mêmes réseaux que ceux de Ben Laden et peut-être en coordination avec lui. Pour eux, l’ennemi ce sont les régimes arabes compromis, l’Amérique, Israël et l’Occident.
Si l’affaire est strictement interne, même avec un soutien étranger, cela veut dire que les terroristes marocains sont maintenant en mesure de déclencher la lutte armée pour l’instauration d’un Etat islamique. Et dans ce cas, ils n’ont pas d’autre but que d’abattre le régime marocain. La rigueur avec laquelle ont été commis les attentats et leur minutage n’augurent rien de bon pour les temps qui viennent. Les trois suspects arrêtés sont marocains. S’il y en a eu vingt, il peut y en avoir vingt mille. Il y en a donc d’autres, perdus dans la nature, guettant leur tour de semer la mort. Les Marocains restent silencieux mais ils savent tous maintenant que leur pays dérive. Pour barrer la route à la terreur, on peut avantageusement tirer partie de l’expérience des autres pour éviter au moins de commettre les mêmes erreurs.
Amale Samie pour Le Matin, Algérie