Une cinquantaine d’individus ont été arrêtés mercredi au Maroc lors d’une importante opération visant des membres présumés de groupes djihadistes.
A une cinquantaine de mètres de l’hôtel Al-Farah, c’est l’empoignade entre des policiers et un groupe d’hommes politiques. Ces derniers, des responsables du Parti de la justice et du développement (PJD, islamistes modérés), sont venus constater de visu les dégâts matériels occasionnés dans le hall de cet hôtel du centre de Casablanca, après l’assaut d’un des cinq commandos-suicides, qui, vendredi soir, ont fait 41 morts et une centaine de blessés dans la capitale économique du Maroc. D’interminables négociations n’y feront rien : les forces de sécurité ont reçu la consigne de ne pas laisser passer ces islamistes à l’intérieur du périmètre de sécurité.
Malgré un naturel flegmatique, Lahcen Daoudi, député du PJD, explose de rage : « Tous les partis politiques ont pu venir sur les lieux des attentats. A nous, on nous l’interdit, sans explication. Pourtant, nous avons condamné ces actes terroristes, et les autorités savent parfaitement que nous n’avons rien à voir avec tout cela. Ces ignobles attentats insultent l’islam, une religion de paix et de tolérance. » A ses côtés, un autre parlementaire du parti renchérit : « Le pouvoir a même refusé de diffuser notre condamnation à la télévision nationale. C’est une façon abjecte de nous sataniser. »
Islamisation croissante. Le PJD est pour tant loin d’être un mouvement fanatique. Si ses dirigeants prônent un rigorisme des moeurs, ils ont depuis longtemps reconnu la monarchie, la démocratie et renoncé à toute violence. Surfant sur l’islamisation croissante de la société marocaine, et fort d’une image d’intégrité, le PJD s’est même pleinement intégré à la vie parlementaire du pays. Après avoir obtenu 9 sièges en 1997, il compte 42 députés - dont six femmes - depuis les législatives de 2002. Les observateurs les voient même favoris des municipales de septembre, où ils pourraient bien rafler de grosses municipalités comme Casablanca, Tanger ou encore Fès...
L’autre grande mouvance de l’islamisme marocain, l’association Justice et Bienveillance du Cheikh Abdelsalam Yassine, offre aussi une image de modération, même si le pouvoir marocain le maintient dans la clandestinité. « Ils sont marginalisés du fait de leur intransigeance avec certains principes », dit Aboubakr Jamaï, rédacteur en chef de l’hebdomadaire le Journal. « Par exemple, ils ne reconnaissent pas le roi en tant que Commandeur des croyants, une des bases de la Constitution. Dans la pratique, Justice et Bienveillance est un mouvement populaire très présent dans le tissu social et associatif. »
Carnage sans précédent. Les attentats terroristes de Casablanca ont toutefois fait voler en éclats l’idée que le Maroc était épargné par le fondamentalisme belliqueux. Dans l’histoire du pays, le carnage terroriste de vendredi n’a pas de précédent, si l’on excepte l’assassinat de touristes perpétré en août 1994 par des Franco-Algériens dans un hôtel de Marrakech. Cette fois-ci, les cinq attentats quasi simultanés ont été mis à exécution par 14 kamikazes, tous de nationalité marocaine, comme l’ont admis les autorités de Rabat. Ces dernières se basent sur les « confidences » faites par un terroriste survivant. « On s’était habitué ici à un islamisme non violent, légitimiste et légaliste. Cette conviction n’est désormais plus recevable », éditorialisait hier, le quotidien l’Opinion.
Les enquêteurs dirigent aujourd’hui leurs recherches en direction de diverses organisations radicales qui, ces derniers temps, ont commencé à faire parler d’elles. Il s’agit de certains imams intégristes du Jihad al-Salafi, qui ont pignon sur rue, ou du groupuscule Assirat al-Moustaqim, lequel a vu le jour à Sidi Moumen, un des quartiers les plus déshérités des faubourgs de Casablanca. Beaucoup font aussi mention des « Marocains-Afghans », ces islamistes qui sont allés combattre en Afghanistan contre les Soviétiques. Au printemps 2002, un certain Youssef Fikri - aujourd’hui en prison - du Assirat al-Moustaqim, avait assassiné un notaire à Casablanca. « Jusqu’ici, il ne s’était agi que de crimes de sang isolés, observe un diplomate. D’où le fait que personne n’y prêtait vraiment attention. »
« Faillite sécuritaire ». Ce qui n’empêche que, pour beaucoup, les attentats de Casablanca constituent une gifle pour la DST, les services secrets marocains tant vantés par le régime. « Cinq attentats à répétition dans la plus grande ville du pays, c’est une véritable faillite sécuritaire, estime Abou bakr Jamaï. Cela veut dire que les groupuscules suspects n’ont pas été suivis de près, ni infiltrés. »
La grande question qui agite aujourd’hui l’opinion marocaine, c’est de savoir si les actes terroristes de Casablanca sont dus à des « fous d’Allah » nationaux ultraminoritaires ou s’ils ont été planifiés par une organisation de type Al-Qaeda. S’il a reconnu que les exécutants étaient marocains, le gouvernement de Rabat y voit d’abord une main étrangère. « Ces attentats portent la signature du terrorisme international », a affirmé dimanche le ministre de l’Intérieur, Mustapha Sahel. Tout le monde ne partage pas l’hypothèse d’une planification extérieure. « Il est fort possible que Ben Laden ne soit pas étranger aux attentats de l’autre jour, dit un diplomate. Mais je crois aussi que ce pays a sécrété un intégrisme, certes ultraminoritaire mais très dangereux. ».
Libération.fr
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