Le droit à l’égalité dans l’héritage reste une équation à résoudre dans le cadre de la réforme du Code de la famille au Maroc. Les modernistes et les conservateurs s’opposent sur la reconnaissance de ce droit aux femmes.
Une peine de vingt années de réclusion criminelle a été prononcée, jeudi 12 février, par la cour d’assises de Seine-Saint-Denis à l’encontre d’Amer Butt, 28 ans, pour avoir tenté d’assassiner Chahrazad Belayni, 21 ans. L’ex-petit ami, qui l’a aspergée d’essence et transformée en torche vivante parce qu’elle refusait de l’épouser, a infligé à la jeune fille, le 13 novembre 2005 au matin, des stigmates indélébiles.
Il y a le côté gauche de ce visage grossièrement parcheminé, qu’elle voile de ses longs cheveux, et cette main décharnée, figée dans la douloureuse posture d’une serre d’oiseau. Sa panoplie de jeune femme moderne dissimule encore les chairs martyrisées d’un corps brûlé à 65 %, en grande partie au troisième degré.
Chahrazad Belayni est une miraculée. Un riverain, alerté par ses hurlements de douleur et de terreur, l’a sauvée en l’enveloppant d’une couverture. Mais la liste interminable des conséquences invalidantes de son agression dans sa vie quotidienne de fonctionnaire du ministère de la justice employée "à 80 %" sonne comme un crève-cœur.
Elle a pourtant presque vécu pire encore au cours des trois derniers jours de ce procès. Il lui a fallu entendre publiquement, même si ce fut pudiquement, la justice décortiquer les us et coutumes de sa famille à travers la question d’un mariage qui a abouti au drame. Une union désespérément souhaitée par Amer, et qu’elle a envisagée, puis refusée. Chahrazad la Marocaine et Amer le Pakistanais auraient volontiers tu le poids de leurs traditions familiales. Par la voie de son conseil, Me Samia Meghouche, – avocate de l’association Ni putes ni soumises, dont elle est devenue vice-présidente d’honneur –, Chahrazad avait sollicité le huis-clos. Il lui a été refusé. "M. Butt ne répond pas de faits d’atteintes aux mœurs qui donnent accès, de droit, au huis-clos", a rappelé le ministère public, suivi par la cour.
Prostré, tête baissée, implorant parfois le pardon
Entre dignité muette et sanglots de désespoir, Chahrazad s’est donc courageusement soumise à la publicité des débats, les fuyant lorsqu’ils ravivaient de trop douloureux souvenirs. Amer, est resté le plus souvent prostré, tête baissée, implorant parfois le pardon. La question de la sexualité du jeune couple a été soigneusement éludée. L’évocation par un expert-psychiatre du passage des deux jeunes gens dans un hôtel, fut immédiatement réfutée par l’avocate de Chahrazad, qui avait quitté la salle à cet instant. Amer s’est contenté d’évoquer les baisers et des "choses énormes" qui se seraient "passées" entre lui et celle qu’il "considérait comme sa femme".
Au point pour ce jeune employé qui ne roulait pas sur l’or d’avoir "confié" à sa belle une carte bancaire grâce à laquelle elle aurait dépensé environ 2 000 euros. La jeune femme n’a ni confirmé ni infirmé. Sans équivoque, la position de son père a été lue à l’audience, dont il était officiellement absent pour raisons de santé : "Ma fille est réservée, elle ne fréquentait pas de jeune homme à notre connaissance, elle savait que ça lui était interdit et que si c’était le cas, c’était pour se marier". Il a, pourtant, refusé à deux reprises d’accorder la main de Chahrazad à Amer.
Sa fille, M. Belayni a dit l’avoir déjà "donnée" une fois, à sa première épouse, stérile et installée en France avec lui depuis 1975. Il lui avait "promis un enfant" en échange de sa bénédiction pour le laisser, au Maroc, prendre une seconde femme, féconde.
"Il n’a pas voulu me donner le premier qui était un fils", a expliqué la belle-mère de Chahrazad au cours de l’enquête, dans un procès- verbal qui a été lu à l’audience. Le père a aussi gardé Rachida, la première fille née en 1986 "qui était bien costaude". Il n’a offert Chahrazad l’année suivante que parce qu’elle était "arrivée petite et l’air malade" et qu’il pensait "qu’elle allait mourir", a assuré sa première épouse, dont il est aujourd’hui divorcé. Celle-ci l’a élevée jusqu’à l’âge de 17 ans, avant que son mari ne rapatrie tous ses enfants, puis sa seconde épouse en France.
Devant la cour, Rachida, la sœur aînée venue voilée, a justifié le refus de sa famille aux deux demandes officielles d’Amer Butt : "Ma famille voulait que Chahrazad soit d’accord ", a-t-elle assuré. Rachida fut l’auteur des présentations entre Amer et sa cadette. Chahrazad, alors élève en classe de première, souhaitait effectuer un stage dans le magasin de mode où elle travaillait. Amer en était manager. Mais la sœur aînée Rachida a perdu sa langue et la mémoire quand il s’est agi de parler des rapports entretenus entre eux. Même silence au sujet de ceux qu’elle entretenait elle-même avec un jeune pakistanais ami d’Amer.
Le père d’Amer, lui, est venu assurer que la nationalité de la jeune fille que son fils tenait tant à épouser lui importait peu. Il jugeait Amer pas assez indépendant financièrement pour se marier. Son épouse, absente du procès, a, de son côté, arrangé pour son fils des fiançailles au pays, avec une de ses nièces. Il les aurait honorées durant sa cavale d’un an au Pakistan, après le drame. A l’époque, un témoin avait entendu la mère d’Amer espérer qu’"avec toutes ces voitures qui brûlaient en banlieue" , son geste passerait "peut-être inaperçu". Devant la cour, cet ami de la famille a dit ne plus s’en souvenir. Dans ce procès, il fut bien peu question d’amour.
Source : Le Monde - Patricia Jolly
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