Comme annoncé, l’aide prévue pour les familles marocaines dans le besoin sera versée par le gouvernement. Celle-ci devrait intervenir sous peu. Quel montant ? quand est-ce qu’elle sera versée ?
Difficile d’imaginer que pour répondre à l’appel d’Al Qaïda, de nombreux jeunes Marocains puissent traverser bien des frontières pour se rendre en Irak dans le seul but de s’y faire exploser. Pourtant, cette vérité est aujourd’hui prouvée. Sur la base d’informations relevées sur le terrain des combats par des soldats américains en Irak, nous nous sommes mis sur les traces de certains de ces nouveaux « harraga » qui sont partis exploser dans le pays de Saddam au nom de Ben Laden. Nous avons rencontré leurs familles qui nous ont parlé de l’incroyable histoire de ces kamikazes qui n’étaient pourtant que des jeunes comme les autres, avant de tenter l’aventure irakienne.
Début janvier, le Combating Terrorism Center (CTC), un organisme de recherche de l’académie militaire américaine de West Point, a publié sur le Net un volumineux rapport sur « les combattants étrangers d’Al Qaïda en Irak ». On y apprend que près d’une trentaine de Marocains se comptent parmi quelque 600 djihadistes de différentes nationalités s’étant infiltrés en Irak, le plus souvent via la Syrie, entre août 2006 et août 2007. Le document retranscrit (en arabe et en anglais) des détails impressionnants sur ces « agents d’Al Qaïda ». Il présente la plupart des agents recensés avec leur photo, répertorie leur identité, dont leur âge, leur situation familiale, leur pays d’origine et même dans la plupart des cas le numéro de téléphone de certains de leurs proches (la mère, le père et/ou le frère, l’oncle, la belle-mère...). Parmi les autres renseignements qui sont parfois donnés figurent notamment l’emploi tenu avant l’embrigadement et le bien ou l’argent légué par le candidat pour la branche d’Al Qaïda en Mésopotamie (Al Qaïda fi biladi arrafideine) : quelques dollars, une montre, un téléphone, une bague, un lecteur MP3...
En bas de la fiche de chaque « moujahid », la forme de son « djihad » est notifiée. Pour les recrues marocaines, la volonté de se transformer en bombe humaine est dominante à 91%. C’est clair que les Marocains qui intègrent les rangs d’Al Qaïda partent en Irak pour exploser.
Tous ces détails ont été révélés après l’exploitation par des chercheurs du CTC de données extraites des ordinateurs portables récupérés, en octobre 2007, lors d’un raid mené par l’armée américaine dans la zone désertique bordant la ville irakienne de Sinjar, à 10 kilomètres de la frontière syrienne. D’où l’intitulé du rapport américain : « Al Qaida’s Foreign Fighters in Iraq : A First Look at the Sinjar records » (Combattants étrangers d’Al Qaïda en Irak, premier regard sur les enregistrements de Sinjar). C’est grâce aux numéros de téléphone que ce document a donnés à travers le Net que nous avons contacté quelques familles de « combattants » marocains en Irak. Objectif : vérifier la véracité des données.
De Casablanca à Sinjar
La vingtaine d’appels téléphoniques que nous avons effectuée, nous confirme que la plupart des numéros publiés par les Américains sont justes. Nous relevons qu’il y a une forte concentration de « combattants » marocains partis en Irak sous la bannière d’Al Qaïda à Oulfa.
C’est dans ce quartier périphérique de Casablanca, habité surtout par la classe moyenne, que nous nous rendons en premier. Rendez-vous est pris, ce dimanche matin chez la famille d’un certain Idris Hajji. Nous n’avons eu aucun mal à retrouver la maison parentale où ce dernier habitait avant sa subite disparition. Le jeune homme était connu dans le quartier. Tous les voisins disent de lui qu’il était tellement sympathique.
Ce sont un père et une mère affables qui nous accueillent. Ils nous confirment que leur fils, Idris, qui devait avoir aujourd’hui 28 ans, est sorti le 19 septembre 2006 de la chambre qu’il occupait chez eux. Depuis, il n’est plus revenu. Avant de disparaître, Idris qui n’a jamais pu décrocher un emploi après avoir abandonné ses études au niveau du baccalauréat, avait demandé à son père un peu d’argent pour voyager à Marrakech et à Taroudant. Dans cette petite ville, il avait déjà séjourné dans une école coranique durant deux mois, plus d’un an auparavant. C’est à partir de ce moment que les parents ont remarqué que leur fils devenait plus rigoriste dans ses prières, mais sans devenir difficile. « Idris est resté le sportif élégant que nous connaissons, quoi qu’il se soit un peu plus entraîné durant le mois de ramadan que d’habitude, avant de partir », confie son père, la voix tremblante. Sa mère, en larmes, dit ne rien comprendre à ce qui s’est passé avec son fils. « Nous ne le privions de rien », assure-t-elle. Idris avait sa chambre à l’étage et avait aussi sa propre télévision et son propre récepteur numérique. Il était également un féru d’internet. Ses journées étaient partagées entre le sport, le cybercafé et les réunions entre jeunes dans le salon de coiffure du coin.
Quand Idris n’est plus revenu de son voyage, ses parents croyaient qu’il avait émigré clandestinement dans l’un ou l’autre pays européen. Jusqu’au jour où un étranger, avec un accent irakien, d’après le père, les a informés qu’il a été blessé en Irak. C’était le dimanche 6 novembre 2006 à 16 h. Ce jour-là, à 4h (du matin), Idris avait pourtant appelé (d’un numéro que ses parents disent provenir d’Afghanistan), assurant qu’il a « brûlé » sans dire où. C’est avec sa mère qu’il a parlé et au moment où cette dernière voulait le passer à son père, il a raccroché. « Ou il a été obligé de le faire », doutent ses parents. C’était les dernières nouvelles d’Idris jusqu’à la parution en ce début de janvier du rapport américain.
Toute sa famille, désemparée, ne sait plus quoi penser. Personne ne veut croire qu’il est mort et le document du CTC ne le précise pas non plus. Personne n’avait cru non plus que le jeune homme pouvait être un terroriste, même si son nom et sa photo figurent depuis avril 2007 sur la liste des personnes recherchées pour leurs liens avec des groupes terroristes par les autorités marocaines. Ce cas n’est pas le seul.
Le coiffeur devenu « martyr » Au quartier Oulfa, les cas connus de jeunes partis en Irak sont nombreux. « Une famille a même reçu la dépouille d’un jeune en provenance de l’Irak. Tout le monde dit qu’il s’était fait exploser là bas », révèle un habitant du quartier. Mais quand la question est posée sur l’un ou l’autre jeune figurant sur le dernier rapport américain, les langues deviennent moins déliées. Les témoins potentiels ont tous peur d’être mêlés à une enquête policière sur un sujet aussi grave que celui du terrorisme.
C’est avec grande difficulté que nous avons recueilli les témoignages, peu prolixes, de certains membres de quelques familles citées dans le document du CTC. Le plus édifiant a été celui du frère du coiffeur chez qui Idriss et ses amis se réunissaient. Il s’agit de Abderrazak Kounima, 28 ans lui aussi. Il a quitté Casablanca un mois avant Idris sous prétexte qu’il allait se rendre en Arabie Saoudite pour se faire un peu plus d’argent. D’ailleurs, c’est de là qu’il a appelé sa famille au mois d’août 2006 pour la rassurer. Mais, il n’a plus donné signe de vie depuis. Jusqu’au jour où un étranger, avec un accent moyen-oriental, a appelé le frère d’Abderrazak pour lui dire que ce dernier est décédé en « martyr » en Irak.
Des témoignages concordants vont nous révéler que d’autres « combattants » partis d’Oulfa à destination de l’Irak se réunissaient chez le coiffeur. Mais, ce quartier n’est pas le seul à avoir abrité des « combattants » marocains partis en Irak. Dans le quartier de Sidi Maàrouf (et là encore il ne s’agit pas de bidonville), Mohamed Sakoute, 30 ans, marié et père de deux enfants, a tenté la même mésaventure. Si Abderrazak est passé par l’Arabie Saoudite et Idriss par la Turquie, lui est parti via la Libye.
L’avis de Mohamed Darif, politologue
« Le rapport corrige la vision qu’on avait sur le Maroc » Les individus qui figurent sur le rapport américain du Combating Terrorism Center (CTC) ne sont pas forcément des membres d’Al Qaïda. Ils sont plutôt des individus, recrutés peut-être par des membres d’Al Qaïda, mais qui ont pour objectif de défendre l’Islam. Ce sont les responsables opérationnels qui sont par contre des membres à part entière de l’Organisation. Mais, en fin de compte, membres ou recrues, tous servent les intérêts d’Al Qaïda.
Par ailleurs, il faut souligner que ce rapport du CTC ne reflète pas tout à fait la carte des combattants étrangers en Irak. Car, il ne s’agit là que d’un seul groupe de recruteurs, celui de Sinjar. Et il peut y en avoir une dizaine d’autres en Irak.
En tout cas, le rapport reste intéressant, tant pour les USA que pour les responsables irakiens, pour corriger les données dont ils disposaient et qui ne reflétaient pas la réalité.
Cela permet aussi de corriger l’image qu’ils ont du Maroc qu’ils considéraient comme le principal fournisseur des combattants étrangers en Irak. Cette vision avait prévalu surtout après les évènements du 11 mars de Madrid. Le document américain montre que ce n’est pas vrai. Et que parmi les 26 noms de Marocains contenus dans le rapport, une minorité provient du Nord.
Oulfa, le bastion
Une bonne partie des Marocains partis en Irak pour le « djihad », provient surtout du quartier Oulfa. C’est le cas d’Idriss Hajji, Abderazak Kounima, Rachid Mouqtanie... Ils habitent tous pas loin du terminus du bus numéro 35.
Erreur
Le rapport du CTC se trompe sur la photo d’Abderazak Kounima. C’est son frère qui l’a affirmé en voyant ladite photo. Le vrai visage du « combattant » est celui montré dans la liste des recherchés lancés par les autorités marocaines au mois d’avril 2007.
Casablanca, Tétouan, Taroudant... Toutes concernées
Contrairement à ce qui se disait au Maroc, ce n’est pas Tétouan qui est la capitale des « combattants » marocains qui partent en Irak pour exploser, mais c’est bien Casablanca. Et elle n’est pas la seule concernée. Même la petite ville de Taroudant est aussi un nid pullulant de ces « combattants ». C’est de là qu’est parti Taher Aït Bella, 32 ans. Il travaillait dans une pâtisserie. « Mon frère a dansé avec nous dans une fête, je ne crois pas qu’il puisse se transformer aussi vite en terroriste », martèle sa sœur. Cette dernière a été informée de l’explosion de son frère en Irak par la voix (marocaine) d’un inconnu qui l’a appelée vers le mois d’octobre 2006 d’une téléboutique de Casablanca. Etait-ce le recruteur ? Nul ne le sait jusqu’à présent. Sur les 36 Marocains figurant dans le listing de Sinjar, 26 indiquent leur ville d’origine. Ce qui donne : Casablanca (65,4%), Tétouan (19,2%), Tanger (11,5 %) et Taroudant (3,8%).
Les Marocains de Sinjar ne sont pas les seuls
Le fichier de Sinjar nous apprend que parmi les combattants étrangers en Irak, les plus nombreux viennent d’Arabie saoudite avec 41% (parmi les 606 recensés). La Libye vient ensuite avec 112 combattants (18,8%), devant, dans l’ordre, la Syrie (8,2%), le Yémen (8,1%) et l’Algérie (7,2%). Le Maroc fournit 6,1% et la Jordanie près de 2%. Si 43 « combattants » proviennent de la Mecque, 21 viennent de Benghazi et 17 de Casablanca.
Si jeunes les « combattants »
L’âge moyen des djihadistes avoisine 24-25 ans. Le plus âgé a 54 ans. Le benjamin, un Saoudien de Taif, venait d’avoir 15 ans à son arrivée.
Le Reporter - Brahim Mokhliss & Mohamed Zainabi
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