Quand Adil Doukali a débarqué en Espagne, en 1998, il ne se doutait pas qu’il allait devenir, dix ans plus tard, le chouchou de la presse rose espagnole. Tout commence en août 2007, quand il tombe sur l’annonce d’un concours de beauté. “Mes amis et mon entourage m’ont encouragé à y participer”, raconte Adil, qui a toujours eu un penchant pour ce
genre de concours où il peut exhiber ses muscles et son corps poilu. Ce peintre en bâtiment de 33 ans a même posé pour des revues et reconnaît avoir un faible pour les caméras. Mais ses tentatives de célébrité demeurent sans grand succès. “Le concours Mister Bear représentait pour moi une opportunité à saisir pour me faire connaître”, explique-t-il. Sauf que cette compétition, loin d’être un étalage de masse corporelle ordinaire, récompense la virilité gay, pour rejeter, selon les initiateurs, l’étiquette d’efféminés collée aux homosexuels.
Mais Adil jure par tous ses dieux qu’il méconnaissait le but de cette manifestation. “En y participant, j’ignorais que le concours était destiné à la communauté homosexuelle”, se justifie-t-il. Et d’ajouter : “Sur l’annonce, il n’y avait aucune référence à l’homosexualité. Ce n’est qu’une fois sur place que je me suis rendu compte que la compétition était destinée à célébrer le mâle gay. Les organisateurs ne m’ont pas demandé de poser nu mais avec un dessous qui épouse la forme des parties génitales”. Adil ne se rétracte pas. Mieux encore : il remporte haut la main le premier prix. Mais pas seulement grâce à son physique. Le jeune homme a attiré les feux des projecteurs avec sa déclaration fracassante : “Je suis bisexuel, musulman pratiquant et j’espère retrouver la bonne voie, me marier et avoir des enfants”. Une bombe est lâchée.
Menace de mort
Le prix empoché ne dépasse guère 1000 euros, mais le succès est au rendez-vous. Au lendemain de sa déclaration, la presse à scandale s’arrache des interviews de la nouvelle icône de la communauté gay en Espagne. Pour elle, un héros est né. “Je suis un homme ordinaire qui est sorti de l’anonymat du jour au lendemain. J’ai toujours rêvé de célébrité et quand j’ai décroché le prix, toutes les portes se sont ouvertes”, confie Adil, surpris de cette notoriété. Il enchaîne les interviews, pose pour des magazines et fait même la couverture de titres gays, Hot Bears entre autres, une publication qui réfute le stéréotype de gay efféminé. Epaulé par une agence spécialisée, Adil est invité sur le plateau de “Dónde estás corazón”, une émission à scandale sur Antena 3, où son passage d’un quart d’heure a été négocié à 5000 euros par son agent.
Mais une grande surprise attend la nouvelle coqueluche des homos. Les producteurs de l’émission ont recueilli des témoignages à la sortie d’une mosquée en Espagne pour connaître la position des musulmans sur ce gay qui dit être des leurs tout en clamant haut et fort son homosexualité. Et le verdict n’est une surprise pour personne : les fidèles ont jeté l’opprobre sur Adil Doukali. “C’était un coup dur pour moi. La vidéo est parvenue à ma famille à Tétouan. Des proches et des voisins ont afflué en masse à la demeure familiale, munis de copies de l’émission. Cela a assommé ma mère, mon frère et ma sœur”, livre-t-il. Adil vit alors un véritable cauchemar et s’enferme chez lui pour fuir les ragots. “Même mes amis marocains les plus proches ont tissé des étoffes de mensonges à mon égard. Certains ont dit que je me prostituais et faisais du striptease lors de mes voyages en Italie et ailleurs. D’autres m’ont dit que si je rentrais au Maroc, mon frère laverait l’honneur de la famille en me tuant”, se désole-t-il. Avant de se défendre : “Je n’ai jamais dit que j’étais gay mais bisexuel et ‘mente libre’ (esprit libre). Je voulais montrer que tout en étant marocain on peut avoir des croyances propres et ne pas être coincé dans sa tête et son esprit. Je fais ma prière et Dieu est très présent dans ma vie”. Mais Adil ne convainc pas ses plus grands détracteurs et reçoit sur son site des menaces de mort de la part d’islamistes radicaux.
Un coup monté ?
Ses déclarations, contradictoires, lui valent également le rejet de ses pairs. Des associations gays sont montées au créneau pour dénoncer l’attribution du prix Mr. Bears à un bisexuel et le détrôner. “Ils ont réussi à m’empêcher de représenter l’Espagne au tournoi international qui a eu lieu à San Francisco”, affirme-t-il. Hué de toute part, Adil finit par lâcher prise. “Ma famille compte beaucoup pour moi, je leur ai promis, surtout à ma mère, de couper les liens avec le monde des gays”, confie Adil. Fuite en avant ? Selon lui, c’est de l’histoire ancienne. Et, à en croire sa version, cette histoire de bisexualité a été montée de toutes pièces par son agent, car l’Espagne est un pays qui aime les scandales, la plus courte voie vers le succès et la reconnaissance, lui a-t-on soufflé. Or, selon des sites et des magazines spécialisés, Adil se dit fier de ses penchants sexuels et admet devenir le porte-drapeau de la lutte des homosexuels au Maroc. Un discours qu’il édulcore, préférant plutôt mettre l’accent sur sa virilité nettement supérieure à celle des hétéros. Actuellement, il vit à Barcelone avec des revenus de peintre très confortables, jusqu’à 3000 euros par mois, et prépare un voyage à Cuba avec sa compagne. Regrette-t-il de s’être embarqué dans cette houleuse affaire ? Après un moment d’hésitation, il lâche : “J’ai sous-estimé la réaction de mon entourage. Les Marocains m’ont déshonoré. C’est mon grand regret”. Adil continue de nourrir des ambitions de gloire à la télévision ou au cinéma, berçant le doux rêve qu’un de ces jours, un réalisateur réveillera cet ours qui traverse une longue période d’hibernation.
Source : TelQuel - Amal Baba Ali