Elle enchaîne avec un premier rôle au cinéma, dans Parfum de mer, de Abdelhay Laraki. Aujourd’hui, elle est à l’affiche de Détention secrète (Rendition), film hollywoodien au casting prestigieux, tourné en partie à Marrakech et attendu incessamment dans les salles marocaines. Sa prestation dans ce thriller politique lui a valu les éloges des critiques, certains allant jusqu’à lui pronostiquer une nomination à l’Oscar du meilleur second rôle féminin… “Peut-être pas pour cette fois. Mais on ne sait jamais : à Hollywood, ils sont assez imprévisibles”, tempère la jeune femme, qui tente de garder les pieds sur terre. Le film, qui aborde le sujet sensible des programmes de détention illégale de la CIA dans le cadre de la lutte anti-terroriste, a suscité la polémique dans le pays de l’Oncle Sam. Il n’en est pas pour autant pressenti pour figurer au palmarès de la 80ème édition des Oscars, prévue pour le 24 février.
Parmi les grands
Un conte de fée, donc, qui commence forcément par un événement fortuit. “Un jour, mon prof d’art dramatique, Georges Bécaud, est venu me voir en me disant : ‘Zineb, il y a un casting et il est pour toi’”, raconte la comédienne. Et ça marche ! La Marocaine décroche le rôle et se retrouve transportée dans une autre dimension. Fini le Cours Florent. Direction les Etats-Unis et le Maroc, pour des semaines de tournage sur un plateau pour le moins relevé, aux côtés de Meryl Streep, Reese Witherspoon, Jake Gyllenhaal et le réalisateur sud-africain Gavin Hood.
Quelques mois après le tournage, c’est la tournée de promotion américaine, en décembre 2007. Entre suites de grands hôtels, séances quotidiennes de maquillage et journalistes qui défilent, la jeune Casablancaise prend de l’assurance et de la bouteille. Depuis, elle a rencontré Ridley Scott à Londres, passé un casting pour un rôle de James Bond girl (“trop jeune, pas assez espagnole”, regrette-t-elle). À Paris, celle qui semble promise à un bel avenir radieux croise Mohamed Lakhdar Hamina, le fameux réalisateur algérien (Chroniques des années de braise, 1975), Yamina Benguigui, avec qui elle a failli tourner le téléfilm Aïcha, rôle finalement décroché par Sofia Essaïdi, ou encore Rachid Bouchareb, le réalisateur d’Indigènes… mais l’actrice n’en dit pas plus sur ses prochains projets.
De foi et de désir
Pourtant, tout n’a pas été si facile. À commencer par des parents peu enthousiastes quant au choix de leur fille de suivre une carrière artistique. “Ils auraient préféré me voir médecin ou avocate, faire un métier plus classique. Du coup, ils ne m’ont jamais encouragée dans cette voie”, se souvient-elle, avant de poursuivre : “Ma sensibilité artistique s’en est retrouvée un peu étouffée. J’ai dû la protéger. Mais quand on a la foi et le désir, on y arrive. Je me suis jetée d’une falaise et, maintenant, il faut que j’apprenne à voler pour ne pas me casser la figure”. Aujourd’hui, c’est contre tout un système qu’elle estime se battre : “En France, ce n’est pas facile d’être Marocain et acteur, on nous fait constamment sentir qu’on est typé, arabe ou musulman. Mais je continue, parce que, de toute façon, si ma place est ici, je finirai par la prendre”.
De la détermination, et une certaine idée du cinéma. La jeune actrice dit avoir dévoré le cinéma européen, cite Antonioni, Mastroianni et Une journée particulière, Bergman et Truffaut. Idem pour le cinéma américain indépendant, Cassavetes et Dustin Hoffman. “Les Américains ont une technique que les Européens n’ont pas. Mais ces derniers ont autre chose, une émotion : Pénélope Cruz, c’est l’Espagne, et Sofia Loren, l’Italie”, poursuit-elle, se laissant aller à un patriotisme bon teint : “Si demain je suis une star, je serai une star marocaine”. L’avenir du cinéma ? C’est dans les pays du Sud qu’elle le voit : “Le Maghreb, l’Asie, les pays de l’Est… nous avons d’autres choses à raconter, une nouvelle vision. Les Américains et les Européens ont déjà tout dit.
Désormais, c’est au Sud que ça se passe”. Pas étonnant dès lors de la retrouver dans un film éminemment politique. “Avant de lire le scénario, je redoutais de retrouver un film typiquement américain, avec une vision stéréotypée et manichéenne des arabes. Finalement, je l’ai trouvé assez juste dans l’écriture, avec des personnages pas trop caricaturaux”, juge-t-elle. “En plus, ce qui a été formidable, c’était la confiance que m’ont accordée la production et le réalisateur. Cela m’a permis d’apporter ma touche au personnage”.
Un rôle de composition
Détention secrète raconte le parcours d’un ingénieur américain d’origine égyptienne, kidnappé par la CIA et détenu dans un pays d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient non identifié, et le combat de sa femme, qui fait tout pour retrouver sa trace et remonte aux plus hauts échelons de l’Etat. En parallèle, un analyste de la CIA découvre, pour sa première mission, une police secrète qui n’hésite pas à emprisonner en toute illégalité et torturer un homme sur la base de simples suspicions. Dans cet entrelacs de destins mêlés, Zineb Oukach incarne une adolescente arabe “qui veut devenir une femme, mais fait face à un conflit générationnel et culturel avec son père”. Et ce dernier n’est autre que le tortionnaire.
Driss Roukhe, autre Marocain au casting, parle d’un film “très différent du premier long-métrage de Gavin Hood, Mon nom est Tsotsi (Oscar du meilleur film étranger en 2005, ndlr)”. Un film “à la fois politique et psychologique, avec des personnages complexes”, explique l’acteur, qui avait déjà donné la réplique à Zineb Oukach dans Parfum de Mer. Il évoque justement “une actrice très professionnelle, qui arrivait sur le plateau dans la peau de son personnage, et gardait toute son énergie pour son rôle. Un rôle de composition, difficile, avec un personnage tourmenté”. Du sur mesure pour Zineb ?
Détentions secrètes : Le Maroc cité
Le film Détention secrète, dans lequel joue Zineb Oukach, entend dénoncer la procédure de “rendition”, instituée par Bill Clinton et renforcée par Georges W. Bush. Cette clause aurait permis à la CIA d’arrêter des centaines de personnes soupçonnées de terrorisme, avant de les déplacer et les détenir en secret dans différents pays, au mépris des lois internationales. “La CIA aurait envoyé des personnes vers l’Arabie Saoudite, l’Egypte, la Jordanie, le Maroc, le Pakistan et la Syrie, souvent en affrétant des avions loués à des compagnies écrans”, lit-on dans les pages consacrées à Amnesty International dans la note de production du film. L’ONG a également “reçu des informations concordantes faisant état de centres de détention secrets fonctionnant ou ayant fonctionné sous la direction des Etats-Unis en Afghanistan, à Guantanamo, en Irak, en Jordanie, en Ouzbékistan, au Pakistan, en Thaïlande et en d’autres lieux, en Europe et ailleurs, notamment à Diego Garcia, territoire britannique de l’Océan Indien”. “Certaines personnes sont ensuite réapparues dans des centres de détention officiels des Etats-Unis”, conclut l’ONG.
TelQuel - Jean Berry