C’est un film où rêve et réalité s’entrechoquent parfois, s’imbriquent d’autres fois, pour conduire enfin le personnage principal au bord de la perdition.
C’est la chronique d’un jeune marocain qui, après avoir décroché sa licence en littérature anglaise, rejoint la terre où la liberté n’est qu’une statue veillant à la sclérose de toute liberté de comportement. Le marocain se trouve astreint à se départir de sa culture, de son être, et tout retour vers les racines lui cause de graves problèmes avec un cousin complètement fondu dans la culture de l’Autre. Fondu et non pas dissous, car, en se comportant à l’américaine, le cousin se ridiculise, devient automate et donne l’exemple de l’émigré perdu qui n’est plus lui-même ni quelqu’un d’autre ; un être indéfinissable et sans identité.
Le goujat oblige Hassan, le jeune licencié, à travailler pour partager le loyer, il lui interdit de franchir certaines limites dans la même maison qu’il partage avec lui, l’oblige à maintenir l’ordre préétabli Pas de place pour l’invention dans ce monde, pas de place pour un autre ordre, veut-il lui apprendre dès le premier jour ; il n’y a que le conformisme qui règne et toute digression risquerait de lui coûter la vie.
Après la lutte contre la vie quotidienne, qui lui prend jusqu’à seize heures de travail par jour, Hassan se jette dans les méandres du monde hollywoodien où drogue, cambriolage, grivèlerie vont bon train. Un bourbier qui absorbe ses captifs sans pitié, les dénature avant de les recracher sans aspect.
Benchlikha excelle dans les détails de la vie quotidienne des immigrés des Etats-Unis qui assistent à l’évaporation de leur rêve et voient leur bonheur salopé, les gens de peu, les gens qui galèrent pour vivre, les gens qui ne trouvent que le vin rouge comme adjuvant pour s’éloigner de l’écrasement du monde Le réalisateur n’a pas besoin de suivre l’immigré toute la journée pour nous donner une idée sur sa souffrance, sur son affliction, c’est avec un geste de l’acteur, une grimace, un effondrement que le message nous touche profondément.
Benchlikha est aussi un bon directeur d’acteurs. Ceci se voit dans la manière dont il a orienté son acteur principal Abdessamad Naamad qui a excellemment joué son rôle. Le jeune acteur s’est trouvé certes dans le rôle, étant immigré aux Etats-Unis, et a découvert indubitablement son nouveau penchant mais il a été sûrement aidé en cela par la perspicacité du réalisateur.
On a l’impression que les deux héros ou antihéros (Benchlikha et Naamad) sont deux acteurs professionnels même si on sait que c’est leur première expérience. Cela n’est pas nouveau pour le cinéma mondial. Plusieurs acteurs ont montré, après une première expérience, qu’ils sont capables de jouer mieux que des professionnels. Mais il faut reconnaître que ce premier coup est, en partie, l’exploit du réalisateur. On a applaudi Nabil Ayouch dans Ali Zaoua parce qu’il a pu tourner un film professionnel avvec des acteurs non professionnels.
Le succès des deux acteurs de « Welcome to Hollywood » revient à leur fraîcheur. Ils n’ont pas fait du théâtre comme la plupart des comédiens marocains qui trouvent des difficultés à se débarrasser d’une démesure gestuelle. Ils se comportent naturellement devant la caméra et ne prêtent aucun souci à l’entourage.
Soucieux de ne pas violenter l’horizon d’attente des spectateurs, Benchlikha propose trois fins différentes pour son film et c’est à tout un chacun de choisir celle qui rime avec ses inclinations cinématographiques. Par ailleurs, ce qui a distingué le film, c’est cette capacité de faire découvrir toute une cité américaine à un spectateur assis sur son fauteuil au fin fond du Maroc. La caméra n’a pas cessé de se balader pour nous exposer, comme dans les descriptions balzaciennes, les recoins d’une ville, le comportement de personnes et nous permet par la suite de faire des correspondances.
« Welcome to Hollywood » est une heureuse naissance tant attendue par un public cinéphile marocain avide de renouveau.
Libération - Seddik Rabbaj