Ce dossier a traversé toutes les alternances politiques et a connu tant de revirements. Son arrivé au CCDH n’est pas le fruit du hasard, elle émane de plusieurs éléments dont la volonté royale. Une arrivée qui a réveillé, chez la plupart des CME, espoir et enthousiasme de voir enfin le lancement d’un processus de concertation et de consultation le plus large possible en se distançant clairement du clientélisme et du favoritisme. Elle a véhiculé chez eux un message symboliquement fort. Mais rapidement, cette instance que l’on disait neutre et objective est en train de soulever un profond sentiment de désolation et de méfiance et nous rappelle le défi perpétuel.
Pourtant, plusieurs acteurs actifs de la communauté marocaine de l’étranger se sont jusqu’ici abstenus d’émettre des critiques pourtant justifiées et légitimes sur l’attitude du CCDH, malgré son parti pris au profit d’une minorité agissante, des nominations prononcées sans aucun critère objectif et des déclarations irresponsables de certains de ses responsables. Car contrairement à ce que disent certains responsables du CCDH, il ne s’agit pas de « coïncidences de calendrier », mais de calcul partisan. Force est de constater en effet qu’on est loin d’un processus démocratique et transparent susceptible de conduire à une concertation et un dialogue sur des bases saines et claires. Au contraire, il semble que le CCDH a fait le choix de se défaire de sa neutralité et de devenir partie prenante. Une telle chose ne peut lui permettre d’honorer les principes qui justifient et fondent sa propre existence.
En somme, le vieil adage « l’habit ne fait pas le moine » prend toute sa valeur illustrative dans ce cas-ci. Une rencontre à Rabat, même avec l’implication du CCDH et la bénédiction de certains cercles, ne peut en aucune manière satisfaire au manque de consultation et de concertation pointé du doigt par les CME. La consultation est la clef de la réussite et c’est la mission que S.M. le roi a confiée au CCDH.
Cette retenue responsable avait pour seul but de ne pas compromettre cette initiative car malgré tout, la réussite de celle-ci est au-dessus de toute considération. Mais après quelques mois de silence, la proposition de la feuille de route qui part dans un projet de débats thématiques, occultant les questions de fond est venue décevoir plus d’un CME.
Faut-il rappeler en effet, que les thèmes proposés (Citoyenneté et participation, la femme émigrée, contribution des émigrés au développement humain du Maroc, etc.) ont été appréhendés à plusieurs reprises au cours des dix dernières années ? Une appréhension attestée par la multiplication des débats et d’ouvrages, au point que l’on peut parler d’exagération. Nombreux en effet sont les débats ayant eu pour objet le vécu de l’immigration et son apport économique et social. Or il ne s’agit pas ici de débattre sur l’interaction de cette Migration et son rapport spécifique et multiforme avec son pays d’origine, les résultats de ce genre de débats existent déjà en masse.
Il s’agit en effet de la forme du conseil, de ses objectifs et de ses prérogatives par rapport au Maroc et aux pays d’accueil, de sa composition et de son fonctionnement, des modalités de participation, de la compétence des candidats et leur nombre, de la parité hommes/femmes, du cas première/nouvelle génération, du quota par pays et par régions, de son statut vis-à-vis des autorités des pays d’accueil et des consulats du royaume, de l’utilité d’avoir des antennes dans les pays d’accueil et de la définition de leur rôle, etc. Tels sont les thèmes sur lesquels devraient être consultés les CME. Car les thèmes proposés, l’ouverture d’un site Internet et l’organisation de quelques consultations, comme celle qui vient de se dérouler aux Pays-Bas, sont propres à décrédibiliser et non à conforter la crédibilité nécessaire à l’entreprise engagée.
L’installation d’un conseil supérieur est importante aux yeux de l’ensemble de la communauté marocaine de l’étranger dont la réalité est multidimensionnelle. De ce fait, la problématique de son installation ne peut être abordée avec une approche thématique stricte. En effet, il y a, au delà de ces considérations, des aspects organisationnels, structurels, opérationnels et politiques fondamentaux qui confèrent à la question un caractère stratégique.
Cette perception doit en effet s’intégrer dans une approche non parcellisée mais plus large. Car elle ne permet, ni au niveau de la réflexion, ni au niveau de la pratique et de l’action, d’isoler ou d’occulter aucune de ses dimensions ou composantes.
Le CCDH doit se conformer au discours royal. Pour ce faire, il est nécessaire de repenser la feuille de route dont le contenu est peut convaincant et qui justifie la méfiance de nombreux acteurs actifs à l’égard de ce que sera le conseil supérieur. Un conseil qui devrait répondre aux multiples attentes de la communauté en mettant en place des mécanismes lui permettant de s’associer étroitement par une mobilisation de ses diverses composantes, dans le cadre d’une vision globale.
L’option à suivre et la structure à retenir doivent, me semble t il, partir d’abord de la priorité politique fixée, de l’objectif stratégique que l’on s’assigne, et de la place que l’on accorde à cette communauté. Tous ces facteurs méritent une attention particulière et nécessitent la mise en oeuvre de mesures spécifiques reflétant l’indépendance et le pluralisme du futur conseil.
Voilà donc où en est le Royaume avec ses CME. Exclus pour le moment du code électoral, les CME font face à l’installation du Conseil supérieur de la communauté marocaine à l’étranger qui s’apparente déjà à un forum d’amis privilégiés de certains membres du CCDH. Cette manière de faire risque de faire gâcher au CCDH tout le capital confiance qu’il a su cumuler par ses actions passées.
Said Charchira
Directeur du centre européen d’études et d’analyses sur la Migration