Le Parti de la justice et du développement (PJD), seul reconnu par le régime, a triplé le nombre de ses députés. Il est devenu la première formation de l’opposition.
Encore ces résultats officiels doivent-ils être pris avec précaution. Dès la clôture du scrutin, des rumeurs avaient circulé, faisant état de tractations entre le PJD et le pouvoir pour éviter un raz-de-marée des islamistes. Nombre d’analystes sont convaincus que le PJD représente aujourd’hui le premier parti politique au Maroc, loin devant les socialistes de l’USFP et les nationalistes de l’Istiqlal.
Cette poussée islamiste inattendue explique probablement la décision récente des autorités de reporter de juin à septembre les élections locales. Officiellement, il s’agit de mettre à profit le délai supplémentaire pour créer un "climat de participation populaire massive". L’explication est plutôt la crainte de voir tomber aux mains des islamistes des villes comme Casablanca, la capitale économique du pays, Rabat, Fès, Tanger - scénario noir qui fut celui de l’Algérie du début des années 1990. Heureuse coïncidence pour le Palais royal, des luttes de courants agitent aujourd’hui le PJD et menacent son unité.
La crainte d’une poussée islamiste est d’autant plus fondée que le PJD n’est pas l’unique force verte du royaume. Sous la houlette d’un ancien enseignant de français, le cheikh Yassine, une association islamiste existe (Justice et Bienfaisance) qui, depuis des décennies, laboure le terrain associatif. Aux yeux d’une partie des intellectuels marocains, Justice et Bienfaisance pèse davantage que le PJD. Entre les deux formations, les différences sont moins idéologiques que tactiques. Le PJD apparaît sur certains thèmes de société comme plus rigide que Justice et Bienfaisance. Mais tous défendent un modèle de société obéissant à la loi de l’islam. Des groupuscules imprégnés d’islam existent aussi mais leur travail est clandestin et on ignore leur poids réel. Ce sont eux que le régime combat avec le plus d’ardeur aujourd’hui.
Depuis plus d’une décennie, le Maroc a été épargné par les attentats terroristes. C’est le résultat du travail des services de renseignement. Il y un an, la DST marocaine avait démantelé une "cellule dormante" d’Al-Qaida, dirigée par trois Saoudiens, soupçonnée de préparer des attentats contre des navires de l’OTAN croisant dans le détroit de Gibraltar.
Des doutes sérieux avaient été émis à l’époque sur la véracité du projet. L’affaire est restée obscure et le procès qui a suivi n’a pas levé les doutes. Le projet d’attentat a néanmoins permis aux autorités de durcir considérablement la loi antiterroriste, au grand dam des organisations de défense des droits de l’Homme.
Face au "terrorisme international", le régime marocain n’a pas marchandé son appui aux Occidentaux, en particulier aux Etats-Unis. Récemment, un quotidien américain a révélé que Washington sous-traitait aux Marocains (ainsi qu’à d’autres Etats arabes amis) l’interrogatoire de terroristes tombés entre les mains des Américains. On n’est guère regardant sur les méthodes employées, dans le royaume, pour faire parler les suspects, expliquait l’article. L’information n’a jamais été démentie.
Parmi les prisonniers de Guantanamo figurent plusieurs Marocains. Et parmi les complices présumés des terroristes du 11 septembre 2001, on trouve le nom d’un Marocain, Abdelghani Mzoudi, incarcéré en Allemagne. Le parquet de Berlin vient de décider de le renvoyer devant les tribunaux pour "complicité de meurtres".
Jean-Pierre Tuquoi pour Lemonde.fr