Près d’un quart des potentiels bénéficiaires de l’aide au logement sont des Marocains résidant à l’étranger (MRE). Les inscriptions ont démarré le 1ᵉʳ janvier.
En créant une « business unit » spécialement dédiée aux Marocains du Monde avec rang de direction générale dans l’organigramme, le groupe Banques Populaires lance un avertissement à la concurrence. L’enjeu est stratégique pour la banque. Leader historique sur ce marché, le groupe tire 45% de ses ressources de dépôts des MRE.
Il capte également 1/3 des flux de transferts d’argent vers le Maroc. Hassan El Basri, directeur général des « Marocains du Monde » au groupe BP, assure que l’objectif est de consolider les positions actuelles et, à moyen terme, gagner 5 points de part de marché.
Sur le plan stratégique, que signifie la création d’une business unit dédiée aux MRE dans l’organigramme du groupe Banques Populaires ?
Permettez-moi de souligner d’abord que la réorganisation concerne toute la banque et pas seulement la structure chargée de « Marocains du Monde ». La démarche est beaucoup plus globale et dépasse le seul cadre d’une catégorie de clients. Dans ce changement, les « Marocains du Monde » ont été logés dans une « business unit » dotée d’une direction générale. Cette évolution traduit l’intérêt particulier à cette clientèle.
Pour le groupe, il s’agit aussi de muscler son organisation pour faire face à une concurrence de plus en plus vive sur le marché de l’épargne des migrants. Le marché des Marocains du Monde est aujourd’hui convoité partout par les banques des pays d’accueil. La plupart d’entre elles ont créé des structures spécialisées pour s’attaquer à ce marché. Les banques espagnoles, dont certaines sont nos partenaires, sont celles qui ont montré le plus d’agressivité en lançant des offres et en déployant des équipes commerciales qui ont en leur sein une forte composante de cadres issus de l’immigration. Cette offensive est un phénomène relativement nouveau.
Dans les années 70-80, les groupes bancaires européens n’accordaient que peu de places aux migrants dans leur stratégie. Cet intérêt soudain tient au poids économique et au volume atteint par les transferts financiers des migrants, intérêt relevé d’ailleurs par des organismes internationaux, notamment la Banque mondiale et les gouvernements des pays d’accueil qui considèrent que la fixation sur place de l’épargne des émigrés est un moyen de relever leur niveau de vie.
Votre business est-il affecté par cette offensive des banques des pays d’accueil ?
Bien sûr. Mais il faut la lire autrement. Comme disent les gourous de la stratégie, il faut transformer la contrainte en opportunité. La bancarisation des Marocains du Monde ne peut qu’être une bonne chose pour tout le monde, y compris les banques marocaines. Ce n’est pas possible de vivre dans un pays développé sans compte bancaire. Nous encourageons donc cette bancarisation des MDM car lorsqu’un client a à la fois un compte dans le pays d’accueil et dans son pays d’origine, les transactions en sont facilitées et l’impact sur le coût de transferts est immédiat. Et là, on touche une problématique que soulève régulièrement la communauté financière qui juge parfois ces coûts trop élevés. L’équation est mécanique : plus un client est bancarisé, plus les coûts de transfert baissent.
En France par exemple, 95% des MRE ont un compte bancaire alors que ce taux est moins important au Maroc pour cette communauté. Il est à un peu plus de 40%. Chez nous, malgré la diversité et l’extension de notre réseau, nous n’arrivons pas encore à bancariser tous les MDM. Cela rejoint ce que je disais plus haut : la bi-bancarisation ou la co-bancarisation qui est aujourd’hui un axe majeur de notre stratégie envers les Marocains du Monde. Il y a enfin la concurrence maroco-marocaine sur le marché des MDM. Toutes les banques dont les filiales des groupes internationaux mettent le paquet sur ce marché stratégique, qui brasse plusieurs dizaines de milliards de dirhams par an. Face à cette nouvelle donne, nous devrions faire évoluer notre organisation et notre approche. La création d’une business dédiée part d’une logique simple : gérer le marché et le réseau des Marocains du Monde de la BCP à l’agence au Maroc jusqu’au dernier contact de notre réseau en Europe. C’est une sorte de « filiérisation » du segment des MDM.
Combien de Marocains du Monde comptez-vous dans votre portefeuille clients ?
Nous gérons aujourd’hui 720.000 clients. Vu le taux de bancarisation de cette population au Maroc, le potentiel de croissance est encore important. 45% des ressources du groupe Banques Populaires proviennent de dépôts de Marocains du Monde qui viennent de franchir le cap de 60 milliards de dirhams dans notre réseau. Le groupe Banques Populaires détient aujourd’hui 55% des parts de marché.
C’est une position largement confortable qu’il nous revient de défendre et de consolider. C’est mon principal défi à la tête de cette business unit. L’objectif est de monter à 60 % à moyen terme.
Mais la concurrence ne peut que manger sur vos parts de marché. Pensez-vous que le gâteau va encore s’élargir ?
Je vous le concède, mais nous avons les moyens de nous battre et de nous défendre. Pour le reste, je pense que le marché ne peut que continuer à croître. Mon sentiment est qu’il y a à manger pour tout le monde, notamment dans les pays où les banques marocaines ne sont pas assez présentes comme l’Italie, l’Espagne, voire la Hollande et l’Allemagne. A elle seule, la France concentre 45% des transferts des Marocains du Monde vers le Maroc. L’Espagne, l’Italie viennent juste après. Il y a énormément des MDM non bancarisés, le phénomène migratoire continue et donc, nous pouvons encore prétendre améliorer notre position et pénétrer davantage ce marché en augmentant la bancarisation de cette population.
Il semble que les multinationales de transfert instantané vous grignotent des positions…
Ces sociétés de transfert sont très agressives grâce à une certaine souplesse qu’elles offrent, souplesse que n’ont pas toujours les banques. Cette flexibilité leur permet de capter une partie des transferts malgré des coûts très élevés. Elles ont une très bonne couverture territoriale et beaucoup de souplesse des horaires d’ouverture. Ces sociétés savent être là quand le client a besoin d’elles. Dans les situations d’urgence, la plupart des cas, les MDM s’adressent à elles. Leurs guichets sont ouverts le samedi et, pour certains, le dimanche alors que les banques sont fermées. Il va falloir s’adapter.
Que répondez-vous à ceux qui disent que les banques seraient utilisées comme des « séchoirs » de l’argent de la drogue blanchi dans le commerce…
Je ne le pense pas. Dans les pays européens, le dispositif anti-blanchiment est très efficace. Pour obtenir le passeport européen, c’est la première chose qui est passée au peigne fin par les autorités monétaires. Vous n’obtenez l’agrément que si votre dispositif de lutte contre l’argent sale est bien rodé. En plus, des contrôles et des audits sont fréquents pour s’assurer de son étanchéité.
Où va l’argent des Marocains du Monde ? Toujours dans l’immobilier ?
Les 3/4 des transferts sont destinés à l’aide à la famille restée au Maroc. De ce fait, les MDM constituent des acteurs de développement social du pays et sont donc, un facteur clé de l’équilibre social. Selon un organisme international, ces transferts ont fait baisser le taux de pauvreté de 4 points ces dernières années. 20% sous-placés en dépôts bancaires financent l’économie. Le reste est affecté à l’investissement immobilier.
Balayées, les craintes de l’avènement de l’euro
Il y avait beaucoup d’appréhension à l’avènement de l’euro : que les transferts se tarissent. Même un organisme international avait prédit aux banquiers marocains que ce marché allait connaître des jours difficiles, voire s’effondrer dans les mois qui avaient suivi la mise en circulation de la devise européenne.
Avec le recul, il n’en a rien été, au contraire, les envois des fonds des MRE se sont poursuivis à un rythme soutenu (59 milliards de dirhams).
Par grandes tendances, globalement, le volume d’envois baisse mais les montants moyens augmentent dans les pays à émigration ancienne comme la France, la Belgique et la Hollande. Cette évolution s’explique par l’avènement des troisième et quatrième générations qui sont plus intégrées dans les pays d’accueil et donc, moins enclins que leurs parents à envoyer de l’argent au pays. Celles-ci ont aussi une capacité financière supérieure à celle de leurs parents car certains ont grimpé dans l’échelle sociale et occupent des fonctions plus rémunératrices que les premières vagues des émigrés. Par contre, dans les nouveaux pays d’émigration, l’Espagne et l’Italie, les Marocains du Monde ont exactement le même comportement que les premiers migrants en France. C’est en quelque sorte l’histoire qui se répète. De ce fait, les montants se régénèrent.
Source : L’Economiste - Abashi Shamamba
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