Toulouse, paroles de clandestins

14 avril 2008 - 16h42 - France - Ecrit par : L.A

Il s’appelle Mohamed, il est Algérien. Elle s’appelle Amina, elle est Malienne. Il s’appelle Aziz, il est Marocain. Ils sont de ces clandestins qu’on nomme aujourd’hui « sans-papiers ». Ils ont quitté leur pays sans gaieté et se retrouvent illégaux à Toulouse. Quidams parmi des milliers qui grossissent les rangs d’une immigration clandestine dont le directeur départemental de la Police aux frontières, le commandant Christian Lajarrige dit qu’en région toulousaine elle est « plus d’installation que de passage ».

Mohamed, Amina, Aziz racontent les conditions de leur périple, le business des passeurs qui réclament en moyenne, selon Jean-Michel Fauvergue, le chef de l’Office central de répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi des étrangers sans titre, 15.000 € pour un Chinois ; de 4000 € pour les clandestins kurdes ou des pays de l’est ; 3000 € pour ceux d’Afrique subsaharienne. Mohamed, Amina, Aziz disent leurs espoirs, parlent de leur vie actuelle, hors la vie, dans la crainte d’un contrôle de police et d’une reconduite à la frontière. Fantômes de la République, ombres dans la ville. Clandestins de la vie.

Mohamed : « Je peux être utile à la France »

De sa vie d’avant, en Algérie, Mohamed ne conserve que de bons souvenirs. « J’étais transporteur routier. J’acheminais de la limonade de Béchar au désert. J’avais du travail, mes parents ont une petite maison à Oran… » En 2006, son petit frère, en quête d’une vie différente et de plus d’autonomie, « mal influencé par ses copains », échafaude un plan pour « quitter le bled ». Mohamed, de huit ans son aîné, décide de partir avec lui. « Pour le protéger ». Le but : rejoindre par bateau les côtes espagnoles. Ils effectuent la traversée cachés dans la cale d’un bateau de pêche. Moyennant 900 €, le patron n’a pas résisté longtemps. « Certains se sont fait choper à l’arrivée en Espagne, sur la plage », se souvient Mohamed. Avec son frère, ils passent les mailles du filet et c’est à pied qu’ils s’échappent, gravissant la montagne qui surplombe la mer, de ce côté d’Alméria. Un bus plus loin, en douce, direction Barcelone… Un autre pour la France…

« Nous ne sommes que des humains »

D’Avignon où il a quelque famille à Paris, de Lille à Lyon, de Marseille à Toulouse où il vit depuis trois mois, Mohamed a toujours bossé. L’entreprise de nettoyage où il marnait tôt le matin, dans le 3e arrondissement de Paris, l’aurait sans doute titularisé si elle n’avait pas découvert son statut de clandestin. Lors d’un contrôle policier, Mohamed a donné l’identité de son frère, régularisé et sans histoires. Empreintes digitales, tests ADN : il vit dans ce dédoublement constant de personnalité : « J’en oublie même ma date de naissance. Par réflexe, si on me la demande je donne celle de mon frère. » Se cacher toute sa vie ? Mohamed ne sait pas comment mais brûle de « sortir de cette galère » : « Je n’attends pas de vivre du chômage ou du RMI. Je peux être utile à la France. » En attendant, il vit dans un minuscule appartement toulousain loué sous le nom de sa copine. Travaille en intérim sur les chantiers, et sur les marchés, grâce à une fausse carte d’identité et une fausse attestation d’assurance maladie. Et puis Mohamed voudrait changer les regards des autres sur lui et ses semblables : « On croit que les clandestins sont des extraterrestres, des SDF. Nous ne sommes que des humains. »

Des mois dans une caisse pour apprendre à rester immobile

Né au Maroc en 1970, Aziz est arrivé en France en 1974 avec ses parents et ses frères et sœurs. Tous ont obtenu la nationalité française. Tous sauf lui, en raison d’une erreur administrative, dit-il. Aziz a un passé de petit délinquant : 14 condamnations qui plombent son casier judiciaire et lui ont valu deux expulsions. Et deux retours en France dans la clandestinité, pour voir ses trois enfants qui vivent avec leur mère dont il est séparé.

Deux ans après sa première reconduite à la frontière, Aziz était en effet revenu en France. Par Sebta, l’une des deux enclaves espagnoles au Maroc. « Tout le monde connaît tout le monde là-bas. Je suis rentré à Sebta en voiture avec des prostituées qui y vivent. Le douanier a regardé mon passeport… C’est passé », explique-t-il sans fierté. Aziz rejoint Algésiras, à côté de Gibraltar, par bateau. Sur le continent, il prend le premier bus pour Madrid, puis Barcelone où des amis viennent le chercher. A Toulouse, dénoncé « par un ami de 30 ans », il est à nouveau renvoyé au Maroc.

En 2007, il revient par Nador et Mellila. « Pour les Noirs c’est l’enfer : là-bas ils vivent dans les égouts, ils sont rackettés par la police. J’ai vu un black tiré à bout portant dans la joue par la police… » Planqué dans une camionnette à bord d’un bateau, Aziz a refait la traversée. « Je suis resté là pendant six heures, immobile. Pendant un an je m’étais entraîné à tenir dans une boîte sans bouger ».

Un an et demi d’enfer pour arriver du Mali

Aujourd’hui Amina regrette. Pas tant par nostalgie de son Mali natal qu’en raison de sa pauvre vie actuelle, pauvre et cachée. Amina a 31 ans, vit à Toulouse depuis huit mois ; en France depuis deux ans. Elle est partie de Bamako en février 2005. Son frère Badou, lui, avait emprunté quelques années plus tôt les voies maritimes, en cabotant le long des côtes du Sénégal et de la Mauritanie dans ces pirogues improbables qui voient en les Canaries la porte du paradis. « Je ne sais pas ce qu’il est devenu », lâche-t-elle tristement. Elle, a choisi la voie terrestre. Fuyant un chômage endémique - « les diplômes maliens ne valent rien, les entreprises préfèrent les diplômés étrangers », explique-t-elle - Amina a donc tourné son regard vers la France. « Pour la langue. Parce que je croyais au pays des Droits de l’homme… »

Sa famille a vendu presque tous ses biens pour réunir l’équivalent de 4000 €. De quoi payer les passeurs. Après l’Algérie qu’elle traverse sur une petite portion, les affaires se compliquent au Maroc. « Ils n’aiment pas les clandestins. Quand on est noir, ils ne font aucun cadeau. Il y a eu des violences… » Avec une vingtaine de compatriotes, Amina est restée des mois coincée au Maroc. Avec « la peur du viol, la peur de se faire frapper, la peur de mourir ».

Dépouillée du reste de ses économies, elle ne devra son « visa » pour la France qu’à la confusion qui règne à l’embarquement du bateau qui la mènera de Tanger aux abords de Malaga. Amina rejoindra la France en bus. Elle vit de miséreux « salaires » au noir, pour des travaux de ménage. « Ça ne valait pas la peine, tout ça, dit-elle. Mais au moins, je suis toujours vivante ».

Source : La Dépeche.fr - J., L. D., C.

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Sujets associés : Immigration clandestine - France - Toulouse - Nicolas Sarkozy - Expulsion - Régularisation

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