Terrorisme : le plan d’alerte du Maroc

19 juillet 2007 - 01h15 - Maroc - Ecrit par : L.A

L’alerte est maximale : forces de sécurité, offices publics, entreprises privées..., tout le monde est mis à contribution. Procédures de contrôle très strictes dans les ports, aéroports, gares, rail et secteurs stratégiques. Le danger vient des camps d’entraînement d’Al Qaïda dans la région du Sahel.

Samedi 7 juillet, 22h. A Agadir, sur la place Al Amal, 120 000 personnes scandent les mélopées du groupe mythique Nass El Ghiwane. C’est la soirée de clôture de la quatrième édition du Festival Timitar. L’ambiance est bon enfant, le public est transporté. Les organisateurs, eux, sont fébriles et les services de police affectés à la sécurité du festival sont sur les dents. La crispation est visible sur les visages et la foule fourmille de policiers en civil. La crainte ?

Celle qui, depuis des mois, occupe l’appareil sécuritaire national et inquiète population et opérateurs économiques : la survenance d’un acte terroriste. La veille, et à la suite d’une réunion sécuritaire élargie à l’ensemble des corps concernés, un communiqué du ministère de l’intérieur a fait état de la décision de relever le niveau d’alerte de « orange » (niveau 2), qui prévaut depuis le mois de février déjà, à « rouge » (niveau 3, maximal).

Patrons et sécuritaires autour d’une même table

Fort heureusement, la soirée de clôture du Timitar IV se passera sans incidents. Mais l’inquiétude reste de mise et les responsables gouvernementaux, après avoir communiqué sur la hausse de la menace, décident de continuer à jouer la transparence et même plus : l’appel à la mobilisation et la coordination accrue. Lundi 9 juillet, à 17 heures, un aréopage de personnages, plutôt inédit, se réunissait dans les locaux du ministère de l’intérieur pour discuter du sujet : si la présence des responsables sécuritaires* pouvait être considérée comme allant de soi, celles de Noureddine Omary, président de la BCP, de Moulay Hafid Elalamy, président de la CGEM, de Abderrahim Oumani, président de la Fédération des hôteliers, de patrons d’offices publics (ONDA, ONE, ONCF) ou d’agences (port, régulation des télécoms), ou encore celle d’opérateurs de téléphonie étaient pour le moins incongrues dans une réunion dédiée à la lutte contre le terrorisme.

Objectif de la réunion : expliquer aux acteurs privés les grandes lignes du plan de sécurité envisagé, leur demander de rehausser leur niveau de vigilance et faire en sorte que les actions des uns et des autres soient complémentaires. Une première dans l’histoire du Royaume, où la sécurité a toujours été parmi les champs les plus opaques de la communication de l’Etat. En un mot, une entraide mutuelle dans un contexte où l’occurrence d’un acte terroriste est qualifiée de « très élevée ».

Cette « alerte rouge » est définie, selon la classification du ministère de l’intérieur (voir encadré), par trois éléments : soit qu’un groupe terroriste bien identifié ait exprimé explicitement des menaces d’actes terroristes envers le Royaume, soit qu’un ou plusieurs éléments projetant des actes terroristes soit suspecté d’être présent sur le territoire national, soit encore que des personnes sur le point de passer à l’acte aient été interceptées.

Pourquoi le niveau d’alerte maximale

Le relèvement du niveau de vigilance laisse cependant perplexe. Au moins l’un des trois éléments justifiant le niveau rouge a été observé au cours des trois derniers mois, pourquoi alors le passage maintement à la mobilisation extrême ? Aurions-nous échappé de peu à un attentat de grande ampleur ? Quelle est la nature de la menace ? Est-elle endogène, exogène ou les deux ? Sur le premier point, les responsables sont très précis : il n’y pas eu de tentative avortée.

En revanche, les réponses à la deuxième et à la troisième questions soulèvent encore plus d’interrogations. Pour la nature de la menace, et jusqu’à l’heure où nous mettions sous presse, aucun élément d’information ne permettait de dire si la forte probabilité d’un acte terroriste revêtait la forme d’un attentat-suicide ou d’un attentat tout court. Quant à son origine, de source autorisée, La Vie éco a appris que l’option d’une opération montée en interne, à l’instar des tentatives ratées, déjouées, ou sans but apparent survenues en mars et avril derniers, du fait de kamikazes marocains, était écartée. En somme, le danger vient de l’extérieur. Mais encore, le maillon d’exécution sur le territoire national est-il local ?

Pas de réponse mais une certitude de taille.

Si, auparavant, l’arrière-base de préparation était européenne, puis locale, cette fois-ci, la menace vient du Sud, et les soupçons pèsent sur des camps d’entraînement de l’organisation Tandhim Al Qaïda fi bilad Al Maghrib Al Islami (ex-GSPC : Groupement salafiste pour la prédication et le combat) basés au Mali. L’affirmation coïncide avec des événements survenus quelques jours avant le relèvement du niveau d’alerte. Le 26 juin, en effet, la police espagnole mettait la main sur trois Marocains, recherchés par le Maroc depuis près de 18 mois et à l’encontre desquels un mandat d’arrêt international avait été lancé. Selon les informations qui avaient filtré quelques jours après, les trois terroristes présumés étaient à la recherche d’activistes pour les envoyer subir un entraînement dans la région du Sahel, en vue de commettre des attentats au Maghreb.

Deux jours après, et selon la presse française, les services de sécurité français, ont averti le Maroc que des préparatifs pour conduire des attentats terroristes en Algérie et au Maroc avaient atteint un niveau avancé. L’Union européenne a également pris le relais, début juillet, en parlant d’une très grande probabilité d’attentats au Maroc. Enfin, la rencontre non programmée, le 3 juillet à Paris, entre Mohamed Benaïssa, ministre des affaires étrangères, et son homologue israélienne, Tzipi Livni, avait de quoi étonner : pourquoi un voyage éclair à Paris, pour rencontrer un responsable gouvernemental d’un pays avec lequel le Maroc a rompu ses relations diplomatiques ?

Selon notre confrère Al Ahdath Al Maghribia, la rencontre a également réuni des responsables sécuritaires qui, du côté israélien, ont fait part des tentatives de groupes djihadistes de s’infiltrer au Maroc à partir de l’Algérie et de la Mauritanie, de même que le quotidien affirme que les informations européennes et israéliennes font état de la présence probable de 11 agents d’Al Qaïda au Maroc !

Le danger est-il à ce point imminent ? Si le ministère de l’intérieur qui ne confirme ni ne dément, reste discret, invoquant des raisons de confidentialité, les informations rapportées collent parfaitement avec celle, donnée par le même département, d’une menace venant du Sud, et expliquent le renforcement de la surveillance militaire au niveau des frontières sud et est, avec l’Algérie et la Mauritanie. Une surveillance qui a, pour le moment, permis l’arrestation, dimanche 8 juillet, à Oujda, de 13 Syriens entrés illégalement au Maroc en passant par la frontière algéro-marocaine. Immigrants clandestins ? Difficile de le croire, à l’heure où les voies du hrig se sont déplacées, depuis un an déjà, du nord-est du Maroc vers la côte atlantique (Sud marocain, Mauritanie, Sénégal) d’où partent chaque jour des embarcations à destination des Iles Canaries.

Routes, ports, aéroports, installations stratégiques sont sous haute surveillance

En tout état de cause, et depuis une semaine, c’est une gigantesque opération logistique de prévention du risque terroriste qui s’est mise en branle. Fait nouveau, non seulement ce sont les forces de sécurité qui sont passées à un niveau d’alerte supérieur, mais également les principaux départements ou offices gérant des activités stratégiques, les hôtels et lieux de loisirs, les magasins de grande distribution... et les entreprises elles-mêmes (voir infographie en page précédente).

Le raisonnement qui sous-tend cette mobilisation multi-acteurs est limpide : l’Etat, à travers ses différents corps de sécurité, contrôle un flux de personnes et de marchandises, mais il ne peut s’acquitter de la tâche à lui seul. Il revient aux autres acteurs institutionnels de déployer des moyens humains et matériels pour assurer partiellement - ou totalement - leur propre sécurité et celle des citoyens, qui pourraient être mise en cause du fait du sabotage de leurs activités (exemple : transport, fabrication de produits chimiques, production d’électricité, transport de carburant...), et assurer la continuité des services publics. C’est ainsi que, depuis samedi 7 juillet, l’Office des aéroports a imposé un contrôle plus strict des passagers et des bagages en se livrant à la fouille par palpation d’un passager sur deux et en passant systématiquement les bagages au scanner.

Ce même samedi 7 juillet, l’ONCF a décidé de généraliser la présence d’agents de maîtrise et ceux de police ferroviaire dans tous les trains en mouvement, d’activer la vidéosurveillance 24h/24 dans les trente principales gares du Royaume et d’embaucher des agents de sécurité privés pour surveiller les abords des stations, alors que l’Office national de l’électricité avait relevé son niveau de contrôle sur plus de 173 sites, avec une attention particulière aux 50 les plus névralgiques. Dimanche 8 juillet, l’Agence nationale des ports s’y mettait en contrôlant sévèrement le flux des personnes circulant à l’intérieur des enceintes portuaires, imposant des déplacements limités aux marins et exigeant des navires d’être prêts à lever l’ancre, en cas d’urgence, dans un délai maximum de deux heures.

Le département de l’énergie et des mines, lui, qui dispose déjà d’une cartographie des risques et d’un plan de sécurité multi-niveaux, a également pris les mesures pour protéger les 34 centres emplisseurs de gaz ainsi que les dépôts de stockage (vrac et embouteillé) et hydrocarbures. Une circulaire a été émise à l’attention des opérateurs privés pour leur demander de s’équiper en moyens supplémentaires de surveillance. Enfin, dans l’hôtellerie, la grande distribution, les lieux de loisirs et les entreprises en général, le recrutement d’effectifs de gardiennage et de surveillance bat son plein.

Et pour les forces de sécurité ? A l’heure où nous mettions sous presse, un effectif de 2 000 personnes supplémentaires avait été affecté à la surveillance des ports, gares routières, aéroports et frontières pour limiter au maximum le risque d’intrusion d’éléments dangereux et à l’observation active des lieux d’attentat potentiels.

En fin de compte, si le risque zéro n’existe pas, il semble que tout a été fait pour atténuer de manière substantielle le risque d’un acte terroriste. Reste une question sans réponse : le niveau d’alerte maximal se justifie-t-il ? En dehors de la présence avérée ou non d’activistes sur le territoire national, la conjoncture incite à la prudence extrême : en cette période estivale, ce sont 3 millions de personnes (10% de la population) qui sont mobiles quotidiennement, 25 000 voyageurs qui, chaque jour, prennent un avion ou en descendent au niveau des 28 aéroports actifs en la matière, 75 000 passagers qui empruntent le train, ce sont, enfin, des millions d’autres qui circulent en voiture, taxi et car, vont à la plage, s’attablent dans les cafés. Croisons les doigts...

* Chakib Benmoussa, ministre de l’intérieur, Fouad Ali El Himma, ministre délégué à l’intérieur, Mohamed Hassar et Mohieddine Amzazi, respectivement secrétaire général et directeur des affaires générales du même ministère, Charki Draïss, patron de la DGSN, Hosni Benslimane, patron de la Gendarmerie royale et d’autres responsables sécuritaires.

De jaune à rouge : les trois niveaux d’alerte

Le plan d’alerte du Maroc comprend trois niveaux de sécurité. Le niveau 1 (jaune), qualifié de normal, correspond à une faible menace qui impose la vigilance.

Le niveau 2 (orange) correspond à celui d’une menace moyenne, un risque d’acte terroriste plausible caractérisé par une menace formulée par un groupe terroriste, par l’interception à l’étranger d’éléments projetant des actes au Maroc ou encore la saisie d’éléments prouvant des attentats en préparation.

Dans ce cas, la vigilance est renforcée. Le niveau 3 (rouge, alerte maximale), correspond à une menace grave, un risque avéré d’attentat découlant d’une menace terroriste formulée explicitement, de la présence d’éléments terroristes ayant des projets précis et des moyens de mise en œuvre, ou encore de l’interception sur le territoire d’éléments fomentant des actes imminents. Dans ce cas, la mobilisation est maximum.

La CGEM crée une commission de prévoyance

LaCGEM n’a pas perdu de temps. Au lendemain de la réunion du 9 juillet, la confédération constituait une commission de prévoyance. Objectif : informer les entreprises des méthodes et moyens de prévention en matière de gestion du risque lié aux attentats ou aux catastrophes naturelles. Selon des sources bien informées, la présidence de ladite commission sera confiée à un homme du métier, Jamal Chakroun, patron de GPS, entreprise spécialisée dans la surveillance et la prévention du risque. Pour Moulay Hafid Elalamy, président de la CGEM, les entreprises doivent impérativement se mettre à niveau en matière de sécurité. « On ne peut pas se permettre de gérer la sécurité comme le veut le patron d’une entreprise, mais comme l’impose la conjoncture », tranche-t-il

La vie éco - Fadel Agoumi & Saâd Benmansour, Houda Filali Ansary

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