« C’est un pauvre bougre, mais je ne vois guère ce que l’on pourrait faire pour lui. » Il n’est pourtant habituellement pas homme à baisser les bras. Mais le conseiller national Ueli Leuenberger, président du collectif genevois de soutien aux sans-papiers, avoue son impuissance face au cas d’Abdelah Touili. Qui, après dix-huit ans de séjour en Suisse, attend une expulsion qui paraît inéluctable.
Depuis le 28 décembre dernier, ce Marocain de quarante ans est détenu au centre de Frambois, à Vernier. D’où il a été conduit une première fois à l’aéroport, lundi 15 janvier. Mais M.Touili a refusé de monter dans l’avion. « Désormais, nous ne voyons pas d’autre solution que de renvoyer ce monsieur sous contrainte, à bord d’un vol spécial, annonce Bernard Ducrest, directeur de la direction séjour à l’Office cantonal de la population (OCP). Ce monsieur aurait pourtant pu rentrer dans la dignité. »
La dignité ? Abdelah Touili n’en voit aucune dans la façon dont le traitent les autorités genevoises. En juin 2005 déjà, arrêté en vue d’une première expulsion, il raconte avoir été frappé par les deux policiers qui sont intervenus. « J’ai tenté de me défendre et ce sont eux qui ont porté plainte contre moi pour insoumission ! » Quelques jours à Champ Dollon ont précédé une première expulsion. Puis un retour illégal en Suisse. Et si, cette année, il n’a aucun mauvais traitement à dénoncer, M.Touili n’en démord pas : « M.Ducrest et l’OCP me persécutent. »
Vingt pages de doléances
« Nous n’avons évidemment rien contre ce monsieur et ne faisons qu’appliquer la loi, rétorque Bernard Ducrest. Car ses chances d’obtenir une régularisation en Suisse sont nulles. » Les torts d’Abdelah Touili ? Avoir systématiquement entrepris les mauvaises démarches au mauvais moment. Ou raté celles qui se seraient avérées opportunes en temps utile...
Les démêlés kafkaïens de ce migrant avec l’administration de plusieurs cantons romands remplissent 20 pages d’un récit désespéré qu’il nous a fait parvenir de sa cellule. Etudes non terminées dans les délais impartis par les autorités, recours hors délais et demandes de permis de travail refusées ponctuent un parcours qui tient de la longue survie dans la jungle des lois helvétiques. La santé de M.Touili a d’ailleurs fini par s’en ressentir : il souffre depuis plusieurs années de graves troubles psychiatriques. Ce qui ne l’a pas empêché de multiplier les emplois précaires, comme informaticien ou enseignant. « Au Maroc, je n’ai aucune chance de trouver du travail et des soins appropriés ».
« Cause perdue »
Mais Abdelah Touili est un « mauvais cas ». A tel point que plusieurs avocats, le jugeant trop compliqué, ont fini par s’en détourner. « Le sentiment de persécution dont il s’estime l’objet l’a fait se brouiller avec beaucoup de monde, relève pour sa part Ueli Leuenberger. Si je l’avais rencontré plus tôt, nous aurions pu tenter quelque chose pour lui. Mais son retour illégal en Suisse après une première expulsion et une interdiction de séjour rend sa cause perdue. »
Si le cas semble désespéré, l’homme l’est encore plus. Même s’il espère encore dans sa prison rencontrer un avocat qui l’aidera à tenter un improbable recours au Tribunal fédéral. Et compte sur le sens humain de l’ambassade du Maroc. « Ils n’accepteront pas mon retour sous escorte policière. Ça fait trop mauvais genre. »
Le Courrier - Didier Estoppey