Jeans délavé, baskets et T-shirt bariolé, Soufiane Alloudi descend de son gros 4x4 noir, qu’il a eu tant de mal à garer dans cette ruelle casablancaise. La petite star du ballon rond a choisi Amistad, le café du vétéran Salaheddine Bassir, comme lieu de rendez-vous. Avant de
changer d’avis. “Il y a beaucoup de Rajaouis ici, nous serons plus tranquilles à côté”, explique-t-il. Précaution inutile. Même sur la terrasse de ce café mitoyen, l’homme a du mal à passer incognito. “Soufiane, pouvons-nous prendre une photo avec toi ?”, lui lancent trois serveurs, accourus avec un grand sourire. L’ailier du onze marocain ne peut qu’acquiescer. Popularité oblige, il a désormais l’habitude des séances photo improvisées. La “Alloudi-mania” avait commencé avec les supporters rajaouis, avant de contaminer l’ensemble des footeux marocains, depuis ce fameux match Maroc-Namibie de la CAN 2008, où il a marqué 3 buts. En moins de 50 minutes de jeu, une star était née.
Son idylle avec le ballon rond a commencé à El Gara, petite ville de la province de Settat, où il est né en 1983. Le garçonnet y taquine le ballon dès son plus jeune âge, suivant ainsi les traces du père, lui-même ancien joueur du club de la Renaissance d’El Gara. “On raconte qu’il était tout aussi rapide que moi et encore meilleur techniquement”, confie, pas peu fier, Soufiane. Celui-ci se souvient aussi de son premier ballon. Un bon vieux ballon bleu en plastique dont il ne se séparait jamais, et qui faisait sa fierté avec les maillots de Juventus de Turin offerts par un oncle installé en Italie. Et c’est chaussures de foot aux pieds, maillot sur le dos et ballon dans le cartable que le petit Soufiane prenait le chemin de l’école.
Pendant des années, il jongle ainsi entre football et études, partageant son temps entre les bancs de l’école et les terrains vagues d’El Gara, improvisés en terrains de foot. À l’âge de 16 ans, il intègre en toute logique les rangs du club local, sans abandonner le lycée, pression familiale oblige. Il ne faudra pas plus d’un an pour que le cadet se fasse remarquer par le club de la RATC (Régie autonome de transport en commun de Casablanca), auquel il est prêté pour une partie de la saison 2000-2001. À cette époque, il payait lui-même ses tickets de bus pour parcourir, trois fois par semaine, les 75 km entre sa ville et la capitale économique.
Dans la cour des grands
Six mois plus tard, le jeune footballeur croit sa carrière lancée, lorsqu’il est approché par les recruteurs du WAC, ennemi intime du Raja, club qui fera sa célébrité. “Je suis Rajaoui dans l’âme et mon idole d’alors était Moustaoudaâ (ancien attaquant des Verts). Mais jouer pour le WAC ne me posait aucun problème, car cela aurait été un beau début de carrière”, confie-t-il. Il n’en sera rien : l’essai n’est pas concluant et Alloudi n’est pas retenu sur la liste des recrutements du Wydad. Retour à la case Renaissance d’El Gara. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, l’attaquant attend son heure. Elle viendra un an plus tard, par le biais d’un certain Fethi Jamal, alors directeur technique du Raja et véritable dénicheur de talents. À vingt ans, Soufiane réalise un rêve de gosse : jouer pour les Verts ! “Je me souviens encore de ce premier jour où j’ai partagé le même vestiaire avec ces joueurs que j’avais l’habitude d’encourager à partir des gradins”, lâche-t-il. Il se souvient aussi de son premier derby contre le WAC, où il marque le but de la victoire (1-0) à la 91ème minute ! Le coup d’éclat lui ouvre directement le cœur des supporters rajaouis, alors qu’il fait encore le va-et-vient entre les juniors du Raja et l’équipe A.
En 2003, il a rendez-vous avec le premier match international de sa jeune carrière : Henri Michel, le coach des Verts, l’appelle pour renforcer la formation qui dispute la finale de la Coupe de la CAF. Problème : le match coïncide avec la tenue des examens du baccalauréat. Alloudi se doit de trancher entre les études et le sport. Le choix est facile à faire : le bac, ce sera pour une autre vie…
L’idole des gradins
Dès lors, les choses s’accélèrent. Après le sacre continental, le jeune attaquant enchaîne les titres avec son club : deux coupes du trône, un championnat et une ligue des champions arabes… Entre-temps, il devient le chouchou des supporters, qui le baptisent du sobriquet “103” (en référence à la motocyclette) pour sa rapidité. Il répond par sa propre signature : mimer un coiffage au gel capilaire à chaque but marqué. “Quand j’oubliais de le faire, ce sont les spectateurs du premier rang qui l’exécutaient à ma place”, s’amuse-t-il.
Et déjà, quelques clubs étrangers commencent à le courtiser. Mais les offres de Fulham FC ou de l’AS Saint-Etienne sont jugées insuffisantes par les dirigeants du Raja. Ces derniers finiront par dire oui au club émirati d’Al Aïn en 2007, qui allonge 1,5 millions de dollars pour s’attacher les services du buteur. Ainsi qu’un joli salaire. “Avec Al Aïn, je suis très loin des 5000 dirhams que je touchais au Raja, déclare-t-il. On a beau dire le contraire, mais ne pas avoir de problèmes d’argent, c’est important”. Ironie de l’histoire, Alloudi marque son dernier but sous les couleurs du Raja… contre Al Aïn, lors d’un tournoi organisé en Suisse.
L’adaptation dans le championnat émirati se fait sans anicroches. L’attaquant marocain vole rapidement la vedette aux anciens du club et les supporters l’adoptent, lui comme sa mimique du gel coiffant. Ils lui offrent même un nouveau surnom, plus digne de son nouveau statut : Audi !
Un pseudo qu’ils devront probablement oublier dès la saison prochaine, puisque Alloudi est en voie de faire ses bagages pour rejoindre les rangs de l’Olympique de Marseille (lire encadré).
L’avenir, en rouge et vert
Sa notoriété, Soufiane l’a également construite avec la sélection nationale. Il doit sa première apparition avec les Lions de l’Atlas, dès 2006, à l’éphémère Philippe Troussier, qui le convoque pour un match amical aux Etats-Unis. “J’ai appris ma sélection par mon père, qui l’avait lui-même lue dans la presse, se souvient-il. Sur le moment, je n’arrivais même plus à parler tellement j’étais heureux !”. Mais la joie cède rapidement la place à l’angoisse. “J’avais la peur au ventre pendant toute la semaine d’entraînement, se souvient-il. Mais une fois sur le terrain, j’ai joué mon foot. Et j’ai même marqué le but de la victoire”.
Depuis, Alloudi est devenu titulaire au poste d’ailier droit, avec une moyenne d’un but tous les deux matchs. Il arrive même à se distinguer durant le piètre périple ghanéen de l’équipe nationale. “Malgré mes trois buts contre la Namibie, cette CAN 2008 reste mon pire souvenir, assure-t-il. Mais maintenant, il faut regarder vers l’avenir”. Et l’avenir, Soufiane l’envisage avec une certaine sérénité. “Les jeunes de l’équipe nationale ont beaucoup de qualités et Roger Lemerre est un grand professionnel, reconnaît-il. Mais nous aurons absolument besoin d’un coach adjoint marocain, pour nous parler notre langage”. Et pourquoi pas Fethi Jamal, son mentor de toujours ?
Carrière : Bientôt l’envol européen ?
Le transfert de Soufiane Alloudi au club français de l’Olympique de Marseille est pratiquement réalisé. “Le transfert est sur la bonne voie. Je jouerai sûrement à l’OM la saison prochaine”, avance, confiant, l’attaquant marocain. Les négociations avec le club marseillais seraient en effet pratiquement bouclées et il ne reste que l’accord définitif du club émirati d’Al Aïn pour la signature du contrat, moyennant un chèque de 3,5 millions d’euros.
À en croire la presse française, les dirigeants phocéens, qui pistent Alloudi depuis plusieurs semaines, auraient accéléré le pas, après avoir appris que d’autres clubs (dont le Paris Saint-Germain, les Girondins de Bordeaux, l’Olympique lyonnais et Fulham FC) s’intéressaient à l’ailier des Lions de l’Atlas. “J’ai été effectivement contacté par plusieurs clubs, mais c’est sous le maillot de l’OM que j’ai envie de jouer. En plus, j’y retrouverai Amine Erbati et peut-être même Tarik Sektioui”, nous a-t-il déclaré. Les fans de Alloudi se rallieront probablement dès la rentrée au cri de guerre de l’OM, “Droit au but”. Une devise qui va si bien à Soufiane…
Source : TelQuel - Youssef Zeghari