Sarkozy et ses immigrés

19 mai 2007 - 02h10 - France - Ecrit par : L.A

Attendue, la victoire de Nicolas Sarkozy a été nette et sans bavure. Comment est-elle perçue par les ressortissants marocains et, plus globalement, par les Français issus de l’immigration ? Les banlieues déshéritées de la région parisienne accusent le coup. “C’est le choc. Un choc attendu, mais les gens ne voulaient pas y croire.

Il n’y a jamais eu autant de mobilisation (pour participer au vote) dans les banlieues. Les gens sont déçus”, déclare Mohamed Chirani, du collectif “Votez banlieues”. Cette organisation a été créée après les émeutes qui avaient secoué les banlieues à l’automne 2005 pour inciter les jeunes à exprimer leur mécontentement dans les urnes plutôt qu’à travers la violence.

La direction de la police nationale a estimé que la présidentielle n’avait “pas amené de grands mouvements de violences urbaines dans les quartiers sensibles”. Elle a pourtant recensé, au lendemain de la journée de scrutin, pas moins de 737 voitures incendiées et 592 interpellations au cours des incidents qui ont émaillé la nuit. Et 3000 policiers avaient été mobilisés, en renfort, pour la seule région parisienne. Les banlieues défavorisées, où se mêlent Maghrébins, habitants originaires d’Afrique Noire et Français de condition modeste, ont voté en masse pour Ségolène Royal. “Il ne s’agissait pas tant de voter pour Ségolène Royal, mais contre Sarkozy, qui a fait du problème des banlieues son fond de commerce électoral”, souligne Mohamed Chirani.

À Trappes, ville au sud-ouest de Paris, où se côtoient 70 nationalités et qui a voté à 70% pour la candidate socialiste, les habitants affichaient la même déception. “Pour une fois qu’on s’impliquait dans la vie politique, on a encore l’impression de compter pour rien”, a dit Mohamed, un étudiant. Un autre collectif, créé à la suite des émeutes en 2005, “AC le Feu”, avait appelé dimanche les banlieues à ne pas répondre par la violence à la victoire de Nicolas Sarkozy. Mohamed Chirani est catégorique : “Il va falloir s’attaquer vite aux problèmes qui minent la banlieue, notamment le chômage, qui frappe parfois 40% des jeunes dans certaines cités”. Il ajoute que “Sarkozy a fait campagne en dénigrant ouvertement les populations immigrées, et finalement il a dit qu’il voulait lancer un plan Marshall pour les banlieues. J’espère qu’il est sincère, parce que s’il en reste au tout sécuritaire, ça va être pire qu’en 2005”. D’autres associations, comme le Réseau éducation sans frontières ou le MRAP, se disent “extrêmement inquiets”, alors que d’autres, comme France terre d’asile, regrettaient que “sur le dossier de l’immigration, la gauche classique ait été absente”.

Voter “contre Sarkozy”

On estime à 4% la part des Français issus de l’immigration maghrébine et africaine (dernières vagues migratoires) dans la population française, et à environ 3% leur poids électoral. D’après Vincent Tiberj, chercheur à Sciences Po, “les Français issus de l’immigration ont une forte antipathie pour Nicolas Sarkozy depuis les événements des banlieues en novembre 2005. Il y a eu une crispation à son égard”. L’enseignant-chercheur va plus loin : “66% des Français issus de l’immigration ont peur de Nicolas Sarkozy. Il inquiète cette population autant que Le Pen fait peur à l’électorat en général”. Pourquoi cette peur et cette défiance ? “Cet électorat est très majoritairement à gauche. Un sur deux se dit proche du Parti socialiste. Il est très attaché aux questions d’égalité et d’intérêt général du groupe immigré”, nous explique Vincent Tiberj. La culture de la réussite et de la rigueur chez ces nouveaux Français pourrait faire penser qu’une partie pencherait à droite. C’est loin d’être le cas. “Ils étaient 10 % avant la crise des banlieues à suivre la droite. Les Français d’origine étrangère qui ont suivi Sarkozy sont une infime minorité. Les personnes comme Rachida Dati ne sont pas du tout représentatives de cette population”, précise le chercheur. Ces exceptions, c’est un peu, selon l’expression consacrée, “l’Arabe qui cache la forêt”.

De plus, poursuit Vincent Tiberj, “après les émeutes des banlieues et les termes “Kärcher” et “racaille”, Nicolas Sarkozy a définitivement été catalogué comme fermé sur l’immigration. Il a stigmatisé ces populations. Chez elles, il a déjà une image figée qui pourra difficilement évoluer”. L’enseignant ajoute que lorsque le nouveau président s’adresse à ces Français, c’est souvent à travers deux sujets : l’immigration et le champ religieux. “C’est mal connaître cette population qui ne se sent pas étrangère à la société française, sur le plan des valeurs ou de l’identité. La religion n’est pas ce qui compte le plus dans leur rapport à la nation. Ce n’est qu’une spécificité du groupe. Il y a eu donc une marginalisation symbolique de ces Français. Sarkozy s’est aliéné cet électorat”.

Qu’en pensent les Marocains ?

Quant aux Marocains, naturalisés ou non, ils ont globalement rejeté Nicolas Sarkozy. Et s’ils ont voté à gauche, c’est clairement pour faire barrage au candidat UMP, plutôt que pour supporter Ségolène Royal. Mohamed, originaire du Sud du Maroc, est propriétaire d’une téléboutique à Paris : “Tous mes amis et moi-même, on a rejeté la droite et préféré plutôt la gauche. Avec Sarkozy président, tout le monde a peur. Les uns ont peur pour leur femme, d’autres pour leur travail, pour leurs papiers… Moi-même, je devais avoir ma carte de résident de dix ans. Mais avec sa loi sur l’immigration de juillet 2006, je dois encore patienter cinq ans pour l’obtenir !”, lâche-t-il. “Une nouvelle ère commence pour le dossier migratoire et pour la politique arabe de la France, poursuit Mohamed. Prendra-t-il soin de l’héritage de Chirac ? Sarkozy est proche d’Israël et des Etats-Unis. On va sentir, nous peuples arabes, la différence là-dessus. Il n’a pas le côté réconciliateur de Chirac, ni sur le plan national, ni sur le plan international”.

Originaire de Casablanca, Mehdicondamne, lui, “le comportement des médias, majoritairement alliés de Sarkozy, qui ont fait de la désinformation”. Ce statisticien, fraîchement naturalisé et installé à Paris, est plus partagé sur la question de l’immigration : “Sarkozy va couper les ponts avec une filière de gens sans diplômes qui viennent et plombent le système social. Ce qui est en soi une bonne chose. On ne peut plus émigrer en France avec comme but : on vient et après on verra... Il faut avoir un projet et être responsable. En revanche, il ne faudrait pas que ce soit un stop net aux réfugiés politiques et aux Africains, que la France perde son image de terre d’accueil”. Mounia, qui travaille dans le marketing à Paris, confie que l’élection de Sarkozy lui a fait “un peu peur” : “J’ai l’impression de ne plus me reconnaître. Je me sens comme une étrangère. Hormis cela, la fascination même de Sarkozy pour les Etats-Unis m’effraie. Le fait qu’il ait cité les Etats-Unis dans son discours, dès son élection, m’a vraiment choquée. Cela voudrait dire que si les Etats-Unis entrent en guerre, la France s’alignerait sur eux...” . C’est sûr, beaucoup de MRE aimeraient que l’image de Sarkozy président soit différente, meilleure, que celle, ancienne, de Sarkozy ministre de l’Intérieur.

Un clivage très net

D’après l’essayiste Karim Amellal, l’élection de Nicolas Sarkozy suscite peur, méfiance et attentisme chez les immigrés : “Les gens ne sont pas dupes, souligne-t-il. Ils connaissent la stratégie de campagne et vont voir comment cela va se traduire en actes, notamment la question du ministère de l’immigration”. Le nouveau président va hâter la création de ce ministère qu’il souhaite à l’image du Home Office britannique. Ministre de l’Intérieur pendant quatre ans, il a fait de l’immigration une de ses priorités avec le vote de deux lois en 2002 et 2006, pour maîtriser les flux migratoires. L’enjeu du ministère est de taille : attirer 100 000 travailleurs qualifiés et intégrer 100 000 immigrants qui s’installent chaque année en France en raison d’un mariage ou d’un regroupement familial. Karim Amellal nous fait remarquer que le discours de Sarkozy a été positivement perçu par les travailleurs et par les Français “de souche”, de condition modeste. “Ils lui ont fait confiance. Ils retiennent en priorité les thèmes de mérite, travail, réforme… Ce qui n’est pas du tout le cas des travailleurs immigrés ou des nouveaux Français de condition modeste, pour lesquels Sarkozy est synonyme d’immigration. Il y a un clivage marqué au sein d’une même catégorie sociale”.

TelQuel - Abdeslam Kadiri

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