Que reste-t-il de la liberté de la presse au Maroc ?

18 juin 2008 - 16h03 - Maroc - Ecrit par : L.A

Que reste-t-il de la liberté de la presse au Maroc ? Les six premiers mois de l’année 2008 ont été marqués par une avalanche de procès et par des décisions judiciaires et administratives liberticides. Dans le même temps, les promesses du gouvernement du Premier ministre Abbas El Fassi, qui s’était engagé à réformer le code de la presse, n’ont toujours pas été concrétisées. À ce jour, aucun projet n’a été présenté à la Chambre des députés.

Reporters sans frontières s’inquiète de la détérioration de la situation de la liberté de la presse au Maroc. "Le sentiment de méfiance des journalistes vis-à-vis du pouvoir est renforcée par la multiplication des poursuites judiciaires engagées à leur encontre et les nombreux obstacles auxquels ils doivent faire face", a déclaré l’organisation.

Le retour du journaliste Mostapha Hurmatallah derrière les barreaux d’Okacha (Casablanca), le 19 février, pour terminer la peine de sept mois de prison à laquelle il avait été condamné en 2007, après avoir reproduit une note interne des services de sécurité, a stupéfié ses confrères qui ont pris conscience du danger. La question sécuritaire a toujours posé problème aux journalistes marocains. Ils savent désormais qu’ils encourent la prison si leur traitement de l’information conteste la version officielle. Aux côtés de Mostapha Hurmatallah, et de son directeur de publication Abderrahim Ariri qui a écopé d’une peine avec sursis, huit officiers de l’armée - les sources supposées des deux journalistes - ont été condamnés à de lourdes peines de prison. Cette sentence a également été perçue comme un message d’avertissement envers tous ceux qui coopèrent avec les médias.

Lors de sa libération conditionnelle, Mostapha Hurmatallah avait confié à Reporters sans frontières que son emprisonnement lui avait laissé un "goût amer" malgré des conditions de détention relativement correctes. "Lorsque j’ai entrepris de devenir journaliste, je n’ai jamais imaginé que je pouvais me retrouver en prison à cause de mes écrits. Cette expérience a été brutale. J’ai certes été touché par la formidable mobilisation en ma faveur au Maroc et à l’étranger, mais la prison, c’est la prison", avait-il déclaré au terme de 56 jours de détention. Un mois avant sa libération définitive, prévue en juillet, la demande de grâce déposée par sa famille auprès du cabinet du roi Mohammed VI est restée lettre morte. Le chef de l’État a pourtant gracié, le 18 mars, le bloggeur marocain Fouad Mourtada, condamné à trois ans de prison pour avoir créé un faux profil sur le réseau social Facebook au nom du frère du monarque. Une affaire qui a, malgré la mesure de grâce, lourdement marqué la blogosphère marocaine.

La justice a rarement penché du côté des journalistes qui doutent, de plus en plus, de son indépendance. En mars 2008, le directeur de publication du quotidien arabophone "Al-Massae", Rachid Nini, a été condamné à verser six millions de dirhams (environ 550 000 euros) de dommages et intérêts et 120 000 dirhams (environ 11 000 euros) d’amende suite à une plainte en "diffamation et injures publiques" émanant de quatre juges. Aucun prétoire n’avait jamais prononcé une amende aussi exorbitante. L’affaire devrait être prochainement entendue devant la cour d’appel.

Par ailleurs, un photographe du quotidien "Al-Massae", Karim Selmaoui, a été entendu, le 16 juin, pendant plus de deux heures par des enquêteurs de la brigade nationale de la police judiciaire à Casablanca. La publication, le 28 mai, de la photo d’une femme victime de brutalités policières lors d’une manifestation, serait à l’origine de cette convocation. Le commissaire de police apparaissant sur le cliché aurait reçu des menaces suite à sa publication. Le journaliste a été interrogé sur les circonstances dans lesquelles il avait pris cette photo. Les enquêteurs auraient également voulu savoir s’il était à l’origine de sa publication dans la presse étrangère. Karim Selmaoui a affirmé à Reporters sans frontières avoir également été longuement interrogé sur son ancienne collaboration avec "Le Journal", un hebdomadaire francophone, notamment concernant des photos qui avaient servi à illustrer des reportages sur le pouvoir. "On peut vivre sans presse, mais on ne peut pas vivre sans sécurité", aurait déclaré l’un des enquêteurs au collaborateur d’"Al-Massae".

Comme ce fut le cas en 2007 pour les journalistes de l’hebdomadaire "Al Watan Al An", l’été 2008 marquera le début du procès très en vue d’Hassan Rachidi, directeur du bureau de la télévision qatarie Al-Jazira. Poursuivi pour "publication de fausses nouvelles", les autorités ont décidé, le 13 juin 2008, de lui retirer son accréditation sans attendre les délibérations de la cour. La culpabilité du journaliste, accusé d’avoir intentionnellement omis d’évoquer à l’antenne le démenti officiel concernant le bilan d’affrontements à Sidi Ifni (Sud), ne semble faire aucun doute pour le pouvoir. En mai, les autorités avaient déjà décidé de retirer à la chaîne sa licence pour les retransmissions satellitaires, privant les employés du bureau de Rabat de la réalisation d’un bulletin quotidien d’informations sur les pays du Maghreb, diffusé en direct. Hassan Rachidi, qui risque jusqu’à un an de prison, devrait comparaître devant la justice à partir du 1er juillet.

Dans une autre affaire, le président du Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH), Ahmed Herzenni, a entamé une action en référé contre le quotidien arabophone "Al Jarida Al Oula" qui publie depuis le 9 juin des extraits d’une série d’entretiens inédits de hauts responsables marocains devant l’Instance Equité et Réconciliation (IER, dissoute en 2007 pour être remplacée par le CCDH). Ahmed Herzenni voudrait faire interrompre la publication de ces entretiens qu’il considère comme des documents confidentiels de l’administration. Une audience est prévue le 18 juin.

Enfin, le procès d’Ahmed Reda Benchemsi, directeur de publication des hebdomadaires "Tel Quel" et "Nichane", devrait reprendre le 3 septembre devant le tribunal de première instance de Casablanca. Poursuivi pour "manquement au respect dû à la personne du roi", le journaliste risque jusqu’à cinq ans de prison en vertu de l’article 41 du code de la presse.

Une délégation de Reporters sans frontières a été reçue le 30 avril à Rabat par Khalid Naciri, ministre de la Communication. Durant cet entretien, le porte-parole du gouvernement a affiché sa volonté de mettre en place un nouveau code de la presse "consensuel et avancé". Selon lui, le projet serait en cours de discussion.

Source : Reporters sans Frontières

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