Les habitants d’un village touché par le puissant et dévastateur tremblement de terre, sont en colère contre le gouvernement à cause de l’aide d’urgence qu’ils affirment ne pas avoir encore reçu. Ils appellent le roi Mohammed VI au secours.
Une lame de fond islamiste va-t-elle emporter le Maroc ? C’est le principal enjeu des élections législatives de demain dans le pays certes le plus libéral mais aux équilibres les plus précaires du Maghreb. Depuis le dernier scrutin, en 2002, la question est clairement posée.
A l’époque, le Parti pour la justice et le développement (PJD), principale formation islamiste légale du Royaume, avait remporté 42 sièges (sur 325) alors qu’il ne s’était, volontairement, pas présenté partout, devenant le troisième parti du pays derrière l’Istiqlal (nationaliste, 48 sièges) et les socialistes de l’USFP (50 sièges). Un an plus tard, le PJD avait une fois de plus limité ses candidatures aux municipales, remportant cinq grandes villes dont Meknès (lire pages suivantes). Mais aujourd’hui, poussé par sa base, le parti est présent dans la quasi-totalité des circonscriptions.
Sous contrôle
Son chef, Saâd Eddine el-Othmani, espère en faire la première formation du pays avec 70 sièges, voire plus. Des attentes de toute façon loin d’un raz-de-marée. Le pouvoir a tout fait pour contenir le PJD en procédant à un découpage électoral sur mesure, destiné à surreprésenter les campagnes, plus imperméables au discours islamiste. Le mode de scrutin de liste à la proportionnelle intégrale, ajouté à la multiplication des partis (36 en lice !) plus ou moins représentatifs, favorise aussi un émiettement des résultats et place le roi en position d’arbitre absolu. Malgré les appels répétés du monarque à la transparence, la « démocratie » marocaine reste donc sous contrôle très étroit.
Reste à savoir si Mohammed VI fera entrer au gouvernement les islamistes du PJD, qui sont nettement plus proches des Turcs de l’AKP que du FIS algérien. Les observateurs, les partis non islamistes, et même le Palais, semblent divisés sur la question. Il y a d’un côté ceux qui estiment que le PJD a suffisamment lissé son image pour rassurer les milieux d’affaires, notamment occidentaux. A leurs yeux, il serait dangereux, à terme, de laisser cette formation, très populaire dans la classe moyenne, continuer à fustiger la corruption du régime et ses injustices. A l’opposé, d’autres pensent qu’intégrer le PJD laisserait le champ libre aux islamistes d’Al-Adl wa al-Ihssane du vieux cheikh Yassine, opposant historique à la royauté, voire même aux jihadistes disciples d’Al-Qaeda.
Misère
Depuis les attentats-suicides du 16 mai 2003 à Casablanca (46 morts), le Maroc se sait dans la ligne de mire. Une menace confirmée par les attaques kamikazes du printemps dernier et les agressions individuelles contre des touristes cet été. La plupart de ces apprentis jihadistes ont été recrutés dans les zones de non-droit que sont les bidonvilles : plus d’un habitant de Casablanca sur dix, un demi-million de personnes, vit dans l’un des 450 bidonvilles de la capitale économique. Une course contre la montre s’est engagée pour réduire cette misère extrême mais elle est loin d’être gagnée avec 40 % de la population sous le seuil de pauvreté. L’INDH, (Initiative nationale pour le développement humain), le grand chantier de Mohammed VI lancé en fanfare en 2005, patine, faute de moyens.
Economiquement, socialement, culturellement, deux Maroc cohabitent, s’ignorent, voire s’opposent. Tandis que la scène culturelle connaît une effervescence sans précédent, d’autres réclament l’application d’une morale islamique plus stricte. Tandis que les uns s’enrichissent, les autres survivent à grand-peine. Tandis que les investisseurs européens voient dans le Maroc un marché alléchant, l’afflux de capitaux du Golfe bat tous les records. Tandis qu’une jeunesse regarde les clips de MTV, une autre passe son temps devant les chaînes religieuses du Golfe et celles d’actualité diffusant la guerre en Irak en boucle. Face à cette montée des périls, la tentation est grande, chez certains responsables, de revenir aux bonnes vieilles recettes autoritaires.
Cette crispation s’est fait sentir récemment dans l’un des domaines les plus emblématiques de la libéralisation depuis l’intronisation de Mohammed VI : la presse, en butte à une cascade de procès. Si le score du PJD suscite moult interrogations, un autre, moins spectaculaire, en dira plus sur l’humeur du pays : celui de l’abstention, qui avait frisé les 50 % en 2002. Il pourrait nettement augmenter, surtout en ville, traduisant le désenchantement de citoyens auxquels on demande de voter, sans que leur choix ait une réelle influence sur les politiques menées par un Premier ministre n’ayant d’autre pouvoir que celui concédé par le Palais.
Libération.fr - Christophe Ayad
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