La flambée des cours mondiaux du pétrole et des produits de base a fait exploser les décaissements au titre de la compensation : 6,6 milliards de dirhams soit +177% par rapport à l’an dernier. Les prévisions les plus optimistes anticipent un montant record de 30 milliards de dirhams pour l’exercice budgétaire en cours. A terme, avec un baril que les experts prédisent déjà à 200 dollars, le mécanisme actuel d’« immunisation » contre les effets de la hausse du pétrole devient un non-sens économique. Et en tous les cas, il n’est pas tenable.
Mais la hausse des dépenses publiques n’est pas seulement imputable à l’impact du pétrole et des prix internationaux des produits de base. Selon la note de conjoncture de la Direction des études et des prévisions financières au ministère des Finances, les premiers indices de l’indiscipline budgétaire contre laquelle s’insurge régulièrement Bank Al-Maghrib sont de retour.
A l’évidence, il y a un gap entre l’effort déployé pour augmenter les recettes et la maîtrise de la dépense publique. Les grandes masses des charges de fonctionnement de l’Etat ont pris l’ascenseur. Les dépenses du personnel sont en hausse de 13,4% tandis que celles des biens et services progressent de 17,8%. Le premier constat à tirer est clair : pétrole cher ou pas, l’Etat refuse de se mettre à la diète malgré l’existence évidente des gisements d’économies. La tentation de baisser la garde est grande, au vu de l’amélioration constante du rendement de l’impôt malgré la prolifération des niches fiscales dans le système et l’ampleur de l’évasion fiscale.
Les recettes d’impôt, source structurelle du financement du budget, enregistrent une croissance phénoménale au premier trimestre. Par rapport à l’an dernier, les rentrées fiscales, à 57,14 milliards de dirhams, sont en hausse de 30%. Cela équivaut à près de 13 fois la croissance du PIB en 2007. Chercher l’erreur ! Il faut peut-être voir dans l’évolution des recettes fiscales la confirmation de l’autonomisation du budget que prédisait l’ancien ministre des Finances, Fathallah Oualalou.
Excepté les droits de douane qui stagnent sous l’effet du démantèlement tarifaire à l’importation, les trois piliers du système fiscal, IS (impôt sur les sociétés), TVA (taxe sur la valeur ajoutée) et IR (impôt sur le revenu) réalisent des performances quasi historiques. L’IS a rapporté 21,41 milliards de dirhams au Trésor. Par rapport au premier trimestre de l’exercice précédent qui était déjà un bon millésime, la recette de cet impôt progresse de 85% ! Du point de vue du rendement, cette taxe est aujourd’hui la première source des recettes ordinaires du Trésor.
L’excellente tenue de rentrées de l’impôt sur les sociétés tient à la très bonne année réalisée par les gros contributeurs traditionnels (banques, télécoms, sociétés cotées), à l’amélioration des déclarations et, probablement, à la multiplication et à la qualité des vérifications fiscales. En 2007, le résultat fiscal net consolidé du secteur bancaire s’est élevé à près de 7 milliards de dirhams (autant que le résultat de Maroc Telecom tout seul). Comme les banques ont signé des chèques sur la base du taux de 39,6% (en attendant de passer à 35% en 2008), le Trésor s’est encore frotté les mains. Les contrôles ont par ailleurs gagné en efficacité depuis quelques années, mais pas assez au goût des opérateurs qui souffrent de la concurrence déloyale de ces centaines d’entités qui passent encore sous les mailles du filet. L’an dernier, les sociétés de financement et le secteur immobilier ont été soumis à des campagnes de vérification. Et le tableau de chasse des inspecteurs des impôts devient de plus en plus garni au fil des ans. En moyenne, les rappels d’impôts rapportent au moins 2 milliards de dirhams au budget tous les ans. L’extraordinaire rendement de l’IS, comme de l’IR et de la TVA, tranche en tout cas avec la polarisation de la charge fiscale. Sur les 107.000 entreprises assujetties à l’IS et enregistrées dans le tableau de bord de l’administration fiscale, 63% sont déficitaires depuis plusieurs années. Le poids de ce prélèvement repose donc sur le reste, soit 37% des 107.000 sociétés. De ces 37%, moins d’une centaine d’entreprises contribuent pour la moitié du rendement de l’IS.
Par secteur, ce sont les télécommunications, les banques et les assurances qui représentent des « grands comptes » : à eux trois, ces secteurs pèsent pour 41% dans les recettes de l’IS. Les entreprises cotées (catégorie qui comprend une grosse partie des groupes financiers et des télécoms) représentent 31% des rentrées de l’impôt sur les résultats des sociétés.
La même concentration est à relever sur l’impôt sur le revenu. Certes, dans la plupart des systèmes fiscaux modernes, l’impôt sur les salaires représente la plus grosse contribution au produit de cette taxe, sauf que la maîtrise de la base imposable n’est pas la même. Au regard de la structure de ce qu’il rapporte, l’IR au Maroc est presque essentiellement dû par les salariés. La retenue sur salaire représente 72% des recettes totales de l’impôt sur le revenu. Les marges de manœuvre sont donc du côté des contribuables soumis au régime déclaratif.
Beaucoup de professions libérales et d’indépendants prospèrent quasiment dans une sorte de paradis fiscal. Même les responsables du fisc le concèdent durant les traditionnelles campagnes de promotion qui suivent la publication de la loi de Finances.
Au premier trimestre, les recettes au titre de l’impôt sur le revenu s’élevaient à 9,77 milliards de dirhams. Ici aussi, la croissance est spectaculaire avec un bond de 29,9% par rapport à l’année dernière. La reprise du marché de l’emploi et l’effet de rétributions exceptionnelles que les entreprises reversent à leurs collaborateurs au mois de décembre ont dopé les recettes.
"Selon les données du fisc, 107.000 entreprises sont assujetties à l’IS, 3.450.000 de contribuables à l’IR et 211.000 à la TVA"
Source : L’Economiste - Abashi Shamamba