La chanteuse marocaine Samira Saïd a rencontré le défunt roi Hassan II pour la première fois lors d’une prestation musicale au palais royal.
Ils sont hollandais d’origine marocaine et ont choisi le hip hop comme arme de contestation massive. Surtout, Cilvaringz et Salahedin ambitionnent de défricher un marché du rap arabe. Découverte.
Ils sont deux amis, enfants d’émigrés marocains, nés aux Pays-Bas. Tous deux prient cinq fois par jour et ont choisi dès l’adolescence le hip hop comme moyen d’expression. Le premier, Cilvaringz, Tarik Azzerouagh pour l’état civil, a été repéré dès 1997 par le fameux groupe américain Wu Tang Clan, après un “freestyle” lors d’un concert à Amsterdam. Il n’avait pas 20 ans. Il deviendra deux ans plus tard le premier étranger à signer avec le prestigieux label Wu Tang Corp. C’est aussi le manager de RZA, le producteur des WTC, qui lui a concocté, en guise de projet de fin d’études, une tournée de plus de cent dates dans une quarantaine de pays, pendant laquelle il assurait ses premières parties.
Après huit ans d’apprentissage au contact des vieux briscards du rap et d’allers-retours entre sa Tilburg natale et New York, le premier album de Cilvaringz est enfin dans les bacs depuis quelques semaines. Les 30 000 copies déjà commandées aux Etats-Unis témoignent de l’impact de “I”, album aux sons “old-school”, cautionnés par des featurings des membres fondateurs (Method Man, Ghostface Killah, Raekwon, RZA, GZA) et même par un message vocal de Neo et Pharell, des célébrissimes Neptunes. “Depuis que j’ai signé chez eux, j’ai toujours dit que je voulais faire un album qui sonnerait comme les vieux disques de Wu Tang, explique-t-il, ce son crade, lourd, hurlant. Je ne voulais pas des sons nouveaux. RZA a dit ‘OK’, et il a ressorti les vieux beats de 1995”.
Le parcours de Salahedin est bien différent. Son pseudo d’artiste, il l’a choisi en référence à Salaheddine Al Ayyoubi (Saladin), chef de guerre kurde qui reprit Jérusalem des mains des Croisés au douzième siècle. Son album, à l’intitulé pour le moins provocateur (“Nederlands Grootste Nachtmerrie”, Le pire cauchemar des Pays-Bas), s’est installé pendant trois semaines en tête des charts hollandais. Dans la même veine, le clip sulfureux du single “Het Land Van”, son discours radical sur l’islamophobie médiatique ambiante et l’intolérance, et sa ressemblance assumée (barbe et crâne rasé) avec l’assassin de Théo Van Gogh, Mohamed Bouyeri, affichée sur la pochette de son disque, ont même suscité des questions au Parlement hollandais.
Son album a été produit par Focus, bras droit du baron du hip hop “west coast”, Dr Dre, qui émarge sur le label Aftermath, écurie comptant Eminem et 50 Cents parmi ses protégés. Excusez du peu !
Rap et politique
Malgré leur succès et leur filiation avec les parrains de l’entertainement du hip hop US, Cilvaringz et Salahedin se distinguent par un discours singulier, loin du “bling-bling” du rap formaté. “Le rap aujourd’hui est tellement vide : ça ne parle que de voitures, de bijoux et de filles. Moi, je veux dire quelque chose de positif avec chaque chanson”, lance Clivaringz. Son album revendique l’héritage arabo-musulman et se veut le porte-voix de la rue d’Orient, avec notamment des morceaux intitulés “Caravanserail”, “In The Name Of Allah” ou “Sheherezad, My Beloved”, humblement sous-titrée “la plus grande histoire d’amour jamais contée”.
Il déclencha surtout la polémique avec une chanson intitulée “Death to America”, citation “entre guillemets” tirée d’une manifestation. “Depuis cette chanson, beaucoup m’ont pris pour un extrémiste. Je l’avais écrite en 2003, à la troisième personne, en me mettant dans la tête de quelqu’un qui déteste l’Amérique”, se souvient le rappeur, avant de poursuivre : “On ne peut pas effacer une manière de penser comme ça. On peut seulement essayer de la changer. Et pour la changer il faut la comprendre”.
Parmi les amis répertoriés sur son espace sur Myspace.com, on trouve bien évidemment Salahedin, mais aussi des artistes hip hop de différents pays arabes, et même un très jeune sympathisant bahreïni du Hezbollah… “Je parle souvent de la politique étrangère américaine, qu’elle concerne le Proche-orient, le Venezuela ou Cuba. Plus de 600 attaques contre Fidel Castro, 80 millions de dollars dépensés chaque année pour essayer de le tuer... Pourquoi ? Essayons plutôt de comprendre Cuba, de comprendre Hugo Chavez, d’écouter ce qu’ils ont à dire”. Salahedin, lui, est encore plus direct : “Comment les Américains peuvent-ils prétendre aujourd’hui se battre pour la liberté ? C’est tellement stupide de croire qu’on peut amener la paix avec des armes”.
Marquer les esprits
Né dans les quartiers de l’immigration d’Amsterdam, Salahedin a choisi la carte de la provocation, en recrachant à la face d’une société méprisante l’image préconçue que les médias renvoient de la communauté musulmane. “Au mieux, nous sommes vus comme de bons Marocains… alors que nous sommes nés ici”, explique celui qui a écrit une chanson sur Mohamed Bouyeri, l’assassin de Theo Van Gogh, où le scanner des fréquences de police lors de son arrestation, sont repris en samples. Il y dénonce le “deux poids, deux mesures” de la police et de la justice. “C’est la première fois en Hollande que le visage d’un criminel est jeté en pâture aux médias de cette façon. Il a écopé de la peine à perpétuité, alors que l’assassin hollandais de Pim Fortuyn a été condamné à 18 ans, et qu’on n’a jamais montré son visage dans les journaux”, s’élève-t-il, dénonçant la stigmatisation des populations musulmanes aux Pays-Bas. “Je veux que les gens sachent ce qu’il y a dans l’esprit de quelqu’un comme moi, un jeune arabe, musulman, marocain, éduqué. La plupart d’entre nous veulent aller dans le bon sens, mais les préjugés de la société, la discrimination à l’embauche par exemple, nous renvoient en arrière. C’est pour marquer les esprits que j’ai décidé d’apparaître sur la pochette de l’album dans la même position que Mohamed B”.
Mais à l’en croire, Salahedin n’est pas qu’un “rappeur politique”. Certaines de ses chansons parlent même d’amour et de petite amie. “Mais je voulais montrer une différence, par rapport à la caricature du rappeur qui ne parle que d’argent, de filles et de grosses voitures”. Mais c’est bien évidemment sur ses prises de position provocatrices que les médias se sont focalisés. “Ils disent que je fais l’apologie du terrorisme. Un ministre de droite a déclaré à la télé qu’il faudrait découper le Coran en deux parties, un autre a dit que la Hollande était devenue un tsunami de musulmans. En disant de telles choses, c’est eux qui amènent de nouvelles personnes vers l’islam radical”.
Hip hop arabe
Et le bled ? Les deux rappeurs s’y investissent d’abord sur le plan artistique. Ils se sont produits au dernier Festival d’Essaouira, aux côtés de Fnaïre… dont Clivaringz est le nouveau manager. Premier objectif : permettre au nouvel album de la formation marrakchie d’être distribué en Europe dès la rentrée.
Mais l’ambition du duo est bien plus grande : promouvoir un vrai marché du disque dans le monde arabe. Notamment avec le collectif ARAP, qui réunit des chanteurs palestiniens, libanais et syriens. Et où le mouvement hip hop marocain trouverait facilement sa place.
Et si l’album de Cilvaringz sera bientôt distribué au Maroc, Salahedin planche sur la sortie imminente d’un nouveau disque en arabe classique, intitulé Hor (libre) et annoncé pour la fin de l’année au Maroc et en Egypte. “Le vrai hip hop a depuis longtemps quitté les Etats-Unis. Il revient à son essence dans les pays qui en ont vraiment besoin, lance l’intéressé. Il y a 1,2 milliard de musulmans dans le monde. C’est un marché énorme, où je pourrais vendre plus de disques qu’Eminem”. ça promet.
Telquel - Jean Berry
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