
Une Marocaine de 28 ans est décédée après avoir pris des pilules amincissantes achetées auprès d’une inconnue qui faisait la promotion de ces produits sur Instagram.
La question, oh combien complexe, de l’intersection entre « genre » et « langue », d’une part, et de la relation entre cette intersection et le statut général des femmes, d’autre part, est un sujet très peu débattu au Maroc bien que la citoyenneté et la condition des femmes dans ce pays multilingue et multiculturel soient étroitement liés aux langues marocaines et à leur usage.
Le Maroc est un pays où quatre langues principales se partagent le champs linguistique : l’arabe marocain, l’amazighe, l’arabe écrit, et le français. Le statut socio-culturel de ces langues est loin d’être le même. Ce statut a des racines historiques en ce sens que les faits historiques (qui alimentent les faits socio-culturels) ont abouti à une situation où l’arabe écrit est plus associé aux hommes et où l’amazighe est plus associé aux femmes. Par exemple, l’arabe écrit a un pouvoir réel et symbolique sur les plans religieux, légal, politique, administratif, et médiatique vu son statut de langue officielle, de langue de religion, des institutions, et du savoir écrit, des domaines dits « publiques » où les hommes sont plus présents et ont plus de voix et de choix que les femmes.
En contrepartie, l’amazighe a été jusqu’à très récemment une langue typiquement orale, une langue maternelle, et, par conséquent, une langue forcément associée aux femmes, surtout rurales, compte tenu du taux élevé de l’analphabétisme féminin et de l’émigration massive des hommes vers les villes. Bref, à travers l’histoire moderne du Maroc, le sort de l’amazighe a été étroitement lié au sort des femmes et ce n’est pas une coïncidence que l’amazighe et les femmes ont été relégués au second plan dans les années qui ont suivi l’indépendance et que la présente ouverture sur les droits culturels et linguistiques est accompagnée d’une ouverture sur les droits des femmes.
Partant de ce constat, une insertion de l’amazighe dans le tissu éducatif marocain et une amélioration de la condition des femmes dans ce pays ne peuvent être que bénéfiques pour la démocratisation du Maroc et son développement global. Cette option est motivée par le double fait que l’histoire donne une légitimité incontournable à l’amazighe au Maroc et que l’Islam en tant qu’identité culturelle n’est pas basé sur l’identité ethnique que se soit en des termes raciales, linguistiques ou les deux. La communauté musulmane ne fait pas de différence entre les ethnies (ce qui explique l’usage de l’arabe par des ethnies très différentes de part le monde). Cet état des choses est encore plus renforcé par le fait que le multilinguisme est une composante fondamentale de la culture marocaine qui est née d’abord de l’histoire complexe et de la position géographique à cheval entre deux continents.
D’autre part, L’acquisition et l’usage de l’amazighe est fortement lié aux femmes. La littérature orale (largement circulée en arabe marocain et en amazighe) est profondément féminine. L’histoire du Maroc a été construite et continue à l’être par des hommes et des femmes, et cette construction a été véhiculée par des langues écrites et des langues orales.
La littérature orale, largement féminine, constitue un patrimoine national dont la nature constitue la singularité du marocain. Il est temps de préserver et de promouvoir cette littérature qui a souvent été caractérisée par l’anonymat mais qui constitue une mémoire collective qui dépasse les circuits du savoir codifié. L’oralité puise dans le merveilleux où les femmes échappent aux rôles traditionnels. Elle prouve que les femmes possèdent un savoir qui n’est pas toujours l’apanage des hommes. Dans les contes populaires, par exemple, les lois patriarcales sont souvent bousculées.
L’amazighe doit sa survie aux femmes d’abord. Cette survie est en effet un cas atypique dans l’évolution des langues. Nous sommes devant une langue vieille de plusieurs milliers d’années, une langue qui n’a jamais été la langue officielle d’un état central qui aurait fixé ses normes linguistiques et l’aurait doté d’un statut juridique valorisant, une langue qui a su coexister avec des langues beaucoup plus puissantes comme le punique et le latin dans le passé et avec l’arabe, le français, l’espagnol et l’anglais dans le présent.
Aujourd’hui, la standardisation de l’amazighe et son enseignement s’accompagnent de la promotion des femmes : la langue et les femmes encore une fois. Il est certes que la promotion de l’amazighe est un devoir de tous les marocains envers une langue qui a largement contribué à l’unification politique et religieuse du pays à travers l’histoire. Il se trouve qu’en même temps, l’éducation et l’enseignement constituent des facteurs primordiaux dans l’émancipation des femmes et leur promotion dans tous les domaines.
En plus de leur rôle dans la prise de conscience individuelle et collective, l’éducation et l’enseignement sont des moyens efficaces d’épanouissement, surtout avec l’avènement de la mondialisation. Une participation active des femmes dans les domaines publiques peut permettre un usage équitable des langues. Cette participation peut même changer l’usage et l’attitude envers les langues ; elle peut démystifier et réduire l’écart entre les hommes et les femmes ainsi qu’entre langues en usage. On ne pourra jamais assez dire que promouvoir la réflexion sur l’impact de l’éducation et de l’enseignement des langues sur la condition de la femme est un devoir historique, surtout dans un pays en voie de développement.
Il a pour finalité de débattre des moyens qui permettraient de prendre en considération la dimension ‘genre’ dans les domaines de l’éducation et de l’enseignement pour atteindre les niveaux juridique et administratif.
Avec l’ouverture démocratique, seule une politique de langues qui prend en considération les besoins socio-économiques des femmes pourrait être viable. Partant du fait que nous sommes constamment le produit d’une période historique bien déterminée, aujourd’hui, plus que jamais, la question linguistique se conjugue avec la question féminine et les droits humains.
Il est vrai que l’histoire des langues marocaines peut être dite de différentes manières avec des arguments différents à l’appui, mais malgré le caractère hétérogène des domaines et perspectives de recherches visant à promouvoir les femmes, la question des droits linguistiques des hommes et des femmes marocains est sous-jacente à tous les droits humains. Les droits linguistiques des femmes marocaines passent par l’éducation comme moyen d’émancipation intellectuelle et réelle. Sans cela les femmes resteront à la marge des politiques linguistiques changeantes et resteront à la marge des langues dites « dominantes » sur la marché linguistique marocain.
Le Matin
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