Pourquoi quitte-t-on le navire Maroc ?

20 décembre 2003 - 01h44 - Espagne - Ecrit par :

Les raisons qui nous font passer pour des hordes d’envahisseurs, sont à chercher en nous. Six mille gamins imberbes, parmi les clandestins d’Espagne. Comment en est-on arrivé au point que même nos enfants nous quittent ?

Le Maroc est un pays que l’on quitte. Ce n’est pas de la provoc ; ce n’est même pas un sentiment diffus. C’est une réalité que l’on perçoit et que l’on vit. Bien que partir, c’est mourir un peu, cette donnée déliquescente ne nous étonne même plus, tellement on l’a intégrée. À tous les étages de la société. Heureux qui comme mon voisin a fait un aller simple, pour la vie. C’est le sauve-qui-peut généralisé. L’Espagne, notre porte cochère sur l’Europe, nous en fait un procès permanent. Avec des images qui transforment le plus normalement constitué des Ibériques en xénophobe intraitable.

José Maria Aznar était tout récemment encore chez nous pour nous le rappeler dans un emballage diplomatique de coopération. Et on serait mal venus de lui balancer à la figure Sebta et Mellilia. Ceci est un autre problème. D’ailleurs les deux présides étaient toujours occupés lorsque, il y a quelques décennies, le passage du détroit se faisait dans l’autre sens. En clair, le Maroc était un pays d’accueil et l’Espagne une terre de départ.

Séquelles

Si la tendance s’est inversée par rapport à l’Espagne, la frénésie marocaine vers l’expatriation a atteint les quatre points cardinaux. On pourra toujours dire que le flot migratoire actuel est un phénomène universel qui s’inscrit dans le grand déséquilibre Nord-Sud. Nous sommes à la confluence Nord-Sud, précisément.

Ce n’est pas pour autant que nous pouvons déverser sur les autres notre “trop plein” humain sous prétexte de contribution génitrice à une démographie évanescente, de libre circulation des personnes, ou l’on ne sait quelles séquelles coloniales. Les raisons qui nous font passer pour des hordes d’envahisseurs, même si des fois ce sont les meilleurs d’entre nous qui partent, sont à chercher en nous. C’est notre territoire et notre population.

Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à se référer à la toute dernière session de la haute commission maroco-espagnole. L’une des causes d’un capotage partiel concerne les mineurs clandestins. Comment ont-ils pu embarquer pour l’Espagne ces six mille gamins imberbes qui, légalement, ne devaient pas être libres de leurs mouvements ? Quelles que soient les considérations techniques pour résoudre ce problème par trop particulier, on ne va tout de même pas refiler ces bébés migrateurs aux Espagnols ! Comment en est-on arrivé au point que même nos enfants nous quittent ?

Pourtant, nous sommes un pays où il n’y a ni guerre civile, ni famine. On aime même à dire qu’il y fait bon vivre, en pensant secrètement à un cauchemar limitrophe. Mieux, on pousse l’optimisme jusqu’à vouloir faire de la “destination Maroc” un produit touristique parfaitement vendable.

Schizophrénie

Incroyable mais vrai, des étrangers tombent amoureux de ce même pays avec qui nous sommes en désamour. Alors, c’est quoi cette schizophrénie identitaire qui traverse tout le corps social ?

Lorsqu’on observe “la qualité” des partants selon leurs catégories sociales, on cesse de se focaliser sur l’immigration clandestine. Même si c’est autour de ce degré zéro de l’exil que le débat se cristallise et que les officiels s’activent.

Partent aussi ceux qui n’ont pas besoin de partir. Des nationaux du haut de l’échelle, beaucoup plus égaux que le reste de l’humanité nationale, matériellement à l’aise et parlant français sans accent. Là, on en tombe carrément des nues. Dans cette sphère où on ne lésine pas sur les moyens, parce qu’on en a, c’est l’argent qui part en premier. Généralement, les formalités de l’Office des changes ne font pas obstacle.

Si on n’est pas soi-même dans le circuit, on y a de bons amis. Vient ensuite la recherche éperdue de la double nationalité, franco-Schengen, canadienne ou américaine. N’être que « marocain » dans ce milieu, c’est une infirmité qu’il vaut mieux ne pas laisser paraître pour éviter le ridicule. À ce stade, on est déjà ici et ailleurs, avec plus d’ailleurs que d’ici, dans la tête. Une ubiquité psychologique que l’on retrouve dans le cercle des affaires, les strates très supérieures des pouvoirs publics et de la classe politique, et jusque dans le gouvernement, dans tous les gouvernements successifs.

Il arrive que, dans cet échantillon de luxe, on passe à l’acte, pour s’installer durablement outre-mer, avec femme, enfants et travel-chèques. Ceux qui font le grand saut sont, généralement, un cran social en dessous. N’empêche qu’ils participent tous de la même logique. Celle d’un gotha national qui semble ne jamais prendre pied dans le pays ; qui paraît toujours prêt à quitter le navire, quand il ne l’a pas déjà fait. Logique à effets désastreux sur ceux à qui on n’a pas laissé d’autre alternative que de partir.

Misère

Ceux-là partent, sans hésiter, la misère aux trousses et la mort dans l’âme ; parfois, la mort tout court, avant même la ligne d’arrivée. Ce sont tous les kamikazes du Détroit. Le jeune peuple des “harraga”. Il faut être bien portant pour affronter la houle du Boughaz et les garde côtes de Tarifa.

Tarik Bnou Ziad n’avait-il pas, lui aussi, mis le feu aux embarcations, pour ôter tout espoir de retour à ses troupes ! Lui, avait bâti une civilisation, certes, mais il y a comme une constante de “hrig” dans une tradition historique qui bégaie mal.

Mais “qu’ils mangent donc de la brioche”, ces jeunes fous qui risquent leurs vie alors que “personne ne meurt de faim dans ce pays” ! Voilà une réflexion de bon sens gastronomique qui vaut tous les programmes politiques et toutes les planifications de développement. Il suffisait d’y penser. À moins que nos jeunes harraga n’apprécient pas la brioche.

Maroc Hebdo

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