L’Espagne confirme le durcissement de sa politique d’immigration, perceptible depuis les élections du 9 mars, alors que la situation de l’emploi se dégrade rapidement. Le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero a annoncé, jeudi 8 mai, qu’il va allonger le délai maximum de rétention des étrangers en situation irrégulière, aujourd’hui de quarante jours. Très contestée, la directive européenne visant à harmoniser les normes applicables aux clandestins, qui doit être votée en juin, autorise une durée de rétention de dix-huit mois.
Le ministre espagnol de l’intérieur, Alfredo Pérez Rubalcaba, a fait valoir que le délai actuel est parfois trop court "pour identifier et rapatrier" les immigrants qui tentent d’entrer irrégulièrement en Espagne. Il a usé d’un vocabulaire plutôt réservé jusqu’à présent à l’opposition conservatrice. "Si nous sommes laxistes avec l’immigration illégale, nous favoriserons les mafias et cette avalanche, personne ne l’arrêtera", a-t-il déclaré. Il a aussi mis en avant la nécessité de déjouer, par les rapatriements, "l’effet d’appel" sur les candidats à l’immigration.
Discours atypique
La création d’un ministère de l’immigration dans le nouveau gouvernement de M. Zapatero avait constitué le premier signe de cette inflexion politique. Le chef de l’exécutif l’a confié à un socialiste au discours atypique sur l’immigration, plus empreint de réalisme. Celestino Corbacho a été maire d’une grande ville de la banlieue de Barcelone comptant un tiers d’immigrants, L’Hospitalet de Llobregat. Il a coutume de dire que "l’immigration ne peut pas fonctionner selon la règle du dernier inscrit à la mairie". Vendredi, un porte-parole des conservateurs du Parti populaire (PP) a lancé aux socialistes un ironique "bienvenue" sur "les thèses du PP".
C’est la deuxième fois que M. Zapatero infléchit sa politique sur l’immigration. Le premier tournant s’était produit en septembre 2006, un an après la crise des Canaries, lorsque des centaines d’Africains embarqués sur des canots de pêcheurs avaient afflué sur les côtes de l’archipel. Le pouvoir socialiste avait alors annoncé qu’il ne procéderait plus à des régularisations collectives de sans-papiers, comme cela avait été le cas en 2005. Cette année-là, près de 600 000 travailleurs sans papiers avaient obtenu un titre de séjour, après accord entre le gouvernement et les partenaires sociaux. L’opposition espagnole, mais aussi Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, avaient accusé le gouvernement d’avoir provoqué, par cette mesure, un "effet d’appel" sur l’immigration.
Que cela ait été le cas ou non, les étrangers continuent d’être nombreux à venir chercher du travail en Espagne. Selon les statistiques officielles publiées jeudi, entre mars 2007 et mars 2008, 956 000 titres de séjour supplémentaires ont été accordés (+ 30 % en un an) qui porte le total à 4,2 millions. Parmi les nouveaux bénéficiaires, les Roumains ont été les plus nombreux (400 000), suivis par les Marocains (100 000) et les Bulgares (63 000). Au total 137 000 Latino-Américains ont obtenu des papiers.
Le changement de cap socialiste coïncide avec la dégradation rapide de l’emploi. L’augmentation du chômage touche au premier chef les étrangers, dont un demi-million est sans emploi. Leur forte présence dans le secteur en crise du bâtiment a fait grimper leur taux de chômage à 14,65 %, contre 8,73 % pour les Espagnols.
Source : Le Monde - Cécile Chambraud