Les travailleurs migrants sont-ils particulièrement frappés par la crise économique ?
La crise intervient dans un paysage singulier : ces dernières années ont été caractérisées par des flux migratoires très importants, avec un regain de l’immigration de travail. Les immigrés ont largement bénéficié des créations nettes d’emplois dans les pays de l’OCDE.
La crise inverse tout, selon la règle "dernier entré, premier sorti". Les immigrés sont plus touchés que les autres parce qu’ils sont concentrés dans les secteurs les plus exposés, dans les qualifications peu élevées, les emplois temporaires, les statuts précaires. Dans les premiers pays touchés, ils ont été très vite balayés.
Au-delà du chômage, quel est l’impact de la crise sur les migrations ?
Certains prédisent une explosion du nombre de clandestins, une chute des migrations, la multiplication des retours au pays... Tout cela est basé sur du vent. A ce jour, on a très peu d’éléments de mesure. Je crois qu’on ne peut pas s’attendre à des retours massifs de travailleurs migrants, car la situation est pire dans les pays d’origine.
On a vu, dans les années 1970, que les immigrés ne rentraient pas chez eux. Dernièrement, l’Espagne a annoncé un objectif de 100 000 retours, avec une forte incitation financière. Ils n’ont même pas 2 000 demandes... Quant aux clandestins, la crise à elle seule aurait plutôt tendance à réduire leur nombre, en limitant l’intérêt économique de la migration.
Beaucoup de migrants en Europe viennent de nouveaux adhérents à l’Union européenne : Pologne, Roumanie... Y a-t-il une situation spécifique aux Vingt-Sept ?
L’élargissement de l’Union européenne a déclenché des migrations bien plus importantes que ce qu’avait prédit la Commission. L’immigration au Royaume-Uni et en Irlande a très fortement augmenté, et des pays comme l’Espagne, le Portugal ou la Grèce sont devenus des destinations pour les migrants à la recherche de travail.
En quelques années, les Roumains sont devenus la première nationalité étrangère en Espagne, devant les Marocains et les Latino-Américains ! A l’heure où le chômage pousse les Espagnols à revenir vers les emplois saisonniers qu’ils avaient abandonnés aux immigrés, le gouvernement a peu de marges de manoeuvre...
Quel message voulez-vous adresser aux pays de l’OCDE ?
La crise est porteuse de racisme, de xénophobie. On entend des discours qui dérapent. Beaucoup de pays ont durci leur politique migratoire, réduisant leurs quotas, se montrant plus sévères avec les clandestins, appliquant strictement la préférence accordée aux chômeurs nationaux...
Nous voulons inviter les gouvernements à une analyse équilibrée. Leur rappeler que la croissance s’est faite avec les immigrés, qui font partie de leur économie. Le vrai enjeu aujourd’hui, c’est de ne rien lâcher sur les politiques d’intégration. Au contraire, il faut profiter de la crise pour mettre en place des politiques de formation, afin de mieux utiliser les qualifications des travailleurs migrants ; permettre aux immigrés de passer d’un statut à un autre, puisqu’on sait qu’ils ne repartiront pas.
Pour l’OCDE, les pays développés doivent-ils rester des terres d’immigration, même en temps de crise ?
Oui. Certains besoins de main d’oeuvre sont structurels et résisteront à la crise, notamment dans le secteur de la santé, le soin aux personnes âgées. En période de reprise, les immigrés apportent souplesse et dynamisme. Restent ensuite les questions géopolitiques : on ne peut pas chercher des marchés et des matières premières dans les pays en développement et leur fermer complètement la porte.
L’histoire des migrations a toujours été celle du donnant-donnant. Les pays occidentaux n’ont pas intérêt à voir se développer à leur porte des situations explosives, qui entraîneraient une montée en flèche des migrations incontrôlées : réfugiés, demandeurs d’asile ou clandestins.
Source : Le Monde - Grégoire Allix