
Jeudi dernier, la journaliste Mélissa Theuriau a fêté ses 46 ans. L’occasion pour son mari, l’humoriste franco-marocain Jamel Debbouze de lui faire une belle déclaration.
Leïla ne quitte pas des yeux son bébé, le petit Omar, né il y a trois semaines, et qu’elle caresse tendrement. « Le gentil agneau qui ne pleure jamais » est enveloppé dans un grand drap de coton, « un manta », aux couleurs marron, beige et blanc : il représente un lion, « afin qu’il devienne fort », précise Leïla.
Assise dans le salon marocain au milieu des coussins, elle est entourée de sa sœur, de son mari, le volubile Mohammed, 32 ans, qui a assisté à l’accouchement à l’hôpital Mohammed-V de Tanger, comme un père moderne. La jeune Berbère est toute à sa joie d’avoir mis au monde, pour son premier enfant, un garçon, ce qui, dans la société musulmane marocaine, lui vaut, à 23 ans, respect et attention de la famille, des voisins, des amis.
Tous sont venus voir « monsieur Omar », « Sidi Omar », comme l’a surnommé sa grand-mère maternelle, l’enfant portant le prénom du grand-père paternel. Un usage en cours depuis toujours dans le royaume chérifien. Tous, à la première visite, ont apporté de l’argent. La tradition le veut, sinon ce serait considéré comme un grave impair. Si les poches du mboua (le père) sont très vite remplies de billets et de pièces, l’enfant aura une vie riche en promesses…
« Cadeau d’Allah »
La timide Leïla, qui a 11 frères et sœurs – son père ayant deux épouses – n’est pas peu fière : elle vit comme un rêve « ce cadeau d’Allah » que représente son garçon. Une fille, doit-on le relever, n’est pas aussi fêtée ! Elle n’est pas près d’oublier les festivités qui ont suivi, surtout « la fête du septième jour », la sboua.
Ses mains étaient recouvertes de dessins géométriques, réalisés la veille avec du henné. Ses yeux étaient lourdement soulignés par du khôl. Leïla portait une tchita, un caftan de soie blanche parsemé de fils d’or, ouvert comme un manteau. « Une tenue prêtée par une autre de mes sœurs, Saïda, raconte-t-elle, car ce genre de caftan coûte trop cher, environ 400 €. Dans les familles, c’est souvent la première fille mariée qui prête aux autres le caftan. On le garde ainsi longtemps. »
Plus que fidèle à la tradition, Mohammed, qui est l’« homme à tout faire » du bureau de Tanger de la deuxième chaîne de télévision marocaine, a fait venir pour ce jour-là un orchestre d’hommes sur la terrasse de la petite maison qu’il vient d’acheter dans un quartier populaire de Tanger. Un mouton y a été égorgé par l’imam de la mosquée, sous les youyous des femmes. On y a partagé aussi des poulets, des figues, des morceaux de sucre candi, et des cornes de gazelle.
Les musiciens, vêtus pour la circonstance d’une djellaba orange, couleur incontournable pour une naissance, ont frappé pendant vingt-quatre heures sur leurs tambourins, selon un rite immuable : le jour, ils ont joué pour les hommes, la nuit pour les femmes qui, elles, se réunissent pour fêter une naissance jusqu’à minuit.
« Oui, c’était beau, s’exclame Leïla, mais en même temps si fatigant. J’avais accouché trois jours auparavant ! » Sa mère, pourtant, à la fin de l’accouchement, avait apporté dans une écuelle à l’hôpital le remontant-miracle prisé de toutes les Marocaines, du sfouf, un mélange sucré à base d’amandes, de noix et de farine, donné à toute jeune accouchée.
Coutumes ancestrales
Ces coutumes ancestrales plaisent à Leïla qui, dans le même temps, est une jeune femme désireuse de profiter « des choses de la vie moderne », en particulier « des couches jetables » ; hors de prix pour elle, éparpillées dans la chambre des parents, ce sont des cadeaux de la famille. Elle accepte sans états d’âme cette autre coutume, refusée par de nombreuses Marocaines aujourd’hui, celle de ne pas sortir pendant quarante jours, jusqu’au retour de couches.
Au dernier jour, Leïla coupera les cheveux d’Omar, conservés ensuite dans une boîte, lui en laissant juste quelques-uns, tenus par un fil sur lequel on mettra de l’huile. Il gardera jusqu’à l’âge de deux à trois ans cette coupe traditionnelle. Leïla se moque bien de rester cloîtrée ces quelques semaines. Le monde extérieur ne l’intéresse plus ; pour l’instant, elle est tout amour pour le petit bonhomme qu’elle nourrit au sein.
Elle veut croire qu’elle a du bon lait grâce au repas spécial que sa mère lui avait préparé et servi, dès l’après-midi de l’accouchement et pendant une semaine. Le « repas du lait » (rfissa : littéralement « que le précieux liquide arrive vite ») est indispensable dans la société marocaine. Il se compose d’un poulet cuit dans une sauce pimentée au ras-el-hanout, et de morceaux de pain que l’on y trempe.
La jeune femme laisse souvent parler son époux à sa place, fou de joie de la venue au monde d’un petit bout d’homme dans la famille Elazzabi. Leïla, si câline avec Omar, qui suit avec une ferveur silencieuse les moindres mouvements du bébé, ne pense pas à ce qu’il fera « quand il sera grand » ; Mohammed, lui, sait déjà qu’il sera « un athlète, un champion ». « Je vais le préparer tout petit à la course », s’exclame-t-il.
Il y a un air de revanche dans cette déclaration. Dans les années 1986-1988, lorsqu’il était au collège à Marrakech, Mohammed était un des champions d’athlétisme : « Malheureusement, ma famille était trop pauvre. Et, je n’avais pas les moyens de m’entraîner. » Comme s’il avait écouté son père, Omar lève une minuscule main, lui donnant ainsi une sorte d’aval.
Leïla se met à rire, subjuguée, de concert avec sa sœur Hamma qui veille sur l’enfant et sur elle, donnant moult conseils, dont le dernier ramène la jeune mère à la réalité : « Avant de reprendre ton travail, il va falloir, lui dit-elle, que tu te mettes à la recherche d’une crèche, pas trop loin de chez toi. Autrefois, on prenait à la maison de jeunes filles de 12-13 ans pour s’occuper des bébés. Maintenant, on n’a plus confiance. »
Leïla voulait oublier qu’il lui faudra reprendre son travail au bout de trois mois, comme en France : venue de Khémisset, bourg berbère situé près de Rabat, où elle ne trouvait aucun emploi, elle a « émigré » vers Tanger. Là, elle est devenue fonctionnaire au sein de l’administration de la ville, a rencontré Mohammed, lui aussi parti d’une autre ville, Marrakech. « Nous sommes tombés amoureux », raconte-t-elle. Cette histoire d’amour a débouché sur un mariage qui n’avait rien d’arrangé par les familles. Et sur la naissance du charmant « monsieur Omar ».
La Croix - Julia Ficatier
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