Costume-cravate de jeune cadre dynamique ou look casual décontracté du week-end ? La question quasi existentielle turlupine Abdelhadi en ce dimanche glacial, où on préfèrerait rester sous la couette. Sauf que ce jeune consultant en management à Paris avait prévu depuis des semaines de se rendre au Forum horizons Maroc, afin de prendre contact avec d’éventuels recruteurs marocains. A l’intérieur du Palais des congrès de Paris, l’ambiance est plutôt professionnelle et sérieuse. Les jeunes visiteurs du Forum attendent sagement et patiemment devant les stands des entreprises participantes. Parfois, l’attente dure une vingtaine de minutes, avant de pouvoir s’entretenir brièvement avec les représentants des entreprises. A l’entrée du Forum, les files d’attente devant le stand de l’ONA impressionnent le visiteur. “C’est normal, on ne prête qu’aux riches. Le holding royal fait toujours fantasmer les Marocains”, commente Abdelhadi, avant de se ranger à son tour dans une file d’attente, pour pouvoir glisser son CV.
Des racines et des ailes
Organisée par l’AMGE-Caravane, une association d’étudiants marocains des grandes écoles françaises, la manifestation affiche cette année un taux de participation largement supérieur aux éditions précédentes. Selon les organisateurs, plus de 3500 visiteurs ont arpenté les allées du Palais des congrès et 60 entreprises y ont pris part. La crise économique qui frappe la France et le spectre de la récession sont présentés comme des éléments explicatifs de cette grande affluence. “Cette année, nous avons remarqué la présence d’un nouveau profil : des cadres avec une grande expérience qui cherchent à rentrer au Maroc”, note Linna Hadj Hammou, cheville ouvrière de cet évènement. Les stands des banques, des cabinets de consulting et d’audit ne désemplissent pas, des entreprises appartenant aux secteurs les plus touchés par la crise en France.
Hani Guennioui, autre responsable de l’organisation du Forum, avance d’autres explications moins prosaïques. “L’intérêt public et l’intérêt individuel ne sont pas irréconciliables. On peut très bien servir son pays tout en servant son propre intérêt”, nous fait-il remarquer. Adam Smith n’aurait pas dit mieux. Pour Hani Guennioui, l’élément patriotique est présent chez beaucoup de jeunes cadres et diplômés et explique leur souhait de rentrer au Maroc. Le jeune homme, qui se définit comme fils d’un paysan, conclut par une formule qui sonne comme un slogan : “Le Maroc nous a donné des racines, il est temps de lui donner des ailes”.
Besoin de reconnaissance
Pendant ce temps-là, Abdelhadi, notre jeune consultant, découvre les stands du Forum et s’amuse à faire des comparaisons. “J’ai visité le stand d’un cabinet international de conseil en recrutement et celui d’une banque marocaine. Le premier était animé par un jeune trentenaire, dynamique et affable, qui vous regarde droit dans les yeux, tandis qu’au deuxième, on s’est contenté de me tendre d’une main paresseuse un formulaire à remplir. Deux styles et deux mondes différents”, soupire-t-il. Comme d’autres cadres habitués à un climat professionnel austère et ultracompétitif, ce lauréat d’une grande école d’ingénieurs appréhende un manque de rigueur dans les entreprises marocaines. “J’espère que c’est juste un a priori sans fondements”, tempère-t-il par la suite.
En face d’un espace réservé aux entretiens d’embauche, deux jeunes garçons manifestent un désintérêt total face aux échanges professionnels qui se déroulent devant leurs yeux. Leur dégaine d’éternels étudiants peu pressés de quitter leur statut actuel contraste complètement avec l’ambiance des lieux. Les deux Amine sont venus en spectateurs au Forum. “Les entreprises présentes ici sont loin d’être de vraies entreprises marocaines. Les jeunes cadres qui vont être recrutés ici, seront, au mieux, des petites mains du capitalisme international”, affirme le premier, pourtant étudiant en finances. Les deux compères ont une petite théorie sur les motivations qui animent ces jeunes diplômés et cadres pour rentrer au Maroc. “C’est la reconnaissance. Ils rêvent de voir le reflet de leur réussite sociale dans les yeux des gens qu’ils vont fréquenter au Maroc”, affirme le deuxième Amine, étudiant en management. Pour lui, la vie en France est marquée généralement par l’anonymat et l’absence de marques distinctives de la réussite sociale. “Dans le métro, tu peux avoir en face de toi un haut cadre bardé de diplômes, et un ouvrier sans grandes qualifications, sans pouvoir le deviner ni distinguer entre les deux”, ajoute-t-il. A l’inverse, dans une société encore fortement hiérarchisée comme le Maroc, la reconnaissance de la réussite sociale est perceptible partout, car “tout le monde là-bas vous renvoie l’image de votre réussite, et surtout ceux qui sont en bas de l’échelle sociale”, expliquent nos deux observateurs.
Effort oui, sacrifice non
La recherche d’une meilleure qualité de vie est présentée également comme explication pour cette volonté de retour au Maroc. Pour Abdelhak, directeur d’un supermarché en région parisienne, l’expérience du retour mérite d’être envisagée. Marié à une Franco-marocaine et père d’un enfant de trois ans, Abdelhak ne cache pas son mécontentement du rythme effréné que lui impose sa vie en France, et notamment en région parisienne. “Le stress, les heures perdues dans les embouteillages pour rejoindre le travail, le peu de temps libre pour profiter d’une vie sociale intense comme celle que je retrouve au Maroc pendant mes vacances” sont présentés comme des raisons suffisantes pour vouloir changer de vie et de pays. “Je suis disposé à faire un effort sur la rémunération, en acceptant un salaire inférieur à celui que je touche en France. Mais il ne faut pas que ce soit un sacrifice non plus”, précise-t-il. Une brève discussion avec un responsable d’une enseigne de grande distribution au Maroc, présente à ce Forum, permet à ce jeune gérant de décrocher un prochain entretien de recrutement. De même que pour Abdelhadi, dont le CV a fortement intéressé les recruteurs d’un cabinet de consulting installé à Casablanca. “Un aller simple Paris-Casablanca commence à se profiler”, commente-t-il, avec le sourire satisfait et l’œil qui frétille.
Source : TelQuel - Abdellah Tourabi