Le Maroc a connu une croissance économique assez soutenue depuis 2000, après l’accession au trône du roi Mohammed VI. Le royaume prend des mesures pour attirer les investissements étrangers et devenir une grande puissance régionale.
Au siège du Parlement, le débat est de mise entre conseillers et ministres dans le cadre de la séance des questions orales. Le lendemain, mercredi, ce sera au tour de la Chambre des représentants d’en faire de même. Comme d’habitude, en deux jours, les élus des deux Chambres auront posé une cinquantaine de questions aux représentants de l’Exécutif, sans compter les questions d’actualité.
Selon le site du ministère des relations avec le Parlement, depuis le démarrage de la VIIIe législature en novembre dernier, ces séances ont permis à la Chambre des représentants d’obtenir pas moins de 472 réponses de la part de l’Exécutif, contre 283 pour la Chambre des conseillers. Un nombre respectable, sauf qu’il reste encore 1139 réponses à donner, sans oublier les questions à venir. Il n’est mathématiquement pas possible de tout traiter.
Les thèmes abordés sont divers, allant de la prospection pétrolière au prix des médicaments destinés au traitement des maladies chroniques en passant par la hausse des accidents de la circulation. Souvent, ce sont les mêmes responsables qui sont interrogés : santé, agriculture, éducation nationale, intérieur, habitat, sans oublier - actualité oblige - les affaires économiques et générales sont, en effet, les portefeuilles considérés comme les plus proches des soucis quotidiens du citoyen.
L’exercice n’est pas à prendre à la légère. Malgré son ambiance feutrée, le Parlement peut être le siège de batailles aussi brèves que sanglantes à l’occasion de ces séances retransmises en direct par la première chaîne, de 14h30 à 18h le mardi et le mercredi. Et ce n’est pas le faible taux d’audience - on avance le chiffre de 300.000 - qui démontrera le contraire.
Chez les ministres abonnés, on avoue craindre la Chambre des représentants un peu plus que celle des conseillers. La raison ? Le temps de parole. En effet, contrairement à la première Chambre où député et ministre ne disposent chacun que de trois minutes pour poser la question, y répondre, réagir et répliquer à la réaction, la deuxième en offre deux de plus, assez en tout cas pour augmenter les chances des ministres d’échapper aux pièges de cet oral pas comme les autres.
Peaux de banane et mauvaise foi
« Obligés » de montrer à la fois à l’assistance, mais également aux téléspectateurs -facteur qui est pris en compte par les uns et les autres - qu’ils maîtrisent leur dossier face à des députés qui, eux, cherchent à montrer leur valeur en les mettant au pied du mur, les ministres courent d’emblée un premier danger : épuiser leur temps de parole en un coup.
« C’est toujours une frustration, surtout quand - et c’est une question qui revient souvent - on se voit demander de décliner sa stratégie pour le département dont on a la charge. Imaginez-vous en train d’expliquer cela en trois minutes », confie ce ministre. Malgré la difficulté, le concerné doit non seulement respecter le timing, mais aussi rationner son temps de parole. Gare à celui qui n’aura pas mis au moins quelques secondes de côté : « L’important ne réside plus dans la question et la réponse, mais dans la réaction et la contre-réaction », explique cet autre membre du gouvernement.
« Dans la majorité des cas, la réaction des députés par rapport à la réponse des ministres est imprévisible, mais il faut, et c’est une affaire de secondes, réagir à la réaction. C’est là que le ministre va marquer ou perdre des points », explique ce ministre.
« Si le député veut “smasher”, c’est le cas de le dire, il va seulement vous servir la balle au moment de la question, mais passera à la vitesse supérieure au niveau de la réaction ». En effet, expédiée en vingt à trente secondes - alors que les deux rivaux disposent d’un temps de parole équivalent -, la question dure bien moins que le commentaire (taâqib), au point que certains députés arrivent dans l’hémicycle en ayant rédigé ce dernier, alors qu’ils ne sont même pas censés connaître la réponse du ministre...
Autre piège classique : les questions surprise. Après avoir annoncé une question par écrit, il arrive que des députés décident, au moment de la poser à l’oral, d’en poser une autre, quitte à faire une entorse au règlement qui impose un délai de 20 jours, et impose de simples réponses écrites aux questions à portée locale. Qu’à cela ne tienne, face aux téléspectateurs qui ignorent souvent ces règles, l’effet est ravageur.
Des coups de pouce pour débloquer des dossiers ou pour exposer son travail
Au-delà de la maîtrise des données et du temps de parole, les ministres peuvent aussi se trouver confrontés à des difficultés... linguistiques.
Certes, dans la pratique, notre bonne vieille darija est largement tolérée aux côtés de l’arabe, mais cela ne facilite pas forcément les choses pour les ministres technocrates, souvent francophones. Pour faire face aux élus du peuple, les ministres seraient allés jusqu’à suivre des cours d’arabe, d’autres encore rédigeraient leurs réponses en caractères latins.
Après tout, à la guerre comme à la guerre, sauf que les précautions ne mettent pas toujours les concernés à l’abri, comme dans le cas de ce membre du gouvernement qui, en indiquant à un député son intention de lui répondre « de A à Z », a oublié de remplacer le « ? » par le « ? », dernière lettre de l’alphabet arabe.
Ironie du sort, même les arabophones les plus endurcis ne semblent plus à l’abri des surprises. En istiqlalien de souche qu’il est, Nizar Baraka, ministre délégué aux affaires économiques et générales, n’aurait, a priori, pas pu être pris en défaut sur ce plan. Sauf qu’en novembre 2007, ce dernier s’est vu poser une question orale... en tamazight et se voir reprocher de ne pas le parler.
Répondre aux députés peut également nécessiter une maîtrise du sujet dans des domaines imprévus. Ce fut le cas pour Mohamed Boussaïd, à l’époque ministre de la modernisation des secteurs publics, qui avait dû puiser dans le Coran pour donner la réplique aux députés du PJD qui avaient fait appel au Livre sacré pour demander un arrêt de travail prolongé en milieu de journée le vendredi, alors que l’horaire continu venait d’être instauré dans l’administration.
Fort heureusement, le ministre avait opportunément cité la suite du verset, omise par les députés, appelant à la reprise des activités après la prière du vendredi. Enfin, les parlementaires peuvent parfois être de mauvaise foi, même quand ils appartiennent à des formations faisant partie de la majorité gouvernementale.
Karim Ghellab, ministre istiqlalien de l’équipement et du transport, en a fait l’amère expérience il y a quelques semaines. Pris à partie sur le sujet du projet de TGV, il a été interloqué de s’entendre dire que ledit projet n’avait pris corps qu’à la suite de la visite au Maroc du président français Nicolas Sarkzy, en novembre dernier. L’insinuation était claire : le projet qui mobilisera des dizaines de milliards de DH a été opportunément sorti pour faire plaisir à la France.
En réalité - et La Vie éco est bien placée pour en parler, ayant dévoilé le scoop il y a quatre ans déjà - les première études sur le projet de TGV datent de 2003.
L’ambiance n’est toutefois pas systématiquement à la guerre entre représentants du législatif et de l’Exécutif, et même quand c’est le cas, cette dernière n’est pas forcément injustifiée. « Je les comprends, ils ne sont pas là pour nous caresser dans le sens du poil, chacun doit jouer son rôle, y compris les députés de mon parti. Je représente le gouvernement, il faut qu’il y ait contrôle du gouvernement, la complaisance n’a pas lieu d’être », explique ce ministre. Il y a des éléments positifs.
« Certaines questions soulèvent de véritables problèmes, qui doivent justement être posés au ministre pour attirer son attention sur telle situation, telle chose à modifier, régler, contrôler », indique de son côté Mohamed Ibrahimi, député USFP de la première Chambre, et ce dernier de citer l’impact des questions posées à la suite de l’incendie de Lissasfa, qui ont eu pour mérite de permettre au ministre concerné de revoir la situation des inspecteurs du travail.
Sur un plan plus terre-à-terre, rares sont ceux qui le reconnaissent, mais il arrive même que les députés tendent la perche à un membre du gouvernement, à plus forte raison s’il est du même parti, et vice versa. Pour les ministères les plus attaqués, c’est un moyen de faire le point sur les difficultés rencontrées dans le cadre de leur mission.
Qant aux ministres que les locataires de l’hémicycle ont souvent tendance à oublier, c’est une tribune - certes cousue de fil blanc - pour communiquer sur un projet donné. En dehors du champ des caméras, l’ambiance s’améliore nettement, surtout au niveau des commissions, où le débat entre représentants du législatif et de l’Exécutif se fait nettement plus pacifique, mais aussi plus approfondi.
On l’aura compris, de manière globale, les députés donne l’impression de prendre un malin plaisir à coincer les ministres. Plusieurs concernés avouent d’ailleurs avoir la sensation que la forme prend le pas sur le fond. Une interrogation qui soulève justement le problème de l’efficacité d’une institution où, à côté de questions parfois insignifiantes, on peut également se retrouver à répondre à la même question posée au niveau d’une Chambre ou de l’autre.
Selon le règlement du Parlement, deux séances de questions orales sont organisées toutes les semaines, le mardi pour la Chambre des conseillers, le mercredi pour celle des représentants. Dans les deux cas, les débats sont retransmis sur la première chaîne, de 14h30 à 18h, mais, avant de passer sur le petit écran, les questions doivent suivre tout un processus.
Un rendez-vous constitutionnel, mais quelle en est l’utilité ?
En effet, conformément à la Constitution, une question orale doit être soumise par écrit. Dans la pratique, au niveau des groupes parlementaires les plus organisés, une première sélection se fait à ce niveau-là.
Chez les députés PJD, par exemple, les questions des députés sont soumises à l’une des six sous-commissions du groupe, créées à l’image des commissions du Parlement, qui auront pour tâche de l’examiner, explique Mustapha Ramid, président du groupe.
En cas d’urgence, c’est le coordinateur de la sous-commission concernée ou le président du groupe qui procède aux changements nécessaires, approuve la question et la transmet au bureau du Parlement. Un processus similaire est observé au niveau de l’USFP, comme l’explique Ahmed Zaïdi, numéro un du groupe.
« Par exemple, un député a voulu poser une question sur les retombées de la campagne agricole dans une région précise. Nous avons estimé que le mieux était de poser la question dans sa globalité : quels sont les résultats de la saison agricole et leur impact sur le monde rural », explique-t-il. Il faut dire que, selon le règlement des deux Chambres, les questions orales doivent par définition avoir une portée nationale.
A la Chambre des représentants, le règlement intérieur donne même au bureau de la Chambre la possibilité de transformer toute « question orale ayant un caractère personnel ou local en question écrite, après notification par écrit à son auteur », lequel dispose de huit jours pour signifier son accord ou son refus.
Mécontentement de part et d’autre
Passé l’approbation par le chef du groupe parlementaire, la question est transmise au bureau du président de la Chambre, qui la remet ensuite au ministère des relations avec le Parlement, lequel, à son tour, transmet la question au ministère concerné.
A partir du moment où la question arrive entre les mains du gouvernement, le ministère concerné dispose d’un délai de 20 jours pour y répondre, même si dans la pratique il peut s’écouler plusieurs mois avant de voir le député poser la question sur le petit écran. En effet, dans la pratique, les députés posent plus de questions que ce que leur permet le quota attribué en fonction de la taille de leur groupe parlementaire.
Malgré ses airs de processus bien ficelé, le système pose bien des problèmes aussi bien aux parlementaires qu’aux ministres. Sans grande surprise, les premiers - souvent de l’opposition - reprochent aux seconds leur absentéisme. Ils aimeraient bien avoir en face d’eux le gouvernement dans son ensemble, et en premier lieu son chef, Abbas El Fassi, qui, en tant que politique, se voit réclamer une meilleure écoute de l’institution que son prédécesseur, Driss Jettou. Au delà, certains soulignent que, dans la prtique, les 20 jours réglementaires ne sont pas toujours respectés, ce qui signifie que, souvent, les questions sont dépassées lorsqu’elles parviennent au Parlement. Une situation qui justifierait le recours un peu excessif aux questions d’actualité pour accélérer le processus.
Sauf que selon le règlement, c’est à ces mêmes députés qu’il revient de déterminer, parmi les questions orales posées mais restées sans réponse, celles qui seront abordées durant la séance...
En face, les ministres sont tout aussi mécontents : leur principal argument ? Le coût des séances de questions orales en temps de travail. Après tout, les députés disposent à l’avance de la liste des ministres en mesure d’assister à la séance de questions orales suivante, et prennent très mal les absences, d’autant plus que, dans ce cas, le règlement leur donne le droit de poser quand même leur question devant les caméras, et se passer de réplique officielle, un avantage dont certains n’auraient pas hésité à abuser en programmant des questions tout en sachant que le responsable concerné n’allait pas être présent.
Obligés de faire acte de présence, les ministres ne sont prévus de leur passage devant le Parlement et des questions qui leur seront soumises que 24h à l’avance. Difficile donc de s’engager pour des réunions importantes ou des déplacements les mardis et mercredis après-midi.
A cela s’ajoute le temps de préparation des questions qui prend une bonne partie des matinées du mardi et du mercredi, d’autant plus que, pour être en mesure de répondre de manière adéquate, plusieurs ministres se disent forcés à rédiger leurs réponses eux-mêmes. « Nous sommes obligés de sortir les questions du lendemain de la banque des questions reçues, vérifier la réponse, actualiser aussi bien les chiffres que les données, ce qui revient pratiquement à refaire le travail », explique ce ministre dont l’administration a aujourd’hui une centaine de questions orales « dans le pipe ».
« Vous y perdez la matinée, car le Parlement est une institution constitutionnelle, médiatisée, il ne faut pas y raconter de bêtises, et toujours s’y rendre avec le souci d’apporter du nouveau », explique-t-il. Un processus qui se reproduit le lendemain avec les questions destinées à la Chambre des représentants.
Mais ce n’est pas tout, car au travail du matin vient s’ajouter l’attente de l’après-midi, notamment pour les ministères sollicités en fin de séance. Contraints de faire le pied de grue pendant des heures, histoire de ne pas être en retard, ces derniers risquent, si les discussions dépassent 18 heures, heure à laquelle se termine la retransmission en direct, de se voir priés de reporter la question à la semaine suivante, une fois que les caméras seront de retour. Même en quittant l’hémicycle plus tôt dans l’après-midi, les concernés risquent, horaire continu oblige, d’arriver au bureau alors que les fonctionnaires en sont déjà partis.
Ainsi, dans la pratique, il arrive souvent que les ministres les plus sollicités perdent une journée et demi de travail par semaine. A cette dernière s’ajoute une autre matinée le jeudi, qui, elle, est consacrée au Conseil du gouvernement... Une perte de temps d’autant plus irritante dans le cas des questions orales qu’il arrive souvent de se voir poser des questions similaires d’une Chambre à l’autre, quand leurs auteurs ne sont pas des groupes parlementaires issus des mêmes partis...
Désormais, pour renforcer l’efficacité du Parlement, certains proposent de revoir les attributions de la deuxième Chambre pour éviter les redites. Mais ce changement, qui implique forcément une révision de la Constitution, n’est pas le seul proposé. D’autres réglages, plus accessibles dans l’immédiat, semblent possibles au niveau des règlements intérieurs des deux Chambres, tels que la mise en place d’une structure de coordination entre les deux instances, ou encore la mise en place de sessions orales thématisées, qui permettraient de traiter en profondeur de certains sujets tout en réduisant le nombre de séances auxquelles les ministres doivent assister.
Enfin, certains proposent tout simplement d’homogénéiser les règlements intérieurs des deux Chambres qui comprennent des différences dont l’utilité n’est pas toujours perceptible, comme dans le cas des questions urgentes de la « ihata » où les députés peuvent réagir sur les thèmes de leur choix, sans répartie du gouvernement, et qui intervient en début de séance pour la Chambre des conseillers, et donc face aux caméras, et en fin de séance pour la deuxième Chambre.
Des réglages a priori limités, que l’appartenance des présidents des deux Chambres, Mustapha Mansouri et Mustapha Oukacha, à un même parti, le RNI, devrait pouvoir faciliter, sauf que les concernés risquent de rencontrer de fortes résistances à une réforme - chacun cherchant à protéger ses acquis - sans avoir le pouvoir de l’imposer. A mieux y réfléchir, toutefois, c’est peut-être au niveau des partis eux-mêmes et de leurs groupes parlementaires dans les deux Chambres que la réforme devrait débuter.
Source : La vie éco - Houda Filali-Ansary
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