Depuis la promulgation de la nouvelle loi « asile et immigration » en France, les expulsions sous OQTF visent désormais plusieurs catégories d’étrangers autrefois protégées par la loi.
Insultes et jets de pierre, la population subsaharienne pâtit d’un retour de haine avec la montée de l’immigration clandestine. Enquête.
“Azziya” est le premier mot en darija que Fatou a appris au Maroc. Celui que la jeune Sénégalaise a le plus souvent entendu dans la rue. Il lui a fallu peu de temps pour comprendre le racisme latent dans les rues de Casablanca. “Certains chauffeurs de bus refusent de s’arrêter à la station où je dois descendre. Quant aux passagers, nombreux sont ceux qui ne veulent pas s’asseoir à côté de moi de peur que je les empeste par, je les cite, ma mauvaise odeur”, raille-t-elle. Une de ses compatriotes, nounou, a été obligée par ses employeurs de passer des tests de sida avant d’être embauchée.
Des anecdotes, beaucoup d’immigrants subsahariens en ont à raconter. Et elles ne prêtent pas toutes à sourire. À une centaine de mètres du complexe immobilier Al Firdaous, principal point de chute des Subsahariens à Casablanca, Patrick montre une vitre cassée par des jets de pierre. À plusieurs reprises, la maison du jeune Angolais a été la cible des gamins du quartier. Patrick est en règle, travaille pour une ONG marocaine et aspire à une vie paisible. Mais le quotidien d’un homme de couleur est semé de petites embûches, des chauffeurs de taxi qui ne s’arrêtent pas aux agressions physiques. “Une fois, j’ai déposé une plainte. Les parents des assaillants m’ont rétorqué que leurs enfants avaient droit à tout parce qu’ils sont chez eux et que personne ne m’a invité à venir au Maroc”, se plaint-il. Les enfants reproduisent les mentalités familiales, la violence en plus. “Ils me lançaient des oranges pourries”, raconte une immigrée sénégalaise après avoir déménagé de son quartier.
“Ce que nous endurons est dû à un manque d’éducation”, s’explique Fatou. La jeune femme ne compte plus les attaques sous le regard amusé des parents. “La xénophobie est un sentiment latent parce que les Marocains se sentent plus arabes et maghrébins qu’africains”, analyse Khalil Jemmah de l’Association des familles des victimes de l’immigration clandestine. Des résidus culturels plus que d’une haine organisée, résume-t-il. Le racisme a fait son lit sur l’ignorance, véhiculant l’image de l’Africain sale, affamé et mendiant. “Ma patronne m’a insultée et accusée d’avoir laissé circuler librement des cafards parce que chez nous au Sénégal on les mangeait”, lâche, indignée une employée de maison.
Complexe de supériorité
La montée de l’immigration clandestine a accentué la mauvaise image des Subsahariens, les associant aux délinquants, et bon nombre de Marocains se sont radicalisés, explique un acteur associatif. Un Subsaharien sur trois pense que les Marocains ont peur d’eux, relève une enquête effectuée, il y a quelques mois, par l’Association marocaine d’études et de recherches sur les migrations sur près de 1000 immigrés. Plus alarmant, un immigré sur quatre estime que les Marocains le perçoivent de manière négative et le considèrent comme inférieur. Patrick confirme : “Une fois, j’étais dans un taxi rouge. Une dame est montée après moi et a demandé au conducteur de la déposer en premier. Devant son refus, elle a explosé de colère ne comprenant pas qu’il puisse privilégier un noir sur une Marocaine.”
Le tissu associatif s’inquiète et se mobilise. “Des concerts de musique africaine ont facilité l’intégration”, note, plein d’espoir, Amel Abou El Aâzm, membre de la défunte association Laounouna (notre couleur). Des problèmes d’organisation interne ont eu raison de la cause. Mais son bilan montre que la xénophobie des Marocains est facilement versatile. À 40 ans, Célin se souvient bien des incivilités des garnements de son quartier. Quand il a débarqué au Maroc il y a près de vingt ans, ce Congolais en était la risée. Puis, petit à petit, il est devenu leur ami grâce à sa guitare. “Chaque fois que j’étais attaqué, je sortais mon instrument et chantais en marocain. Les enfants se rassemblaient autour de moi, étonnés de voir un Subsaharien parler leur langue”, se remémore-t-il. Et d’ajouter : “Ils ont appris que j’étais médecin et que je pouvais soigner un des leurs. Maintenant, ils m’adorent et aident même ma femme à faire ses courses. Il suffit parfois d’un petit déclic pour éviter les actes de racisme”, concède-t-il avec philosophie. À bon entendeur…
Source : TelQuel - Nadia Lamlili
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