Certes, comme le font remarquer le GPBM et la Banque centrale, ce chiffre englobe aussi bien les découverts accordés aux entreprises que ceux consentis aux particuliers. En fait, sur le total, 86 milliards de DH sont des facilités de caisse dont bénéficient les sociétés tandis que les particuliers enregistrent des soldes débiteurs d’un montant de 5,2 milliards de DH.
91 milliards de DH, est-ce trop ou peu ? En fait, il faut davantage s’attacher à l’évolution de ces chiffres. Si, pour l’entreprise, l’accroissement des facilités de caisse est synonyme d’un dynamisme économique, pour les particuliers, en revanche, un compte débiteur plus élevé est la preuve d’une propension à l’endettement.
L’évolution de cet endettement est inquiétante : la somme des soldes débiteurs de la clientèle des particuliers était, à fin juillet 2008, de 30 % plus élevée que son niveau d’il y a un an. A fin janvier 2008, le chiffre était en effet de 4,8 milliards de DH, soit un accroissement du débit de 400 MDH en l’espace de six mois. Certes, les découverts enregistrés par les entreprises ont évolué de la même manière, mais certainement pas pour les mêmes raisons.
Pour les banquiers et analystes monétaires, l’endettement des particuliers est en train d’atteindre des niveaux qui suscitent la préoccupation. Il ne faut pas oublier qu’en plus de ces découverts consentis aux clients, il y a les crédits à la consommation et les crédits immobiliers dont l’évolution est encore plus élevée.
Les premiers, dont l’encours à fin juillet était de 23,4 milliards de DH, ont connu une hausse de 19 % par rapport au début de l’année (4 milliards de DH d’encours en plus en 7 mois) et de 34,4% par rapport à leur niveau de l’année dernière. Pour les crédits immobiliers, l’encours est passé de 77,5 milliards de DH en juillet 2007 à 85,3 milliards en décembre 2007 puis à 94,7 milliards de DH à fin juillet 2008.
Soit 17,2 milliards de DH d’endettement en plus en l’espace d’un an. Au final, selon les chiffres du GPBM et de Bank Al Maghrib (BAM) , en rajoutant les crédits immobiliers et à la consommation au surplus des soldes débiteurs des comptes-chèques, l’endettement global des ménages s’est accru de près de 24,4 milliards de DH entre juillet 2007 et juillet 2008.
L’effet de l’inflation se fait sentir
Une tendance que l’on retrouve d’ailleurs dans les statistiques des grandes banques de la place. Ainsi, chez Attijariwafa bank, les comptes à fin décembre 2007, même s’ils ne sont pas ventilés entre particuliers et entreprises, faisaient déjà ressortir des comptes à vue débiteurs à hauteur de 16,8 milliards de DH, contre 12,4 milliards à fin 2006. Du côté de BMCE Bank, ce poste, à la même période, enregistrait un niveau de 12,5 milliards de DH contre 7,8 milliards une année auparavant.
Quelles conclusions peut-on tirer de ces données ? Tout d’abord que les ménages ne s’endettent plus seulement pour acheter des logements, des voitures ou des équipements, mais aussi pour consommer sous l’effet de la hausse des prix et de l’inflation. Dans le secteur bancaire, on en est conscient.
« C’est une tendance conjoncturelle qu’il ne faut pas dramatiser outre mesure », signale un membre du GPBM. « Les crédits aux particuliers ont évolué deux fois plus vite, ces deux dernières années, qu’ils ne l’ont fait sur cinq ans », fait remarquer notre banquier pour qui « ceci est l’effet naturel et immédiat du dynamisme économique que connaît le pays ».
Admettons ! Mais alors, si la demande sur les crédits est de plus en plus forte, cela pose un tout autre problème aux banques de la place : la tension sur les liquidités. Car, ce qu’il faut savoir, c’est que les ressources ont du mal à suivre. Pire, depuis 2007 et pour les 7 premiers mois de 2008, on assiste à un décrochage inquiétant entre les crédits et les dépôts de la clientèle.
Si en 2005 et 2006, les dépôts ont crû plus vite que les crédits (respectivement 14% et 16,3% contre 9,5% et 15%), à partir de fin 2007, la tendance s’est brusquement inversée. A fin décembre de l’année dernière, les dépôts avaient augmenté de 16,6% contre 22,5% pour les crédits. La tendance s’est aggravée durant les sept premiers mois de cette année et, à fin juillet 2008, les dépôts ont évolué de +7,8% alors que l’encours des crédits, lui, a marqué une croissance de 11,5%.
Or, les dépôts sont l’indicateur par excellence du niveau d’épargne de la clientèle. Et c’est justement un indice de plus corroborant l’hypothèse selon laquelle la clientèle est en train de désépargner, et plus particulièrement les ménages. Les chiffres obtenus auprès de Bank Al Maghrib sont éloquents : les particuliers sont en train de puiser dans leurs réserves pour consommer.
Les dépôts à vue détenus auprès des banques par les agents dits non financiers (autres que les établissements financiers, les banques, assurances...), appelés monnaie scripturale dans le jargon monétaire, s’élèvent à fin juillet 2008 à 294 milliards de DH, soit une évolution de 3,3 % à peine depuis le début de l’année. Ce rythme de croissance mérite d’être relevé.
Sur les années 2005, 2006 et 2007, ces dépôts à vue avaient enregistré successivement des taux de croissance de 16,3%,16,8%, puis 21%. Des niveaux qu’il sera difficile d’atteindre en cette année 2008. Pour les seuls dépôts à vue détenus par les particuliers résidents, qui constituent l’essentiel (presque 50% de l’ensemble, sans compter les dépôts des agents financiers), l’évolution au titre des sept premiers mois a été de 3,3%. Une petite consolation, toutefois, du côté des MRE dont les dépôts à vue se sont améliorés de plus de 9% à fin juillet 2008.
L’épargne longue toujours intacte
Cela ne suffit pas à inquiéter les banquiers outre mesure. Et pour cause. L’onde de choc de la « désépargne » n’a manifestement pas encore atteint les économies que font les ménages à moyen et long terme, c’est-à-dire les comptes d’épargne et les dépôts rémunérés.
Il est vrai, en effet, que, quand on examine les derniers chiffres de Bank Al Maghrib, il apparaît que la clientèle des particuliers a considérablement augmenté ses économies depuis janvier 2008. Le total des fonds déposés par les particuliers dans les comptes d’épargne et les dépôts rémunérés a atteint à fin juillet près de 93,4 milliards de DH, contre 87 milliards en début d’année, soit 6,4 milliards d’épargne supplémentaires. Pour cette première partie de l’année, donc, le taux de croissance est déjà presque de 7% alors qu’il était de 5,3% pour toute l’année 2007, de 8,20% pour 2006 et de 5,7% pour 2005.
L’autre nouvelle en matière d’épargne longue, moins bonne cette fois-ci, est que les MRE ont sérieusement inversé leur comportement. Selon les chiffres de BAM, les dépôts rémunérés et les comptes d’épargne détenus par les MRE auprès des banques marocaines ont enregistré une baisse durant les 7 premiers mois de l’année. Ils ont atteint, en effet, 43,2 milliards de DH contre 44,1 milliards en janvier 2008, soit une baisse de -2%.
Léger recul, certes, mais les banquiers sont extrêmement attentifs à cet indice. S’agit-il du début d’un retournement de tendance ou d’un phénomène passager résultant de la conjoncture ? Un membre du GPBM affirme que « le recul de l’épargne longue des MRE est un phénomène tout à fait normal car les nouvelles générations de Marocains résidents à l’étranger préfèrent de plus en plus consommer dans leur pays de résidence ».
Ce n’est pas tout. Les entreprises privées, elles aussi, ont réduit leurs dépôts rémunérés depuis janvier 2008, et de manière plus accentuée : près de 1,5 milliard de DH en moins en l’espace de 7 mois, soit une baisse de 4%. Pour un banquier, « c’est là la manifestation de la forte concurrence de nouveaux types de placements, notamment en actions, en OPCVM et autres instruments financiers qui présentent parfois de meilleurs rendements que les taux servis par les banques ».
Ce qui nous amène à une autre grande problématique à laquelle se trouvent confrontées les banques : la concurrence acharnée pour les ressources. Une course à la recherche de dépôts, surtout à long terme, qui se traduira inévitablement par un renchérissement du coût de l’argent. « Le volume des dépôts étant ce qu’il est, on assistera forcément à une migration de l’épargne d’une banque à l’autre au gré des taux offerts ».
En clair, les déposants iront désormais chez le plus offrant. Ce qui compliquera davantage l’équation : des ressources de plus en plus rares donc plus chères et, de l’autre côté, la nécessité pour les banques, concurrence oblige, de rester alignées sur des taux d’intérêt bas. Difficile à résoudre... à moins que de nouveaux gisements de ressources ne soient ouverts.
Des espoirs demeurent, fondés, entre autres, sur des opportunités comme la titrisation. Certaines grandes banques de la place sont d’ailleurs déjà en train de se positionner.
Source : La vie éco - Saâd Benmansour