La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu vendredi une décision concernant les accords agricoles et de pêche entre l’UE et le Maroc. Rabat conteste fermement cette décision, la jugeant non applicable et entachée d’erreurs.
L’Espagne et le Maroc entretiennent des rapports migratoires particuliers formalisés par des accords de main d’oeuvre saisonnière, notamment dans le secteur agricole. Ces accords, remis en cause aujourd’hui par l’opinion publique espagnole et qui menacent les immigrés réguliers, constituent pourtant un moyen de décourager l’immigration clandestine.
Le Statut avancé qu’a attribué, en octobre dernier, l’Europe au Maroc est le fruit d’une longue histoire politique et économique commune. Le Maroc est, par exemple, depuis le début des années 60, le grenier de travailleurs saisonniers dont ont besoin des pays comme la France et l’Espagne. Mais c’est avec Madrid que cette migration circulaire, un séjour temporaire qui s’accompagne d’un retour programmé, s’est fortement développée à la faveur de la mise en place d’un cadre formel par le biais d’accords.
Dernière manifestation de ce besoin crucial de main d’œuvre : le Programme Aeneas-Cartaya entré en vigueur en 2006. Les agriculteurs de la province andalouse de Huelva, en Espagne, ont conclu un accord porté par la mairie de Cartaya, instigateur de l’initiative, avec les autorités chérifiennes dans le cadre du Programme d’assistance financière et technique aux pays tiers dans les secteurs de l’immigration et de l’asile (Aeneas) initié en 2004 par l’Union européenne. Impact attendu du programme Aeneas-Cartaya : tripler les contingents de travailleurs saisonniers en un an en les faisant passer de 5000 à 6000 en 2006 à 10 à 15.000 en 2007. Pour la campagne 2008-2009, 20.000 ouvrières devraient être recrutées par l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (Anapec).
L’agence pour l’emploi gère le partenariat relatif à la main d’oeuvre temporaire sur le territoire marocain. Elle recrute pour les producteurs espagnols des saisonnières dont l’état civil importe beaucoup. « D’un certain âge, elles doivent être mariées et mères, explique Mohamed Khachani, professeur à l’Université Mohamed V Agdal de Rabat et président de l’Association marocaine d’études et de recherches sur les migrations ». Ses attaches familiales et son âge font office de garantie. « Le souci des Espagnols, c’est que l’ouvrière revienne ». Par ailleurs, poursuit-il, « les femmes ont une productivité plus importante et n’ont pas envie d’émigrer de façon définitive comme les hommes. »
Espagne-Maroc : un cadre formel de migration circulaire
Les avantages de cette migration circulaire sont avant tout pécuniaires pour les élues. Un salaire journalier compris entre 32 et 35 euros. « En 3 mois, les ouvrières gagnent l’équivalent d’une année de Smic au Maroc, affirme Mohamed Khachani. Le salaire minimum se situe autour de 2000 dirhams, soit environ 200 euros. C’est l’équivalent d’une semaine de travail pour les ouvrières marocaines qui travaillent en Espagne. » Les transferts financiers sont l’un des principaux avantages de ce type de migration, qui selon Mohamed Khachani, contribue aussi au développement régional et à la régulation du marché de l’emploi. Si toutes les parties en présence y trouvent en général de nombreux avantages, le bonheur des uns fait souvent le malheur des autres. « Le grand perdant de cette politique, estime le spécialiste marocain, c’est le Maroc. Nous n’avons pas fait l’analyse exhaustive de la situation : nous n’avons vu que le verre à moitié plein. L’Espagne aspire la main d’œuvre marocaine, la privant ainsi de son avantage concurrentiel dans le secteur agricole : le faible coût de son facteur travail. Les exploitants agricoles ont de plus en plus de mal à trouver des travailleurs marocains parce que l’immigration est devenue une promotion sociale au Maroc, contrairement aux années 60 et 70. »
L’accord signé entre l’Espagne et le Maroc prévoit en principe d’offrir un contrat définitif au bout de la quatrième année consécutive à l’ouvrière agricole. La promesse des employeurs espagnols, une sorte de « récompense », risque d’être difficilement honorée à cause de la crise économique que traverse l’Espagne depuis quelques années. Les chiffres du chômage sont dans le rouge au point de conduire le ministre espagnol du Travail et de l’Immigration, Celestino Corbacho, à déclarer en septembre dernier le recrutement des travailleurs étrangers dans leur pays devrait être « proche de zéro ». Début octobre, le Premier ministre marocain, Abbas El Fassi, affirmait avoir néanmoins reçu l’assurance de la vice-présidente du gouvernement espagnol, Maria Teresa Fernandez de La Vega, que l’Espagne maintiendrait sa politique migratoire vis-à-vis de son pays. La responsable espagnole a aussi profité de l’occasion pour saluer les efforts du Royaume chérifien en matière de lutte contre l’immigration irrégulière.
Une solution à l’immigration clandestine qui ne doit pas nuire à la migration régulière
La priorité pour l’Espagne se résume à la réduction de sa population immigrée. Elle espère y parvenir grâce à une politique d’aide au retour. Le plan, annoncé en juillet et dont le démarrage est prévu au plus tard en novembre, concernerait 100 000 immigrés au chômage depuis plus d’un an et qui ont droit à des indemnités. Ils doivent être originaires de l’un des 19 pays avec lesquels l’Espagne dispose d’accords bilatéraux en matière de sécurité sociale ou équivalents. En tête le Maroc et l’Equateur, principaux pays d’origine des immigrés espagnols. Ces derniers s’il s’acceptent le plan recevront en échange de leur retour dans leur pays d’origine et d’une promesse de ne pas revenir en Espagne dans un intervalle de 3 ans après leur départ une indemnisation. Elle sera versée en deux fois : 40% en Espagne, au moment de l’inscription, et 60% dans le pays d’origine dans un délai d’un mois.
La communauté marocaine, avec plus de 80 000 demandeurs d’emplois en 2007, est la plus touchée par le chômage. Comme 80% des immigrés marocains auprès de qui elle a mené une enquête, l’Association des travailleurs et immigrés marocains en Espagne (Atime) s’oppose à ce dispositif « permanent et volontaire » dont le but est de « promouvoir l’immigration circulaire », selon le ministre espagnol du Travail. « La migration traditionnelle, rétorque Mohamed Khachani, est menacée par des considérations purement politiques parce que l’opinion publique européenne associe toujours l’immigration à quelque chose de négatif. En Espagne, chaque migrant régularisé rapporte en moyenne 1500 euros à la Sécurité sociale dans un contexte où la population est vieillissante. En outre, les emplois, qu’acceptent les émigrés, surnommés les "3D" pour « Dirty, Dangerous, Degrading (sale, dangereux et dégradant) » n’attirent pas les Espagnols. Les immigrés sont loin de les priver d’emploi. »
L’Espagne veut se débarrasser de ses immigrés légaux au chômage et décourager les clandestins, à l’instar de ses partenaires européens. « En dépit de tous les dispositifs mis en place, les gens continuent de passer de l’autre côté, constate Mohamed Khachani. L’économie espagnole a besoin de cette migration clandestine, les accords de migration légale s’avèrent les plus judicieux dans cette optique. La lutte contre l’immigration clandestine doit être le résultat d’une politique concertée de l’UE avec les pays émetteurs. » Une concertation qui semble aujourd’hui se faire au détriment des migrants réguliers.
Source : Afrik.com - Falila Gbadamassi
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