Pourquoi le Maroc hésite à ratifier le traité de la Cour pénale internationale

13 mai 2008 - 20h59 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le Maroc reconnaîtra-t-il pleinement la Cour pénale internationale (CPI) ? Après avoir contribué à la naissance, en janvier 2005, d’une coalition marocaine visant à plaider pour la ratification du Statut de Rome par le royaume, la Coalition internationale pour la CPI, une structure créée en 1995 et regroupant plus de 2 500 ONG du monde entier, a choisi de concentrer sa campagne sur le Maroc en avril et mai 2008. « Un plan d’action a été mis en œuvre pour pousser l’Etat marocain à ratifier le statut de la CPI.

La coalition a organisé plusieurs rencontres avec des responsables du ministère de la justice, des députés de la 1ère Chambre et du CCDH. Elle a également élaboré une étude sur l’harmonisation du corpus législatif national avec les dispositions du statut de la CPI », explique Hicham Cherkaoui, coordinateur de la coalition marocaine pour la CPI.

Toujours dans ce cadre, une lettre datée du 15 avril 2008 a même été adressée au Souverain, dans laquelle William Pace, coordinateur de la coalition pour la CPI, a appelé « à assurer la ratification du statut de Rome par le Maroc au plus vite ». Et d’ajouter que « les nations arabes ont joué un rôle essentiel dans la formation et le renforcement de ce nouveau système de justice internationale. Leur soutien à la Cour pénale internationale est donc vital à la réussite et à l’efficacité de cette cour ».

Il faut dire que, jusqu’à récemment, le Maroc était bien parti pour être l’un des premiers pays de la région du Maghreb et du Moyen-Orient à ratifier le Statut de Rome, signé le 8 septembre 2000. Les multiples signes d’ouverture suffisaient à en convaincre les plus sceptiques, d’autant plus que cette ratification apparaissait comme un outil complémentaire de la lutte contre l’impunité. Visant à prévenir et à sanctionner les crimes les plus graves, elle pouvait également renforcer le processus de justice transitionnelle engagée à travers l’IER et ses recommandations.

Emportée par un élan d’enthousiasme, la Coalition internationale pour la Cour pénale internationale misait même sur l’effet d’entraînement d’un engagement marocain sur le reste de la région. « Le Maroc devrait ratifier le Statut de Rome, qui représente l’une des plus grandes avancées de l’Etat de droit dans le monde des affaires internationales. La CPI joue un important rôle dissuasif permettant d’éviter l’intervention des puissances militaires là où les crimes ont été commis. Un grand nombre d’Etats en Afrique du Nord et au Moyen Orient bénéficieraient de la juridiction de la CPI » explique William Pace dans sa lettre.

Aujourd’hui toutefois, Hicham Cherkaoui se montre un brin amer : « Rien ne justifie le retard pris par le Maroc pour la ratification du statut de la CPI », indique-t-il. « La Cour ne peut en aucun cas porter atteinte à la souveraineté du Maroc, contrairement à ce qu’a affirmé Mohamed Benaïssa, ex-ministre des affaires étrangères , il y a un an, devant le Parlement ».

Une CPI inconstitutionnelle au regard des textes marocains ?

Invité le 3 janvier 2007 à répondre à une question orale concernant la non-ratification par le Maroc du statut de la CPI, l’ex-ministre des Affaires Etrangères, Mohamed Benaïssa, avait en effet déclaré sans ambages : « Les dispositions du traité de la Cour pénale internationale, signé le 8 septembre 2000, s’opposent aux dispositions légales et constitutionnelles marocaines ». Un argument de taille puisque les passages incriminés allaient, selon lui, à l’encontre de certaines attributions royales : « La sacralité de la personne du Roi », consacrée par l’article 23 de la Constitution marocaine et le « droit de grâce » reconnu au Souverain en vertu de l’article 34 de la Constitution. Selon M. Benaïssa, l’article 27 du statut de la Cour pénale relatif à l’immunité stipule : « Le présent statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle.

En particulier, la qualité officielle de chef d’Etat ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un Parlement, de représentant élu ou d’agent d’un Etat, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine ». Autre passage mis en cause : l’article 29 qui stipule que « les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas » c’est-à-dire que même au cas où une personne bénéficie d’une grâce royale, elle ne peut se voir soustraite à une poursuite et au jugement de la CPI. Une telle disposition annulerait, de facto, l’une des attributions royales, prévue par l’article 34 de la Constitution qui stipule que « le Roi exerce le droit de grâce ».

Inconstitutionnelle au regard des textes marocains donc ? Rappelant le principe de complémentarité de la CPI avec les juridictions nationales, Hicham Cherkaoui critique les propos de M. Benaïssa et précise qu’« en agissant ainsi, le Royaume laisse penser que l’option démocratique n’est pas forcément un choix irréversible ».

Des pressions contradictoires à l’international ?

Il n’est pas le seul. Plusieurs ONG marocaines réfutent ces arguments en citant le cas d’un système politique similaire à celui du Maroc, celui de Jordanie, qui a déposé son instrument de ratification du Statut de Rome le 11 avril 2002. « Le gouvernement marocain a encore le temps pour se rattraper en levant les réserves à la ratification du statut de la CPI », indique Mohamed Karam, député USFP à l’origine de la question orale au ministre, qui note toutefois que « l’ex- Premier ministre, Driss Jettou, avait chargé, vers la fin de son mandat, une commission interministérielle réduite de se pencher sur ce dossier et avait émis des signaux positifs en direction de la coalition marocaine, quant à une ratification prochaine du statut de la CPI. Aujourd’hui, la position du gouvernement actuel sur ce sujet se fait toujours attendre ».

Pour Abdelhamid Amine, vice-président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), « la ratification du Statut de Rome est un moyen important pour lutter contre l’impunité à l’avenir puisque la compétence de la Cour n’est pas rétroactive. Ceci aurait dû rassurer les autorités marocaines quant à d’éventuelles poursuites judiciaires contre certains responsables sécuritaires ». « Au lieu de cela, poursuit-il, les autorités ont fait montre d’un manque flagrant de volonté politique, signifiant qu’elles ne sont pas prêtes de ratifier le statut de la CPI ».

Certains militants associatifs vont plus loin encore, en liant les déclarations de M. Benaïssa à l’existence d’une convention secrète que le Maroc aurait signée avec les USA. Des affirmations qui restent à prouver. Côté américain, il est toutefois établi que la Loi de protection des ressortissants américains (American Service members’ Protection Act), adoptée par le Congrès en août 2002, contient des dispositions restreignant la coopération des Etats-Unis avec la CPI. Par la suite, l’Administration américaine a approuvé, le 8 décembre 2004, « l’Amendement Nethercutt » au projet de loi de crédits pour les opérations étrangères.

Cet amendement prévoit de retirer l’aide du Fonds économique de soutien à certains gouvernements refusant d’accorder l’immunité aux ressortissants américains risquant d’être traduits devant la CPI. Dans son rapport annuel pour l’année 2005, Amnesty International est allée jusqu’à accuser l’administration américaine d’intensifier « ses efforts pour saper le pouvoir de la Cour pénale internationale ».

Il faut rappeler que si Bill Clinton a signé le Statut de Rome de la Cour pénale internationale le 31 décembre 2000, dernier jour avant la fermeture du délai pour signer et adhérer au Traité, le 6 mai 2002, peu avant l’entrée en vigueur du Statut le 1er juillet 2002, George W. Bush avait annulé la signature de son prédécesseur sous prétexte que la CPI avait pour prérogative de mettre en accusation des citoyens américains pour des raisons politiques. « La position de l’Administration américaine vis-à-vis de la CPI a toujours été claire... Le Maroc subit comme beaucoup d’autres pays les pressions américaines pour ne pas ratifier le statut de la CPI », estime Abdelhamid Amine, qui insiste toutefois que la résistance la plus tenace vient de l’intérieur .

Source : La vie éco - Younes Foudil

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