Logements à 140.000 DH : une opération impossible ?

16 septembre 2008 - 22h01 - Economie - Ecrit par : L.A

Annoncé en grande pompe en avril dernier, le logement super économique destiné à la population pauvre se serait-il déjà enlisé ? Même s’ils assurent croire aux objectifs humains et sociaux du projet qui a été présenté au Souverain, les professionnels de l’immobilier restent dubitatifs quant aux moyens de sa réalisation.

En témoigne le « silence radio » qui a suivi l’appel à manifestation d’intérêt pour ce produit lancé par la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI), début juillet dernier. « Le taux de réponse est resté faible. Nous préparons actuellement un deuxième appel à manifestation d’intérêt », souligne Iqbal Kettani, directeur délégué de la FNPI. Les promoteurs, qui sont les premiers concernés, estiment que « le projet n’est réalisable que si le ministère de l’habitat clarifie plusieurs questions ». Omar Farkhani, président de l’ordre des architectes reste, quant à lui, optimiste. « Au lieu de se demander si ce projet est réalisable ou pas, il faudrait peut-être chercher comment il peut être réalisé », positive-t-il.

Le foncier, encore et toujours

Premier problème, celui du foncier. Existe-t-il en quantité suffisante ? Pour l’instant, Al Omrane, holding public d’aménagement, dispose d’une réserve foncière qui permettrait de construire 22.000 logements, alors que l’objectif, calculé selon les besoins, est de 130.000. Où trouver le reste ? Auprès de la direction des domaines relevant du ministère des finances.

Or, selon des sources au sein de ce même ministère, il n’est pas question de céder le foncier gratuitement et l’on parle d’un prix de 60 DH par m2 nu, ce qui renchérirait le coup du foncier prêt à construite. En effet, selon les estimations d’Al Omrane, le terrain , une fois viabilisé, devrait coûter 270 DH par m2. Sur la base de 60 DH/m2, cela fait un coût de viabilisation de 210 DH par m2. Réalisable ? Le chiffre ne convainc pas vraiment la FNPI.

Youssef Iben Mansour, son président, précise : « Nous devons savoir ce qu’englobe l’équipement. Celui-ci varie en fonction des sites, de la configuration du terrain, de l’éloignement du réseau... Nous pouvons d’ores et déjà dire que le prix avancé constitue la tranche inférieure de l’équipement ». De l’avis de certains promoteurs, le foncier viabilisé ne coûtera pas moins de 500 DH le m2. « Ce qui complique la tâche du ministère. Car, s’il n’arrive pas à négocier un bon prix du foncier, c’est toute la faisabilité du projet qui est remise en question », ajoute-t-on.

Des avis que Najib Lahlou, membre du directoire d’Al Omrane, balaye d’un revers de la main. « Les négociations avec la direction des domaines doivent aboutir sous peu. Nous pensons pouvoir signer les conventions de cession incessamment. Même s’il n’a pas encore été confirmé avec la direction des terrains domaniaux, le prix du mètre carré viabilisé ne devrait pas trop s’éloigner de ce qui a été annoncé », fait-il savoir. Pas trop ? Mais encore ?

« Les coûts de construction ont été sous-estimés dès le départ »

Passé la barrière du foncier, le coût du m2 construit est un autre point de divergence, aussi - sinon plus - important. « Il y a deux problèmes : non seulement les coûts de construction ont été sous-estimés dès le départ, mais il faut également tenir compte de l’envolée des prix des matériaux de construction depuis le lancement du programme », indique M. Iben Mansour. Pour les promoteurs, produire un logement à 2000 DH le m2 est quasi impossible puisque le gros-œuvre, à lui seul, coûterait 1100 DH au lieu des 850 DH prévus par le ministère (voir encadré et tableau).

Contacté par La Vie éco, David Tolédano, président de la Fédération des matériaux de construction, reste circonspect concernant la hausse des prix des matériaux. « Il y a eu une hausse, certes, mais elle n’a pas concerné tous les matériaux de construction. Certains ont même subi une baisse, comme le carrelage et les sanitaires », souligne-t-il. Il n’en demeure pas moins que les prix de l’acier et du ciment ont bel et bien augmenté. M. Tolédano ne le nie pas d’ailleurs.

« Les tarifs de l’acier et du ciment ont subi une hausse respective de 80% et de 3% par rapport au début de l’année », ajoute-t-il. Autrement dit, la tonne d’acier, qui coûtait 7000 DH en début d’année, en coûte aujourd’hui 12.000 DH. Mais, tempère M. Tolédano, cette hausse ne concerne que 20% du coût global de la construction. « Du coup, elle n’a qu’une incidence minime sur le coût du logement à 140.000 DH », souligne-t-il, avant d’exprimer le fond de sa pensée : « Je ne pense pas que le programme des logements à 140.000 DH souffre de la seule hausse des prix des matériaux ».

Pour M. Tolédano, le programme, qui constitue un excellent moteur de développement, connaît d’autres problèmes plus importants comme la défiscalisation et... le foncier ! « Mais, au-delà de tous ces petits blocages, le projet doit sortir de l’attentisme dans lequel il est pris depuis plusieurs mois. Je pense qu’il est inutile de polémiquer sur les prix, qui suivent l’évolution normale des choses. Nous devons trouver un système permettant de surmonter la hausse des prix, sans trahir l’esprit du programme des logements à 140.000 DH », analyse-t-il.

Péréquation, le talon d’Achille

Pour les promoteurs, le système qui permettra de surmonter cette hausse des prix existe déjà : la péréquation. Pour chaque terrain cédé dans le cadre de ce projet, le promoteur, selon le cahier des charges, doit en réserver la moitié aux logements à 140.000 DH. Il est, en revanche, entièrement libre quant à l’autre moitié, sur laquelle il peut construire des logements de moyen ou de haut standing. « La variable péréquation qui a été introduite dans la réflexion augmente les chances de faisabilité de ce projet », concède M. Iben Mansour.

« La péréquation pourrait absorber les pertes générées par le produit de 140.000 DH et les promoteurs peuvent retrouver l’équilibre financier avec ce système », confirme Abderrazak Walliallah, DGA de Addoha. Mais les choses ne sont pas claires pour toutes les parties. Car, si le ministre de l’habitat et de l’urbanisme, Toufiq Hejira, est d’accord pour une péréquation à 50%, M. Iben Mansour et les promoteurs militent pour un taux plus généreux (70% en partie libre et 30% en logement super économique).

Ce n’est pas tout, car les promoteurs réclament davantage. « Le terrain ne doit pas seulement être bien équipé en infrastructures et accessible au transport public, il doit aussi et surtout être bien situé pour que les promoteurs arrivent à vendre la partie libre du programme », explique M.Walliallah.

Ce souci semble d’ores et déjà être réglé puisque M. Lahlou de Al Omrane assure que « la majeure partie des terrains se trouve à l’intérieur du périmètre urbain ou dans des zones ouvertes à l’urbanisation ». L’objectif n’est pas de créer des ghettos coupés de la « civilisation », mais « des programmes s’intégrant dans le tissu urbain et économique », rassure-t-il.

Autre préoccupation des promoteurs : la défiscalisation. Ces derniers assurent ne pas savoir quel système sera adopté, surtout pour les opérations jumelées regroupant un produit à 140.000 DH et un autre libre. « Comment le fisc va-t-il aborder ces opérations ? Quel traitement réservera la direction des impôts à ce type de projet ? », s’interroge M. Iben Mansour.

Pour le ministère de tutelle, la réponse est claire. Il explique en effet que seul le produit à 140.000 DH sera défiscalisé. « Les promoteurs qui adhéreront à ce projet bénéficieront de l’exonération fiscale totale à condition qu’ils construisent 500 logements en milieu urbain ou 100 en milieu rural », précise Najib Lahlou.

Commercialisation : des doutes sur l’efficacité du système prévu par le ministère

Reste enfin le problème de la commercialisation. Rappelons que le ministère de l’habitat veut confier la vente des unités à 140.000 DH à Al Omrane ou aux délégations de l’habitat. Ces deux organes disposent déjà d’une base de données exhaustive qui permettra de vendre aux seules personnes qui en ont vraiment besoin. Il n’y aura donc aucune vente directe des promoteurs aux particuliers. Il s’agit là d’une attaque frontale menée par le ministère de l’habitat pour contrer le « noir », la revente par intermédiaires et la spéculation. Mais cette nouvelle politique de commercialisation semble beaucoup gêner la FNPI. « Le privé peut se prévaloir d’une expérience de taille dans ce domaine. Les promoteurs ont vendu plus de 300.000 logements, et cela s’est très bien passé.

Il y a certes eu des dépassements dans le dernier programme de logements sociaux, mais le problème est maintenant surmonté », poursuit-il. En effet, M. Iben Mansour explique qu’il existe actuellement des verrous juridiques que les notaires intègrent dans le compromis de vente pour empêcher qu’un appartement ne soit vendu ou revendu à une personne ne remplissant pas les conditions prévues par le programme. Aussi, poursuit-on auprès de la FNPI, la commercialisation par les délégations d’Al Omrane ne peut qu’engendrer des difficultés inutiles.

« S’il veut passer par une administration pour commercialiser ces logements, le ministère de l’habitat devrait pouvoir garantir un délai précis ne dépassant guère les 3 mois pour adresser les listes des bénéficiaires des logements aux promoteurs immobiliers. Le non-respect de ces délais entraînera une augmentation des charges (intérêts bancaires notamment) pour les promoteurs qui ne pourront pas encaisser les prix ni payer les crédits », explique pour sa part M.Waliallah.

En fin de compte, que se passera-t-il si l’un des problèmes soulevés n’était pas résolu ? Les promoteurs immobiliers seraient-ils découragés ? Dans ce cas, le programme des logements super économiques se retrouverait-il dans une impasse ? Pas vraiment, si l’on en croit M. Lahlou, qui explique que l’objectif est de construire 130.000 unités dont 25.000 en milieu rural. « Il n’y a aucune limite ni pour les promoteurs privés ni pour les opérateurs privés. Al Omrane doit intervenir à chaque fois qu’une opération du programme ne trouve pas preneur. Nous ne sommes pas dans une logique de concurrence mais de complémentarité », insiste-t-il. Cela étant, « si aucun promoteur ne se manifeste, Al Omrane dispose des capacités financières et techniques pour construire les 130.000 logements », ajoute M. Lahlou.

Depuis l’annonce du programme, neuf conventions ont été signées pour le démarrage des travaux de construction. Najib Lahlou précise que ces conventions concernent des terrains appartenant à Al Omrane. « Nous avons demandé à nos délégations régionales disposant d’un foncier dont le prix au m2 se situe dans la limite fixée par le programme de logements à 140.000 DH de lancer des projets pour gagner du temps. Ainsi, la construction a démarré dans plusieurs villes telles que Marrakech, Agadir, Fès et Rabat », explique-t-il. Mais, une fois ce foncier épuisé, le ministère de l’habitat devra se tourner vers les terrains domaniaux. Encore une fois, à quel prix ?

Source : La vie éco - Naoufal Belghazi

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