Rachid Boukhari nie ces fautes : « J’ai des lettres de félicitations de la direction, je n’ai jamais reçu de blâme ni d’avertissement. » En fait, ce licenciement intervient après la constitution d’une cellule syndicale de la commission nationale des ingénieurs de l’Union marocaine du travail (UMT) au sein du centre de Rabat, qui emploie près de 170 ingénieurs marocains. Rachid Boukhari est le secrétaire général du syndicat et Nabil Chiadmi est son adjoint. Les revendications de l’UMT n’étaient pourtant pas exorbitantes, « des primes de mission quand nous nous rendons en France, avoir un délégué du personnel, un médecin du travail, le respect du droit syndical, un règlement intérieur, le respect des repos hebdomadaires et un service de transport car le site va déménager du centre de Rabat ». « La compagnie ne peut accepter que l’on se défende, analyse Jean-Marie Michel, délégué syndical CGT de ST Microelectronics en France. La direction a voulu tuer la contestation dans l’oeuf. »
« Nous étions les meneurs, affirme Rachid Boukhari. Alors nous avons servi d’exemples pour les autres. » Mais quoi qu’en dise la direction marocaine du groupe, les pressions perdurent sur les autres employés et syndicalistes. Juste après la création du syndicat, le directeur général s’est rendu plusieurs fois sur le site de Rabat « pour nous faire du lavage de cerveau. Il disait que nous n’avons pas besoin de syndicat, que l’on peut régler nos problèmes entre nous ». La direction aurait même menacé de fermer le site, selon Rachid Boukhari : « Soit on dissout le syndicat, soit on ferme le centre, a-elle expliqué. Les jeunes n’y connaissent pas grand-chose, ils ont pris peur », répercute le syndicaliste marocain.
Le groupe franco-italien ST Microelectronics est le leader européen des semi-conducteurs. Il emploie près de 50 000 personnes dans le monde. Ses bénéfices en 2004 étaient de 601 millions de dollars. Mais depuis la fermeture de son établissement à Rennes, la direction a annoncé une restructuration impliquant 3 000 suppressions d’emplois dans le monde. Jean-Marie Michel comprend parfaitement la création de la cellule syndicale de Rabat : « Il va y avoir une vague de licenciements et les sites marocains vont être touchés. Les travailleurs, voyant venir la menace, se sont syndiqués. » L’internationale semble être le nouveau cheval de bataille des syndicats de ST Micro. Les intersyndicales italienne et française se sont tout de suite montrées solidaires avec les deux ingénieurs marocains. « Il faut nouer des contacts avec les autres sites à l’étranger, explique Jean-Marie Michel. Cela doit nous permettre de mener une bataille à l’échelle mondiale. C’est une nécessité. » Pour lui, « le droit du travail, plus souple au Maroc », est une des raisons de l’installation de ST Micro là-bas. « La direction se recentre sur l’Asie, mais nous ne pouvons accepter qu’elle licencie ailleurs » ou qu’elle revoie les conditions de travail à la baisse. « La relation syndicale franco-italienne n’est pas nouvelle », déclare Marc Leroux, délégué syndical CGT de ST Micro France et membre du comité de groupe européen : « Elle a débuté dès la création de l’entreprise, dans les années 1980. » La collaboration syndicale internationale s’est ensuite accentuée avec les autres pays européens, et depuis peu avec Singapour et le Maroc. « Nous n’avons pas beaucoup de moyens de lutte, ajoute-t-il, mais nous devons rendre l’affaire publique sur le plan médiatique. ST Micro ne vend pas des produits de grande consommation, alors elle n’a pas trop peur de l’avis des consommateurs, mais si la situation n’évolue pas nous ferons savoir que l’un de ses plus gros partenaires en Europe est Nokia... » De quoi peser, réputation du constructeur finlandais oblige, sur la direction de ST Microelectronics...
Maxime Mamet - L’Humanité