Les pendules à l’heure de l’immigration

20 novembre 2002 - 21h27 - France - Ecrit par :

L’étude du commissariat du Plan estime que la France n’a besoin de faire venir que de 120.000 étrangers par an.

La dernière fois que le commissariat général du Plan s’est penché sur ce dossier, c’était en 1987. Les pouvoirs publics, qui ont généralement préféré enfouir ce débat, n’ont pas vraiment sollicité les recherches sur ces phénomènes. Hier, le Plan présentait un rapport complet, bilan de six mois d’expertises et de séminaires sur « Immigration, marché du travail, intégration », présidé par le directeur de l’Ined (Institut national d’études démographiques), François Héran.

Un signe que ces questions sont à nouveau dans l’air du temps... et dans les agendas politiques. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, l’a souligné hier : les immigrants représentent 12 % des nouveaux venus sur le marché du travail et, à l’aube de la retraite des baby-boomers, « il est important de lancer une réflexion collective ». Dans le but de faciliter le débat public, ce rapport lance quelques pistes, souvent à l’encontre des idées reçues.

Besoin d’immigration ?

Depuis vingt-cinq ans, la France a stabilisé le pourcentage d’immigrés dans l’ensemble de la population, à un niveau « plutôt modéré », proche de 7,5 %, bien inférieur à celui de l’Allemagne (9 %), des Etats-Unis (10 %) et du Canada (17 %). Et, selon le Plan, elle a besoin d’immigrés pour alimenter certains secteurs de l’économie. Les emplois non qualifiés et peu valorisants ont peu de succès auprès des nationaux. « Malgré un taux de chômage général à 10 % et un taux de chômage des immigrés proche de 20 %, nombreux sont les secteurs d’activité qui ne pourraient fonctionner sans la contribution des immigrés », constate le rapport.

Pourtant, selon François Héran, une « certitude » se dégage des auditions : l’immigration n’est pas une solution au vieillissement de la population. En d’autres termes, l’équilibre des retraites ne sera pas garanti par le recours à l’immigration. Si l’on veut maintenir l’effectif de la population active, la France devra faire venir 120 000 personnes par an. C’est-à-dire, chaque année, 20 000 de plus qu’aujourd’hui. « Mais la France n’a pas besoin d’introduire massivement des immigrés », martèle François Héran.

Des règles porteuses d’illégalité

« Une partie de l’illégalité est engendrée par la réglementation elle-même : en empêchant les candidats à l’immigration de rejoindre le territoire pour présenter leur demande, on alimente l’offre de traversée clandestine et l’on réduit l’accès à l’information », regrette le Plan. Ce recours à l’illégalité croise un droit d’asile en crise. « Ces entraves produisent des effets pervers : l’absence de visa réduit le demandeur d’asile à suivre des voies détournées et illégales. (...) Les intéressés en sont réduits à emprunter des voies illégales, dissimulant leur itinéraire pour échapper au refoulement. » Or, d’un autre côté, « la durée de traitement des dossiers incite les migrants économiques à détourner le droit d’asile pour mettre ce délai à profit et s’installer durablement en France ».

Le manque de transparence se retrouve aussi dans l’accès à la nationalité. En 2000, 150 000 personnes sont devenues françaises. Cela a servi d’argument contre l’octroi du droit de vote aux résidents étrangers : François Fillon, dans Libération (24 octobre 2002), l’excluait ainsi de son contrat d’intégration. Alors qu’au Canada ou aux Etats Unis les deux tiers des immigrés prennent la nationalité du pays, ils ne sont qu’un tiers en France. Or, relève Patrick Weil, chercheur au CNRS et associé au séminaire, « si la loi est ouverte, les pratiques administratives rendent l’accès à la nationalité difficile ». L’absence de publicité explique également ce fossé. Autre illustration de cette opacité : la parution d’une circulaire en janvier encourageant les demandes de titres de séjour pour les travailleurs qualifiés est restée extrêmement discrète.

Indice de discrimination

« En France, les jeunes hommes issus de l’immigration maghrébine sont ceux qui connaissent les plus grandes difficultés d’insertion professionnelle, avec des taux de chômage particulièrement élevés », constate le Plan. Selon une étude de l’Insee, la valorisation du diplôme sur le marché du travail est très inégale selon les origines. Alors qu’il n’y a aucune différence entre les Portugais d’origine et les Français, ceux d’origine maghrébine, eux, ont beaucoup de mal à faire valoir leurs diplômes. Il s’agit là, selon le Plan, d’« indice de discrimination ». Mais d’autres mécanismes jouent, nuance le rapport. Les parcours scolaires bien sûr, mais aussi les recommandations, les réseaux, les filières traditionnelles d’implantation dans certains secteurs dont les uns bénéficient et pas les autres. Selon François Héran, « si la discrimination existe bien, on en connaît mal les mécanismes ».

L’impact de la fuite des cerveaux

300 informaticiens algériens ont été recrutés par les Allemands au titre de la green card (carte de travail, ndlr). « Cette ponction est-elle nécessairement négative pour l’Algérie ? » Le rapport conclut de manière nuancée. Il ne nie pas que « l’émigration hautement qualifiée diminue le capital humain du pays d’origine ». Mais il souligne que ces départs peuvent soutenir la croissance des pays d’origine. L’exode des cerveaux contribue paradoxalement à « multiplier les cerveaux sur place ». En même temps, ils peuvent favoriser le déracinement de groupes entiers.

Libération est partenaire d’un séminaire organisé par l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (INTEFP) sur « Migrations internationales et marché du travail ». Le colloque de clôture se tient aujourd’hui et demain, à Marcy-l’Etoile (Rhône).

Par Charlotte ROTMAN
mercredi 20 novembre 2002

©Libération.fr

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Sujets associés : France - Intégration - Haut Commissariat au Plan (HCP) - Etude

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