Les MRE ne sont pas des tirelires ambulantes

15 juillet 2004 - 15h56 - Economie - Ecrit par :

Les mre fournissent le bercail en devises. Le Maroc continue de les voir sous cet angle. Fatiha Saïdi, députée au Parlement de Bruxelles-Capitale depuis juin 1999, s’explique .

A votre avis, ne faut-il pas réinventer la politique marocaine vis-à-vis des MRE ?
Fatiha Saïdi : Impérativement ! Comme je l’ai souligné à de nombreuses reprises, les personnes d’origine marocaine vivant à l’étranger ont trop longtemps été orphelines du Maroc. Les seuls contacts avec les autorités marocaines, dans les années 70-80, étaient des contacts de contrôle, d’intimidation…
Il a fallu de nombreuses années avant de restaurer la confiance. Aujourd’hui, elle est plus ou moins mise en place, même si elle reste à consolider. Et ensuite, passer à une autre phase : celle du dialogue, de la participation et de la citoyenneté.
La situation a changé aujourd’hui : bon nombre de personnes marocaines sont devenues des ambassadeurs du Maroc à l’étranger. Mais bien souvent, à des degrés divers, en fonction de l’histoire et de la personnalité de chaque individu, elles restent attachées à leur pays d’origine. Par ailleurs, nos enfants, nés dans un pays qui n’est plus « d’accueil » mais le leur, n’entretiennent plus les mêmes contacts avec le Maroc.

La Fondation Hassan II vient d’organiser une enquête sur les investissements MRE. Que faut-il faire pour mieux encourager le transfert du savoir-faire et pas que de l’argent ?
Votre question et la réponse qu’elle sous-tend est excellente ! Effectivement, il faut arrêter de considérer les Marocains à l’étranger comme des tirelires ambulantes. Il faut être créatif et favoriser toutes les initiatives de dialogue, d’échange de compétences, de savoir-faire, de solidarité. N’oublions pas que la première forme de solidarité reste bien celle de l’aide directe matérielle ou financière destinée à la famille restée dans le pays d’origine. Indéniablement, les personnes issues de l’immigration jouent un rôle non négligeable dans la dynamique de développement. Ainsi, la pratique d’une vie associative, dans leur pays d’accueil, va conférer des compétences particulières aux personnes issues de l’immigration ; compétences qu’elles pourraient transmettre à leurs partenaires dans les pays d’origine. Les projets fondés sur des transferts de compétences et de savoir-faire, dont la mobilisation collective et sociale de certains groupes vulnérables est un des premiers objectifs, vont générer de nouvelles formes de citoyenneté, tant au Nord qu’au Sud.

Pensez-vous que l’implication politique des MRE au Maroc est à l’ordre du jour ?
Je dois vous avouer que je suis perplexe sur la question. Il ne faut pas, pour des raisons de pression dont on ne connaît pas trop bien les tenants et aboutissants, se précipiter, sur le vote ou la représentation politique des Marocains à l’étranger. Les expériences de représentation que nous avons connues par le passé ont été désastreuses et je n’ai pas envie, bien évidemment, de les voir émerger à nouveau.
Quant au vote, s’agissant des élections législatives, je n’ai pas trop d’a priori, et au plan local, je reste d’avis que l’implication citoyenne des Marocains vivant à l’étranger doit se faire dans le pays où ils ont choisi de vivre. C’est là qu’est leur citoyenneté globale, qu’ils vivent, qu’ils éduquent leurs enfants, payent leurs impôts… Et, c’est là qu’ils doivent choisir, en leur âme et conscience les représentant(e)s politiques susceptibles de défendre au mieux leurs intérêts. Mais ceci étant dit, je pense que la question mérite d’être posée et débattue avec les principaux intéressés.
Presque 55 % des MRE ne connaissent même pas le ministère Chargé des MRE, madame Nezha Chakrouni.

Quel est votre commentaire ? Son département dispose-t-il des moyens nécessaires pour mener à bien ses actions ?
Cela ne m’étonne guère et je trouve déjà que le taux de 45% de personnes connaissant le ministère est un succès ! Madame Chekrouni, que j’ai eu le plaisir de rencontrer à plusieurs reprises, est une femme de dialogue et de combat. Mais elle n’a malheureusement pas, tout comme ses prédécesseurs, les moyens de la politique qu’elle doit assumer. J’avais rencontré, au début des années 90, monsieur Hadraoui, qui nourrissait d’énormes ambitions et projetait d’entamer de nombreux chantiers, sur le plan de « l’immigration » marocaine. Les différentes formes de responsabilités (fondation, secrétariat d’état, ministère…) se sont succédé, sans fil conducteur, sans cohérence, ce qui nous donne toujours ce sentiment de tourner en rond. Chaque fois, que les Marocains vivant à l’étranger ont l’occasion de rencontrer l’un(e) de leur représentant(e), les questions et thématiques sont invariables… Pour ma part, cela fait près de vingt ans que j’entends toujours les mêmes discours.
Il y a aussi une dimension qui m’irrite au plus haut point, chez la plupart des responsables marocains, c’est la capacité à entendre une tonalité différente, des critiques, des suggestions sortant de l’ordinaire ; on n’hésite pas, au cours des réunions publiques, par exemple, à boycotter la présence de l’un(e) ou de l’autre, jugé indésirable car trop franc ou ne partageant pas la même ligne politique « correcte ». C’est dommageable tant pour le débat que pour la démocratie. Ce n’est pourtant qu’à force de critiques, de remises en question, de confrontation d’idées que l’on arrivera pourtant à construire un Maroc encore plus fort, plus ambitieux, plus démocratique et plus ouvert. Et là, c’est donc une véritable rupture avec la politique du « hamdoullah koulchi labasse » qu’il faudra pratiquer.

Entretien réalisé par Aujourd’hui le Maroc

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Transferts des MRE - Fatiha Saïdi - MRE

Ces articles devraient vous intéresser :

La justice espagnole sépare une famille marocaine : Nasser Bourita réagit

Suite à la décision de la justice espagnole de retirer la garde des enfants à une famille marocaine établie dans le nord du pays, le ministère des Affaires étrangères a tenu à commenter cette décision et fournir quelques détails.

Marhaba 2023 : Le Maroc accueille 1,2 million de MRE, en hausse de 21%

Quelque 1,2 million de Marocains résidant à l’étranger (MRE) et de 280 000 véhicules sont entrés au Maroc dans le cadre de l’opération de l’opération Marhaba 2023, selon le ministère du Transport et de la logistique.

Le dilemme des MRE : vendre leurs biens ou se soumettre à l’échange fiscal

Des Marocains résidant à l’étranger (MRE) appellent à la suspension de l’accord multilatéral sur les échanges de renseignement automatiques des comptes financiers.

Aide au logement : Un vrai succès chez les MRE

Fatima Zahra Mansouri, ministre de l’Aménagement du territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville, confirme l’intérêt des Marocains résidant à l’étranger (MRE) pour le nouveau programme d’aide directe au logement.

Les Marocains résidant à l’étranger boostent l’économie grâce à leurs transferts de fonds

Selon l’Office des changes, les transferts de fonds des Marocains résidant à l’étranger (MRE) ont connu une croissance significative de 16 % en mars 2023, pour atteindre près de 27,11 milliards de dirhams. Ce chiffre représente une hausse de 3,73...

Où va l’argent des Marocains du monde ?

Les transferts des MRE ont atteint des niveaux record ces dernières années, malgré la crise sanitaire du Covid-19 et la conjoncture économique. À fin 2022, ces envois pourraient s’élever à 100 milliards de dirhams, soit une hausse de 13% par rapport à...

Échange de données fiscales sur les MRE : le projet de loi reporté

Le gouvernement d’Akhannouch est appelé à revoir deux projets de loi sur l’échange de renseignements fiscaux et de données des Marocains résidant à l’étranger (MRE) qui ont fait l’objet d’une polémique. L’année 2025 est la date du délai de leur...

L’ONCF a pensé aux MRE pendant les vacances

L’Office National des Chemins de Fer (ONCF) a mis en place un plan pour accueillir les millions de voyageurs attendus à bord de ses trains lors de la prochaine saison estivale. Une attention particulière est accordée aux Marocains résidant à l’étranger...

Les transferts des MRE se maintiennent en hausse

Les transferts effectués par les Marocains résidant à l’étranger (MRE) ont augmenté de 28,6 % par rapport à février 2022. C’est ce que précisent les indicateurs mensuels des échanges extérieurs de l’Office des changes.

Agression de MRE en Europe : le parlement marocain interpellé

Un parlementaire du parti de l’Istiqlal vient d’appeler Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération africaine, à agir pour combattre les attaques racistes répétées ciblant les Marocains résidant à l’étranger (MRE).