Il est un footballeur marocain dont Joseph Blatter retiendra à coup sûr le nom plus que celui des Benbarek, Dolmy et autres virtuoses nationaux en crampons. Car l’affaire Abdelmajid Oulmers pourrait bien ébranler l’emprise de la Fifa sur le monde et les affaires du football mondial. Tout a commencé en novembre 2004, lorsque la Fifa a obligé le Racing Charleroi à libérer Oulmers pour le match amical Maroc-Burkina Faso, au cours duquel il fut gravement blessé. Il s’en est suivi une coûteuse opération chirurgicale et une interruption d’activité de huit mois pour le joueur. Des pertes financières et de rendement que le Charleroi refuse d’assumer alors qu’Oulmers a été blessé sous les couleurs du Maroc. Il demande alors une compensation à la Fifa, qui l’envoie ballader.
De guerre lasse, il porte plainte devant le tribunal de commerce de Charleroi contre la Fifa pour “abus de position dominante”. Ce sont des arguments commerciaux secs qui gouvernent l’affaire : “C’est comme si vous prêtiez une pièce essentielle de votre chaîne de montage à quelqu’un et qu’il vous la rende cassée”, vulgarise un dirigeant du club. En septembre 2005, à Marrakech, lors du Congrès annuel de la Fifa, Blatter somme la fédération belge de sanctionner le club d’Oulmers, qui a eu l’outrecuidance de réclamer son droit légitime devant une juridiction ordinaire et non devant les organismes de football, sur lesquels la Fifa a la main haute. Le 17 octobre, sentant qu’il a perdu d’avance, Blatter lâche du lest et demande au Charleroi de négocier. Mais la procédure est lancée et pourrait même aller jusqu’à la Cour européennede justice. L’affaire a en effet été récupérée le G-14, sorte de lobby regroupant, en fait, 18 des clubs européens les plus huppés. En réalité, au-delà de briguer des compensations pour le prêt de joueurs aux sélections, ces ténors louchent sur les gains astronomiques dégagés par les manifestations internationales (près de 5 milliards de dollars prévus pour le mundial 2006).
Une farce à l’échelle planétaire : les clubs fournissent les joueurs ; les pays organisateurs les infrastructures ; le monde entier le public ; et Blatter and Co empochent le gros du lot. « Les compétitions organisées par la Fifa génèrent des fonds énormes... et nous devrions récolter un pourcentage des dividendes », dit Thomas Kurth, directeur général du G-14. Le verdict de cette affaire, attendu pour mai 2006, va, à moyen terme, poser un véritable casse-tête à la FRMF et au nouveau sélectionneur-manager-général des équipes nationales marocaines de football. Et Philippe Troussier vient d’en avoir un aperçu, un an après le blessure d’Oulmers, pour le match Maroc-Cameroun en préparation pour la CAN 2006, des clubs ayant tout simplement refusé de libérer leurs joueurs. Une seule alternative : soit la FRMF accepte de payer des compensations au prorata du salaire hebdomadaire de chaque joueur, c’est-à-dire des millions de dirhams supplémentaires de frais pour chaque match ; soit elle pense à réhabiliter, et une bonne fois pour toutes, les joueurs locaux. Tant que les clubs nationaux sont encore dociles.
Abdellah Rajy - Maroc Hebdo