Les passagers feront le voyage au deuxième niveau. Un premier regard sur l’état délabré des sièges peu confortables annonce déjà la couleur : le voyage sera pénible. Après quelques heures de route, la première surprise ! Malgré les promesses de l’Haj, les voyageurs sont invités à changer d’autocar à Bruxelles. Dégoûtés par l’inconfort des sièges, des passagers sont contents de ce changement.
Les places n’étant pas numérotées, les passagers en provenance de Düsseldorf doivent se contenter des sièges vacants. Se sentant lésés, certains perdent leur sang-froid. La soute est pleine à craquer. Après les dernières formalités, l’autocar reprend la route en début d’après-midi. A bord, deux personnes mettent de l’ordre. Mohamed, un grand à l’accent rifain, fixe les gens d’un regard menaçant. Il les traite avec mépris. Saïd, plus jeune et plus diplomate, se montre plus aimable. Deux chauffeurs espagnols se relaient.
Lassés, les passagers ne font aucun cas du ton provocateur de Mohamed. A n’importe quelle demande des voyageurs, Mohamed se met en colère en priant Dieu que ce voyage se déroule dans de bonnes conditions. Profitant de la bonté et la naïveté de certains passagers, Saïd leur demande de l’argent pour les frais médicaux de sa mère malade. Certains constatent la tentative d’arnaque pure et dure. D’autres, dans un élan de solidarité, mettent la main à la poche pour aider cet employé de l’entreprise de transport. Mais attention ! Saïd n’accepte que des euros… No comment !
Les panneaux annoncent l’Espagne. C’est le deuxième jour de voyage. A bord, la même ambiance règne : d’un côté les propos provocateurs de Mohamed et de l’autre, les demandes d’argent persistantes de Saïd.
Les passagers somnolaient tout le temps. Vers midi, le car conduit par l’un des chauffeurs espagnols s’arrête devant un restaurant. Saïd annonce aux voyageurs qu’il s’agit d’un arrêt de quelques minutes, le temps de récupérer un passager. « Le prochain arrêt est prévu à côté d’un restaurant marocain qui sert de la nourriture hallal », dit-il pour les calmer. Les deux chauffeurs espagnols ne sont plus là. La chaleur est torride. Près de deux heures d’attente sous un soleil brûlant avant que les chauffeurs ne reviennent et c’est le départ.
A l’approche d’Algésiras, et après la première cagnotte ramassée la veille, Saïd récidive. Il organise une seconde collecte. Cette fois, c’est pour la douane. « Je veux vous éviter de perdre du temps et ne pas avoir d’ennuis. Il faut donc cotiser. L’argent collecté sera versé à des douaniers que nous connaissons bien. Pour ceux qui l’ignorent, je leur assure que c’est monnaie courante. Je vous préviens, ceux qui ne donneront rien, seront aux premières loges pour la fouille », explique Saïd qui change subitement de ton. Il devient même menaçant. L’autocar arrive à Algesiras. Il est minuit.
L’activité au port est toujours animée et le dernier bateau est déjà parti. Il faut attendre le matin. « Tout le monde descend. Que personne ne reste dans l’auto se plient aux ordres. Un couple se rebelle tellement il en a marre. Mais c’est peine perdue. Tout le monde passe la nuit à la belle étoile. Allongés à même le sol, certains essayent de trouver le sommeil malgré le sentiment d’insécurité ressenti, sans parler des piqûres de moustiques. Des habitués utilisent leur sac de couchage. Heureusement, l’air est doux. Le staff dort bien sûr dans l’autocar. A l’aube du troisième jour, la traversée se fait en une heure à bord d’un « ferry ». Certains en profitent pour faire un brin de toilette. Arrivée à Sebta à 5h du matin. A la frontière marocaine, l’argent collecté par Saïd n’aura servi à rien. Les douaniers demandent de descendre les bagages. Sous le regard attentif des voyageurs, un agent procède à fouille de quelques sacs sans grande conviction. Cela prend beaucoup moins de temps que leur remise en place.
Seul moment de détente, lors de ce premier contact avec le sol marocain, un vendeur ambulant de thé à la menthe et de « msemmen » : la collation coûte un euro.
Après le passage de la Douane, l’autocar poursuit son chemin. Les voyageurs ignorent tout du trajet. Toute question sur l’itinéraire trouve réponse agressive. « Voyez avec l’Haj, c’est à lui de vous expliquer », répond Mohamed.
Passé Tétouan, l’autocar s’arrête dans un village où le staff se restaure gratuitement dans sa gargote habituelle. Arrivée à Tanger vers 13h. Le chauffeur refuse d’aller jusqu’à la gare routière malgré la colère des passagers. Certains menacent de faire appel à la police. Le chauffeur n’en fait qu’à sa tête. Ses acolytes ordonnent à tout le monde de descendre. Attirés par l’arrivée d’un autocar de « l’Kharij », porteurs, mendiants et taxis se précipitent sur le véhicule. En quelques secondes, la soute à bagages est encerclée.
Comme à la criée, Saïd et Mohamed sortent les bagages pêle-mêle et appellent les voyageurs pour identifier leurs sacs et valises, les mettre en lieu sûr ou se les faire porter à l’intérieur de la gare. La foule devient tellement nombreuse qu’on ne distingue plus les passagers des intrus. Les bagages entassés devant l’autocar font penser à une vente aux enchères. Le spectacle est désolant.
La criée terminée, tout le monde se dirige à l’intérieur de la gare.
L’autocar dans lequel on doit finir le voyage part dans une heure. Fatigués, affamés et surtout dégoûtés, les voyageurs veillent sur leurs bagages. Un moment d’inadvertance peut coûter cher.
Après près de deux heures, l’autocar sort de la gare. Les gens étouffent de chaleur à l’intérieur. Les voyageurs n’ont même plus la force de protester. Seul objectif : arriver chez eux et dormir. La prochaine visite au bled est renvoyée aux calendes grecques.
L’autocar fait escale à Assilah, Larache, Kénitra et Salé. De Rabat à Casa, le chauffeur a même jugé utile de « chasser » des places à gauche et à droite, question de se faire un peu d’argent. On arrive à la gare Ouled Ziane de Casablanca à 21h. Epuisés, les voyageurs on vécu un véritable cauchemar… qu’ils ne sont pas près d’oublier.
Mohamed AKISRA pour léconomiste