La Nouvelle Tribune : Comment expliquez-vous le fait qu’en Belgique, il existe un nombre important de Marocains de nationalité belge qui ont pu avoir des responsabilité politiques, gouvernementales et législatives ?
M. Mohamed Boukentar : Il faut reconnaître que ce pays donne l’exemple dans toute l’Europe en matière d’intégration politique des étrangers. Auparavant, il était presque tabou pour un immigrant d’origine marocaine ou autre d’être membre d’un parti belge. Un étranger n’avait pas le droit de vote. Mais à partir des années 80, nous avons commencé à militer avec la création de l’association Objectif 82 pour avoir ce droit . La réponse du politique belge était sans ambiguïté : Il faut du temps pour les étrangers d’origine maghrébine pour pouvoir les initier à la démocratie. Donc il’y a eu la création de conseils consultatifs. Le premier conseil consultatif des Bruxellois d’origine étrangère a été alors installé. Il avait uniquement un pouvoir consultatif. L’expérience a duré six ans avant de passer à la phase suivante à savoir la participation politique. Les partis politiques de l’époque, en dehors des communistes et des socialistes, étaient clairs à ce sujet : "mêmes droits, mais aussi, mêmes devoirs". "Les mêmes devoirs" veut dire service militaire. Et Après avoir pris conscience de l’intérêt qu’accordent les étrangers au droit de vote, les pouvoirs belges ont décidé de faciliter la naturalisation. Actuellement sur les 500 000 marocains résidant en Belgique, il’y a 156 000 naturalisés. La communauté marocaine est la plus importante dans la région bruxelloise. Les Marocains de Belgique sont actuellement à leur quatrième génération et ils sont devenus incontournables pour toutes les formations politiques belges.
Peut-on dire que les partis belges se servent de cette communauté à des fins électorales ?
Si le PS est le premier parti en Belgique, le premier également à Bruxelles (majoritaire au niveau du gouvernement régional de Bruxelles), chose qui a donné un Premier ministre socialiste, en l’occurrence M. Charles Picqué, c’est parce que la majorité écrasante des Marocains résidant en Belgique ont voté pour les socialistes. Ce parti a toujours été du côté de la communauté marocaine. Les Libéraux étaient très durs à l’égard des Marocains. Jean Gol, Chef du Parti Libéral belge, lui-même, immigré d’origine anglaise, avait présenté un projet de loi contre de la participation marocaine dans la gestion des affaires locales en Belgique. Ce projet de loi voulait limiter le nombre de marocains au niveau des communes et imposer un quota. Cet homme voulait que les immigrés maghrébins rentrent dans leurs pays après avoir passé une année de chômage en Belgique. Le PS, le Parti Social Chrétien et certains syndicats se sont opposés à ce projet. Nous avions dénoncé ce projet raciste. Actuellement, les Libéraux s’acharnent pour gagner les voix des Marocains et leur faire oublier ce qui s’est passé. De mon côté, j’oeuvre pour que les jeunes marocains de Belgique préservent leur identité, en organisant des conférences radiophoniques. Notre communauté a beaucoup souffert pour atteindre ses objectifs légitimes. Il ne faut pas que nos jeunes oublient ceci.
Pouvez-vous nous donner des chiffres sur la participation politique de la communauté marocaine en Belgique ?
En plus de Fadila Laâlam, ministre d’origine marocaine qui a évolué au sein du PS, il existe en Belgique 85 élus aux niveau fédéral, régional et au niveau du Sénat. Nous avons aussi au niveau régional 13 représentants d’origine marocaine qui ont été élus l’année dernière. Nous sommes des élus belges et prêté serment à la Constitution de ce pays. Mais cela ne veut pas dire que nous allons oublier nos origines.
Comment la population belge perçoit-elle, le mandat d’un élu ou un ministre d’origine marocaine ?
Le pouvoir décisionnel que détenu par les Marocains de Belgique est important. A titre d’exemple, je suis conseiller communal de Bruxelles, administrateur de la société inter-régionale de logement social, vice-président de la Foire Internationale, commissaire au compte de la société Sibergaz et administrateur du marché de gros. Depuis que je siège au bureau permanent de la société inter-régionale de logement social, beaucoup de Marocains ont pu acquérir des logements. Mais je suis bien entendu à la disposition de tous les citoyens belges sans distinction et sans clientélisme. Beaucoup de belges de souche ont voté pour moi, en dépit de mes origines. Une occasion pour nous, de démystifier l’image qu’ont, en général, les Arabes et, en particulier les Marocains, de la gestion de la chose publique.
Dans quelle mesure la diaspora marocaine influe-t-elle sur les décisions de l’Etat ou des institutions politiques à l’égard du Maroc ?
Nous nous sommes posés la question de savoir si nous sommes purement et simplement des ramasseurs de voix ou des Beni-oui-oui. Avec l’affaire du Sahara Marocain, nous avons pu tester le degré de notre influence et l’importance qu’accorde le PS à notre cause de premier plan. Malheureusement, au sein de ce parti, il existe deux personnes corrompues par le pouvoir algérien pour soutenir les séparatistes du Polisario au sein du PS.
Quelle lecture faites-vous du communiqué du PS belge relatif à l’affaire du Sahara marocain ?
La déclaration officielle du PS a une importante signification. Les Marocains membres du PS sont des socialistes à part entière. Ils ne sont pas des socialistes de seconde zone ou des ramasseurs de voix. Ce constat, le PS l’a prouvé et l’a démontré dans ce communiqué. Le PS a tenu compte de nos suggestions. Il est à signaler à ce sujet que la diplomatie marocaine est absente. Je vous donne un exemple concret : Dimanche 4 octobre 2004, le président de la mosquée de Bruxelles M.Qaïssi a organisé un grand F’tour où il a invité des ministres et des élus belges. L’ambassadeur du Maroc en Belgique qui était parmi les invités n’a pas cité, dans son discours, l’affaire du Sahara, donnant ainsi l’impression que c’est une affaire mineure. Alors que c’était une occasion pour dénoncer les manoeuvres algériennes, mais notre ambassadeur ne l’a pas fait.
Qu’en est-il de la diaspora algérienne ?
Nous avons de bons rapports avec la communauté algérienne de Belgique. Beaucoup d’opposants algériens demandent l’asile politique. J’ ai aidé certains à l’obtenir, car c’est un devoir. Je n’avais pas l’intention de créer des problèmes avec le pouvoir en Algérie. La Belgique est un pays démocratique où la majorité des citoyens considère que le peuple algérien souffre du régime militaire actuel.
Savez-vous que le Maroc, travaille actuellement sur un projet de loi sur les partis politiques ?
Non. Je ne suis pas au courant de ce projet.
Pensez-vous que la restructuration du champ partisan marocain a besoin d’une loi ?
Je pense que oui. Il est grand temps de mettre fin à l’anarchie qui règne au sein des partis au Maroc. De notre part, au sein de l’Internationale Socialiste, nous avons souhaité qu’une gauche forte puisse devenir un interlocuteur. Pour ma part, j’ai des reproches à faire aux dirigeants des partis politiques. Pour quelqu’un comme M.El Yazghi, je pense qu’il est dépassé par les événements. J’imagine mal qu’une personne comme Mahjoub Benseddik soit encore à la tête d’un syndicat. En Belgique, à l’âge de 65 ans, un leader politique n’a plus le droit de se présenter aux élections. Il est grand temps de laisser la place aux nouvelles générations.
En Belgique, y a-t-il des lois qui régissent les partis ?
Ce sont les statuts internes de chaque parti qui le font. C’est plus qu’une loi, c’est une tradition et une culture. L’âge de 65 ans, ne donne pas le droit de se présenter à un autre mandat de 4 ans. Une dérogation peut se faire si les membres du parti jugent que le concerné est indispensable. Donc, c’est une exception et, dans ces conditions, c’est le parti dans son ensemble qui décide et non pas une catégorie de ses membres. Malheureusement au Maroc, c’est tout à fait le contraire. Un chef de parti ne part jamais de son propre gré. Nos partis doivent évoluer.
Le PS belge entretient-il des relations avec la gauche marocaine ?
En général, le PS a des affinités avec deux formations de gauche : l’USFP et le PPS. Ce dernier a une histoire. Par contre, créer un groupuscule du jour au lendemain et dire que c’est un parti de gauche, n’a aucun sens. Actuellement, je travaille sur l’organisation d’une rencontre entre des députés belges, des membres du gouvernement et cinq partis politiques : l’USFP, le PPS, l’Istiqlal, un parti de la Droite et un parti libéral pour développer et rapprocher les points de vues sur un certain nombre de questions d’actualité.
Quelle analyse faites-vous du retour en force des partis socialistes en Europe ?
M. Blum qui était membre du Comité Central du Parti Communiste Belge m’a dit un jour qu’il allait devenir fou car il avait assisté à une manifestation en Angola où les gens parlaient de dictature du prolétariat. Il m’a dit ensuite que pour évoquer le prolétariat il faut obligatoirement une industrie, alors que dans ce pays d’Afrique, il n’y a pas d’industrie. Certains nous disent que nous sommes des gauchistes roses. Pour moi, je préfère être rose plutôt que noir. La gestion politique de la chose publique exige aujourd’hui plus que jamais des concessions. Si nous imposons le programme des socialistes dans son intégralité, nous devenons dans ce cas des dictateurs. Pour faire avancer le processus des réformes, la politique consensuelle s’avère de plus en plus nécessaire.
Vous êtes patron de la Radio Culture III. Quelle est la ligne éditoriale de cette chaîne ?
À un certain moment , la communauté marocaine était attaquée de tous bords. Malheureusement, nous n’avions pas les moyens nécessaires pour nous défendre. Nous étions la cible du racisme, de la désinformation...Pour cette raison, j’ai pris l’initiative avec Si h’med Ktibi d’investir dans une station radio. Nous avons voulu qu’elle soit celle de tous. Le plus important c’est qu’elle soit écoutée par les Belges de naissance. On a programmé l’émission "Sahara marocain, entre les visés impérialistes et algériennes" que Culture III diffuse chaque mercredi.
Quelle lecture faites-vous des critiques de certains opposants marocains installés à l’étranger ?
Elles n’ont aucun impact. La communauté marocaine en Belgique ne leur accorde aucune importance. Le Maroc change et bouge malgré les critiques, que ces opposants le veuillent ou non.
M.Mohamed Boukentar, Conseiller communal de la ville de Bruxelles - Entretien réalisé par Hassan Zaatit - La Nouvelle Tribune