Plus de quatre mois après les attentats-suicide du 16 mai qui ont fait 45 morts, dont 12 kamikazes, à Casablanca (100 km au sud de Rabat), les autorités s’efforcent de distinguer "bons" et "mauvais" islamistes en laissant s’implanter les premiers dans le paysage politique du royaume tout en poursuivant une répression sans merci contre les seconds.
Des élus du parti islamiste de la Justice et du Développement (PJD) viennent d’arriver pour la première fois à la tête de municipalités marocaines, après les élections communales du 12 septembre où ils avaient pourtant présenté un nombre réduit de candidats.
"Nous ne faisons plus peur aux Marocains qui ont, en bien peu de temps, appris à nous connaître", affirme un responsable du PJD, ajoutant que son parti s’efforçait de "rassurer les pouvoirs publics comme les investisseurs étrangers".
Après de laborieuses tractations politiques qui ont suivi les communales, des islamistes ont pris la tête des conseils municipaux de plusieurs villes moyennes, comme notamment dans la cité impériale de Meknès (est), berceau de la monarchie alaouite.
Le PJD a annoncé son intention de faire de cette ville un "modèle de bonne gouvernance", prenant date implicitement pour de futures échéances politiques et s’inscrivant dans une logique de conquête démocratique, comme son homonyme de Turquie parvenu au pouvoir lors des législatives du 3 novembre 2002.
Les adversaires du PJD, à commencer par l’Union socialiste des forces populaires (USFP) - l’un des principaux soutiens de gouvernement de Driss Jettou - ont taxé d’hypocrisie ces islamistes politiques qui arborent la barbe et souvent le costume trois pièces.
Ils les accusent d’avoir fait le lit des intégristes en dénonçant les "dérives occidentales" de la société marocaine, et d’être "moralement responsables" de l’apparition de la violence, et en particulier des attentats de Casablanca.
Le passage à l’acte de l’intégrisme radical, jusqu’alors cantonné dans les prêches et dans une abondante littérature islamiste, a donné lieu à une vaste enquête et à la mise au jour de réseaux terroristes qui préparaient, selon la police, des attentats dans tout le royaume.
Ces révélations, et les grands procès qui se poursuivent contre des centaines d’intégristes, notamment les membres présumés de l’organisation "Salafia Jihadia", semblaient devoir porter un coup sévère à l’aile politique du camp islamiste.
C’est le calcul que faisaient le pouvoir et les partis traditionnels, déjà échaudés par la percée du PJD aux législatives de septembre 2002, où il était devenu la première force d’opposition parlementaire.
Mais les suites du scrutin communal à mis fin à cet espoir, confirmant l’influence croissante d’un PJD soucieux de sérieux et de respectabilité, devenu fin négociateur politique. Ses succès en milieu urbain - pas limités aux quartiers périphériques déshérités - en ont fait un interlocuteur incontournable dans bon nombre de communes.
Les partis traditionnels, et singulièrement ceux de la coalition gouvernementale, ont offert de leur côté le spectacle de leurs rivalités internes et n’ont pas su faire respecter la discipline de vote du camp majoritaire.
Le Journal Hebdomadaire (indépendant), a publié une analyse selon laquelle la monarchie aurait décidé de tirer les conséquences de cette nouvelle donne politique. Un renversement d’alliances gouvernemental au profit des islamistes lui fournirait un meilleur point d’appui pour contrôler l’islam radical.
En forme de réponse, le secrétaire général adjoint du PJD, Saâd Eddine Othmani a assuré à l’AFP que l’entrée du PJD dans un gouvernement marocain "n’est pas discutée au sein du parti". Mais il a veillé à ne pas fermer la porte : "le jour où une proposition de participation nous sera soumise, a-t-il ajouté, les instances du parti l’étudieront".
AFP