C’est que l’islam était reconnu dans notre pays depuis le milieu des années septante, mais sans représentants officiels auprès de l’Etat. D’où de nombreux problèmes temporels relatifs à la désignation de professeurs de religion musulmane, à la reconnaissance des mosquées, etc. On avait donc cru ces problèmes résolus.
Las. Des tensions sont tôt apparues parmi ces représentants. Elles sont principalement de deux types. D’une part, les origines nationales différentes séparent Marocains, Turcs et autres (les convertis belges se sentent eux-mêmes isolés). D’autre part, leur activisme a permis aux tendances « dures » d’être fort surreprésentées au scrutin de 1998 (45000 électeurs sur environ 400000 musulmans). Si les fidèles pacifiques sont de très loin les plus nombreux dans la communauté, ils sont aussi plus détachés des institutions que les « durs », pour qui l’Exécutif représente un enjeu de pouvoir considérable.
Un réel enjeu démocratique
Bref, ces tensions ont fini par bloquer complètement l’Exécutif, l’année dernière. Deux médiateurs, les sénateurs Myriem Kaçar (Agalev) et Philippe Moureaux (PS), ont été désignés par le gouvernement. Le second, sans guère entendre la première, a présenté un plan pour tout dénouer. Une partie de ce projet consistait à renouveler 7 mandats (sur les 14 membres encore actifs, à l’Exécutif).
Or le nouveau rapport du Comité R (évoqué en page 2), entièrement fondé sur les avis convergents à ce sujet de la Sûreté de l’Etat et du SGRS, avoue le monde politique, ne laisse pas place au doute : comme beaucoup avaient ouvertement dit le craindre à l’annonce du « plan Moureaux », plusieurs des personnes concernées par ce renouvellement semblent bien trop proches des tendances dures.
« Les deux services sont d’accord pour dire que l’Exécutif est mangé par les manoeuvres des radicaux contre les modérés », nous dit une personne ayant eu connaissance de quelques détails. « La Sûreté (NdlR : qui avait déjà été chargée d’un « screening » des élus en 1998) ne considère pas du tout que les choses ont été mises sur des rails satisfaisants. » Et le SGRS aurait relevé des contacts suspects avec des tendances dures.
L’enjeu n’a rien d’anodin. Il était par exemple apparu l’année dernière que, parmi les livres qui transitent par l’Exécutif pour être distribués dans les prisons, figurait un « best-seller » de Cheikh Youssouf Qaradawi, de sensibilité « Frères musulmans », « Le licite et l’illicite ». Où il explique, entre autres donc aux prisonniers musulmans de Belgique, « la bonne manière de battre sa femme sans lui toucher le visage », comme le rapportait notre confrère du Vif/L’Express au mois de novembre dernier. A cent années-lumière des règles de la vie démocratique européenne...
On comprend donc que, dans ces conditions, le gouvernement et singulièrement le ministre de la Justice, Marc Verwilghen, refusent de reconnaître tout changement aussi simplement. Mais que faire ? Le sujet a été discuté vendredi au Conseil des ministres. Comme du bout des lèvres, à en croire le communiqué officiel - un monument de diplomatie qui semble surtout destiné à épargner les sensibilités, puisqu’il faudra bien que les membres de l’Exécutif s’entendent tôt ou tard entre eux.
Décision ? Une commission devrait être formée somme toute pour donner rapidement la possibilité aux personnes visées par les services de renseignement de donner leur avis. Une commission déjà annoncée dans le plan Moureaux - et qui n’apparaît pas comme une demande des modérés. Mais les élections législatives approchant, il n’est pas sûr que quiconque veuille de sitôt aller plus avant dans ce dossier explosif.
La libre Belgique