L’Office des changes a découvert que des influenceurs et créateurs de contenu sur Internet ont des propriétés non déclarées à l’étranger et violent les textes régissant le change.
Au port de Tanger où il travaille, Kamal ne compte plus les clandestins qu’il a vu se faire surprendre et tabasser par les « mroud ». Pour donner le change à son impuissance, une résolution : dégainer son portable à la première occasion, filmer en douce la scène et la balancer sur le Net. Journalisme citoyen, telle est le mot consacré pour ce type de contribution dans le jargon de la Toile.
Le phénomène explose aussi bien dans les pays occidentaux qu’arabes, comme en Egypte, en Irak ou encore en Palestine où « certains sites de journalisme citoyen sont devenus des sources d’informations plus importantes que les sources officielles » explique Saïd Essoulami, directeur à Casablanca du CMF MENA (Centre pour la liberté des médias au Moyen-Orient et Afrique du Nord). Au Maroc, le phénomène en est à ses balbutiements mais se déploie chaque jour un peu plus.
La Toile de fond
Le développement rapide d’Internet, l’augmentation du taux d’équipement informatique, la baisse des prix de connexion, le succès des cybercafés, tout concourt à ce que le nombre d’internautes croîsse de manière exponentielle. Et si c’est le plus souvent pour un usage divertissant, la prolifération des blogs semble passer à une autre étape. « Lorsque les blogs se seront davantage généralisés, les internautes se dirigeront de manière plus significative vers des sites de contenu », analyse Khalid Essajidi, responsable marketing d’attalib.org, site qui offre un espace de choix aux internautes pour rédiger des articles sur l’enseignement.
Comme Kamal, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir profiter de la plate-forme Internet au Maroc pour s’exprimer, dénoncer, analyser, témoigner et faire témoigner. En un mot : informer. Bien entendu, tel n’est pas leur métier, avec tout le professionnalisme que cela sous-tendrait. Néanmoins, ces néo-journalistes ne sont plus de simples receveurs et se font désormais des relais alternatifs de l’information.
Avec Internet pour la mise en ligne de textes ou de podcasts (contenu audio ou vidéo) et grâce aux téléphones portables, les nouvelles technologies ouvrent le champ à d’incalculables possibilités. Une aubaine pour des citoyens qui « ne croient plus en la possibilité de faire entendre leur voix à travers les médias traditionnels », à en croire Saïd Essoulami. Il explique que, partagés entre le choix d’une presse partisane ou d’une presse privée jamais vraiment indépendante, avec toutes les connivences et les pressions financières que cela implique, les internautes ont vite fait de trancher pour le Net. Saïd Essoulami ajoute en outre que le phénomène est en grande partie porté par les jeunes. « Ils ne font plus confiance aux médias traditionnels car ceux-ci ne reflètent pas leur vision. Les jeunes veulent non seulement s’y retrouver mais également participer en tant que citoyen ».
Du manque au militantisme
Pourquoi tenter l’aventure ? La naissance du phénomène n’est assurément pas un simple effet de mimétisme. C’est d’abord un manque d’information (ou un accès à un traitement non satisfaisant) qui pousse les internautes à prendre les devants pour combler leurs attentes personnelles et celles, à plus large échelle, des visiteurs de leurs sites ou blogs. Ainsi est né le amwaj.com, consacré à la ville de Salé. Avec un soupçon d’ironie, Ayyoub Ajmi, slaoui et propriétaire du site, revendique un « besoin de connaître l’actualité du quartier Hay Rahma à Salé avant celle de Sadr City en Irak ! ». L’une des caractéristiques type du journalisme citoyen est l’aptitude à offrir un éclairage de proximité avec un regard parfois plus accru d’un journaliste professionnel de passage, pour peu qu’il prenne le temps et la peine du déplacement. Confronté à l’absence d’information sur la ville mais aussi sur des projets aussi importants que l’aménagement de la vallée du Bouregreg, Ayyoub Ajmi commence d’abord par mettre en ligne des livres numérisés sur Salé. L’intérêt des visiteurs aidant, suivront une galerie de plus de 2500 photos, un forum, des chroniques et des actualités sur la ville et ses habitants. Une revue de presse et des vidéos sont désormais également en projet. Ou comment la demande crée l’offre.
Les internautes ne se contentent donc plus d’attendre et mettent un point d’honneur désormais à devenir acteur du partage de l’information, sans rétribution. Exception faite des responsables de sites pourvus de bannières publicitaires rentables, ce militantisme est majoritairement bénévole comme ce fut le cas pour Mehdi Msaddeq, ancien rédacteur du site jeunesdumaroc.com. Il se souvient des débuts du site, il y a de cela 3 ans. « Nous étions sept rédacteurs dont un seul formé aux métiers du journalisme. Nous avons appris le métier sur le tas, des reportages aux interviews en passant par le compte-rendu d’événements culturels ou autres. Puis le contenu a explosé avec la contribution de près de 400 internautes rédacteurs ».
Ce type de sites se multiplie, qu’ils soient généralistes (casafree.com se décrit comme un portail participatif de l’actualité nationale et mondiale), spécialistes (raptiviste.net contente les aficionados du rap en mal d’infos et se décrit aussi comme un portail participatif) ou associatifs (tanmia.ma souhaite renforcer les capacités associatives sans omettre la portée du journalisme citoyen en créant un site consacré aux usages du podcast).
Les rédacteurs de ces sites expliquent l’engouement des internautes par l’interactivité qu’Internet permet, un traitement d’informations quasi absentes dans d’autres médias et une approche non entachée par des codes journalistiques jugés parfois pesants. Autre avantage, une censure plus ardue à imposer. Les internautes veillent au grain, le cas récent de l’affaire Youtube le prouve. En outre, Internet permet l’usage d’un ton plus libre où la subjectivité est souvent assumée voire revendiquée. Les sarcasmes sont donc permis, mais pas les insultes ou les articles jugés sans fondements. Exit également l’usage du copier-coller que certains petits malins utilisent pour s’attribuer des articles récupérés sur le Net. La vérification des éléments confiés aux sites est d’usage.
Tous journalistes ?
Car relais de l’information, ces internautes particuliers ne sont pas tous, mais pour la plupart, possiblement journalistes même s’il est vrai que les blogueurs se considèrent davantage comme des chroniqueurs ou des éditorialistes. Sur son blog citoyenhmida.blogs.ma, Abdelhamid Bouziane présente son apport comme des « chroniques tenues par un marocain lambda qui regarde et commente ce qui se passe autour de lui ». En revanche, ceux qui contribuent par texte ou vidéo aux sites de partage d’infos se considèrent comme des journalistes à part entière, comme c’est le cas pour Nabil Bendannoun de goovideo.com : « Le journaliste est quelqu’un qui rapporte un fait. Ce que je fais, c’est prendre un fait relaté par une vidéo et le présenter cru aux internautes, sans essayer de les manipuler, ce que malheureusement font les médias dont l’absence de subjectivité est hautement discutable ». Sur son site, outre de nombreuses vidéos vouées à divertir, on retrouve un témoignage d’un chemkar, un reportage sur la communauté gay à Marrakech ainsi que des vidéos tournées suite aux derniers attentats de Casablanca et des témoignages recueillis après l’explosion du cybercafé. Sur le site selwane.com, Ayyoub Ajmi s’essaie aussi à la vidéo informative avec, par exemple, une vidéo sur le hooliganisme qui sévit dans les stades.
Les journalistes professionnels doivent-ils craindre ces confrères alernatifs ? Pas sûr. Les journalistes citoyens devront relever le défi de la professionnalisation pour être d’avantage pris en considération bien que « ce phénomène ne pourra jamais remplacer le journalisme » d’après Mehdi Msaddeq. Il n’en sera pas moins un bon complément.
Le Journal Hebdo
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