« Jamais tu n’auras tes papiers »

25 septembre 2003 - 09h53 - France - Ecrit par :

Des femmes étrangères vivant en France ne peuvent obtenir de carte de séjour, faute d’un accord de leur mari. C’est le cas de Safia. Battue, elle a quitté le domicile conjugal, et se retrouve hors la loi.

À 33 ans, Safia est sans ressources, sans domicile fixe, sans travail, sans papiers. Le seul bien qui lui reste, ce sont ses enfants : sa petite fille de 2 ans et le bébé qu’elle porte dans son ventre depuis cinq mois et demi. Cette Marocaine, arrivée en France en 1998 avec un visa touristique, s’est mariée trois ans plus tard avec un Marocain en situation régulière. Selon la loi française (voir encadré), elle aurait dû bénéficier du regroupement familial et obtenir, en tant qu’épouse d’un étranger détenteur d’un titre de séjour, le même titre que lui : une carte de résident, valable dix ans. Mais la loi précise également que seule la personne possédant le titre de séjour peut entreprendre, pour son conjoint, ces démarches administratives. Et Nacer refuse.

« Chaque fois que j’en parlais, raconte Safia, il me répétait : "Jamais tu n’auras tes papiers. Après, tu me quitteras." » Pourtant, se lamente cette belle femme, fluette malgré son ventre rond, elle ne l’a pas épousé pour les papiers. Elle le croyait l’homme de sa vie. D’ailleurs, Nacer ne voulait pas se marier tout de suite. Il souhaitait qu’ils se connaissent mieux. « Au bout d’un an de vie commune, ma famille ne comprenait pas qu’on habite ensemble sans être mariés, se souvient Safia, avec amertume. Ils ont menacé de ne plus me voir. On s’est mariés. » Aujourd’hui, Safia a cessé d’espérer que son mari entreprenne les démarches nécessaires à sa régularisation. De toute façon, elle n’a plus droit au regroupement familial. Elle ne répond plus à l’un des critères nécessaires à l’obtention du titre, depuis les lois Pasqua d’août 1993 : la communauté de vie.

Malgré sa situation et l’amour qu’elle éprouve toujours pour son mari, elle a quitté avec sa fille l’appartement confortable de trois pièces qu’elle partageait avec lui depuis trois ans et demi. Pour vivre tantôt chez sa soeur, tantôt chez son frère, qui habitent Asnières. « Dès que mon mari boit de l’alcool, il me frappe, explique Safia dans un filet de voix plaintif. Il devient quelqu’un d’autre. Il boit quand il sort avec ses amis, jusqu’à ne plus pouvoir tenir debout. Quand il rentre, il me réveille, m’insulte et finit par me taper à coups de poing et de pied. » La première fois, c’était cinq mois après leur mariage. Il a continué pendant qu’elle était enceinte, il a recommencé deux mois après l’accouchement. « Seule, je ne sais pas si je l’aurais quitté, se demande-t-elle. Ma fille me dit souvent : "Papa, il est pas beau." Je ne veux pas que les enfants soient traumatisés. »

Pendant deux ans, elle n’a pas osé parler à sa famille de ce qu’elle endurait. « Jamais personne n’avait levé la main sur moi, pas même mon père, justifie Safia, qui laisse perler quelques larmes. J’avais peur. » Elle a souvent quitté l’appartement au beau milieu de la nuit pour se réfugier un jour ou deux chez la mère de son mari. Une femme compréhensive, qui lui rappelait pourtant : « Les hommes, c’est comme ça, faut pas les énerver. » Et Safia, comme si elle avait besoin de se justifier, de répliquer : « Quand il insulte ma famille, c’est plus fort que moi. Je lui réponds, et il frappe. Surtout quand il s’agit de mon père, décédé. Il ne l’a même pas connu. Je préfère encore qu’il me tape, plutôt qu’il m’insulte, qu’il me dise que je suis une moins que rien, parce que je n’ai pas fini mes études, parce que j’ai travaillé comme femme de ménage... Je ne peux pas le supporter. »

Elle n’osait pas non plus porter plainte. « Quand je menaçais d’aller au commissariat, mon mari me répondait : "Tu es sans papiers. Si tu vas voir la police, elle placera ta fille à la Ddass" », explique Safia. « Je ne connaissais pas la loi. Et je veux que mes enfants vivent ici, fassent leurs études ici. Au Maroc, il n’y a pas de travail. » Mais lorsque son mari l’a mise à la porte, en janvier 2003, cela a été le geste de trop. Elle s’est réfugiée chez sa soeur. Aussitôt, son mari est venu lui réclamer sa fille. Cette fois, Safia a appelé la police. Elle a porté plainte, acte médical à l’appui. À l’hôpital, une assistante sociale lui a expliqué que, même sans papiers, elle ne serait pas séparée de son enfant si elle s’en occupait bien. C’est elle qui l’a mise en contact avec l’Asti 92 (Association de solidarité avec les travailleurs immigrés). « Françoise Thibaud, chargée de cette permanence, m’a aidée à faire des démarches pour être régularisée. »

http://www.politis.fr/

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Immigration clandestine - France - Régularisation - Immigration - Mariage

Ces articles devraient vous intéresser :

Malgré les obstacles juridiques, la polygamie persiste au Maroc

Alors que le gouvernement est en train de plancher sur une réforme du Code de la famille, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire vient de publier son rapport sur la polygamie dans lequel on apprend que quelque 20 000 demandes pour un deuxième...

Éric Ciotti (Les Républicains) en visite au Maroc

Une délégation du parti Les Républicains, menée par Éric Ciotti, a annoncé sa visite au Maroc du 3 au 5 mai prochains dans le but de poursuivre « une relation de fraternité et de responsabilité » avec le royaume.

Maroc : crise du célibat féminin

Au Maroc, le nombre de femmes célibataires ne cesse d’accroître, avec pour conséquence la chute du taux de natalité. Quelles en sont les causes ?

Couples non mariés et hôtels au Maroc : vers la fin des abus ?

Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice, lance un avertissement aux hôtels qui exigent des documents non autorisés notamment un certificat de mariage des couples marocains.

Au Maroc, le parti au pouvoir dit niet au mariage homosexuel

Le parti Rassemblement national des Indépendants (RNI) présidé par Aziz Akhannouch, chef du gouvernement marocain, affiche son opposition au mariage homosexuel.

Des soldats marocains accusés d’avoir tiré à balles réelles sur des migrants

L’Espagne a ouvert une enquête concernant des allégations de tirs sur des migrants tentant de rejoindre les îles Canaries depuis le Maroc. Une association caritative affirme que des soldats marocains auraient ouvert le feu sur ces migrants,...

Le mariage des mineures au Maroc : une exception devenue la règle

Depuis des années, le taux de prévalence des mariages des mineurs évolue en dents de scie au Maroc. En cause, l’article 20 du Code de la famille qui donne plein pouvoir au juge d’autoriser ce type de mariage « par décision motivée précisant l’intérêt...

Maroc : les salles de fêtes se plaignent de "l’absence" de mariages

Au Maroc, la fréquentation des salles de mariage a considérablement baissé cet été au point d’inquiéter plusieurs gérants.

En réponse au Qatargate, le Maroc ne respecte plus les accords de renvoi des déboutés d’asile

Depuis l’éclatement du scandale de corruption connu sous le nom de « Qatargate », les difficultés pour renvoyer les Marocains déboutés de leur demande d’asile vers leur pays d’origine se sont accrues.

Maroc : des changements majeurs pour les MRE en matière de droit de la famille

Le Maroc a décidé d’alléger considérablement les procédures administratives en matière du Droit de la famille, notamment le mariage, le divorce et l’état civil en faveur des Marocains résidant à l’étranger (MRE).