Infrastructures : Karim Ghellab veut un programme plus musclé

7 novembre 2008 - 23h06 - Maroc - Ecrit par : L.A

Des autoroutes aux ports, « tous nos programmes d’infrastructures seront accélérés ». Voilà une assurance pour les entreprises et les opérateurs qui seront ce matin au Salon international du bâtiment qui se tient jusqu’au 9 novembre dans l’enceinte de l’Office des foires et des expositions à Casablanca.

Le ministre de l’Equipement et du Transport, Karim Ghellab, annonce un nouveau contrat-programme avec les professionnels, plus détaillé en termes d’engagements avec un accent particulier sur la formation professionnelle. « J’en ferai un point stratégique du prochain contrat-programme », affirme le ministre. Pour cause, la politique des grands chantiers crée des milliers de postes mais pas forcément des emplois faute de main-d’œuvre qualifiée disponible sur le marché.

Concrètement, quel sera l’impact du statut avancé que l’Europe vient de reconnaître au Maroc sur la politique d’infrastructures ?

Le statut avancé est avant tout une avancée politique forte, une distinction pour le Maroc. Nous sommes liés par un accord d’association avec l’Europe qui s’est révélé un cadre de coopération, seulement, il était uniformisant et, à notre sens, nivelait par le bas. C’est cette philosophie-là que le Maroc n’a jamais acceptée, il a toujours demandé que cet accord tienne compte des aptitudes, des progrès, des changements et du dynamisme et de l’histoire de chaque pays.

Si vous voulez, un peu une politique « sur mesure » parce que nous pensons que nous avons des capacités d’exprimer des propositions de partenariat avec l’Europe au-delà de la politique générale.

Et nous l’avions démontré, notamment le secteur du Transport à travers l’open sky. Si l’on devait procéder pays par pays, cette réforme aurait mis cent ans. Or, le Maroc l’a réussie en très peu de temps avec des retombées bénéfiques de part et d’autre. C’est cette logique-là qui est aujourd’hui consacrée par ce statut avancé.

Tout cela, me direz-vous c’est le côté politique, mais il y a surtout plusieurs progrès institutionnels derrière le statut avancé dont la convergence réglementaire est l’une des plus importantes. Par ailleurs, le statut avancé nous ouvre la voie à une intégration dans toutes les agences spécialisées de l’Union européenne, et sur le financement, cela nous donne un discours nouveau. Cette reconnaissance nous confère un nouvel argument : puisque nous avons le statut avancé, il faudra que cela se concrétise par plusieurs projets et des moyens supplémentaires.

Côté européen, on sent pourtant peu d’emballement pour le projet de tunnel sous le détroit de Gilbratar. Le statut avancé peut-il aider à sa concrétisation ?

La réponse est oui sans hésitation. D’ailleurs, cet ouvrage est spécifiquement mentionné dans l’Accord d’association avec l’Europe. L’Union européenne a pris acte du projet et des efforts vont se poursuivre pour l’y impliquer davantage.

Il faut rappeler que ce tunnel est référencé sur la liste de projets prioritaires établie par Bruxelles. Il fait partie du prolongement des axes routiers qui relient le réseau transeuropéen aux pays du voisinage de l’Europe. Il n’y a donc pas de souci particulier à ce sujet.

Où en est le projet de l’extension du port de Casablanca ?

Plusieurs pistes sont à l’étude. Le port de Casablanca va finir cette année avec un trafic de 800.000 conteneurs EVP (équivalent vingt pieds). En comptant le terminal Marsa et celui de Somapor (qui sera ouvert à l’exploitation au premier trimestre 2009), sa capacité actuelle est de près d’un million de conteneurs EVP. Le nouveau terminal inauguré par Sa Majesté il y a quelques semaines a porté la capacité à 1,5 million d’EVP. Le trafic conteneurs enregistre une croissance de 20% en moyenne annuelle. Au rythme actuel de la progression du trafic, d’ici 2014-2015, le port de Casablanca se trouvera en situation de saturation. Il faut donc anticiper en lançant les travaux d’extension dans un délai assez proche. Nous sommes en train d’étudier des extensions possibles. Il y a plusieurs scénarios : l’extension du port lui-même, il y a un scénario au niveau de Mohammédia, un autre entre Mohammedia et Casablanca (c’est l’hypothèse Zenata) et bien d’autres. Tous ces scénarios sont analysés sur la base de la circulation et du volume des flux qu’ils vont générer en intégrant le paramètre de la dimension urbaine. C’est très compliqué, ce sont plusieurs variables qu’il faut rendre compatibles. Cette extension relève avant tout d’un problème d’intégration urbaine dans le sens où il faut disposer de capacités d’évacuation des marchandises entre le port et le reste des infrastructures routières et autoroutières. Nous sommes en train de zoomer sur ces éléments avant de pouvoir arrêter une option définitive qui interviendra très rapidement.

Quelles sont les opérations-phares que vous prévoyez en 2009, et qui seront inscrits dans la loi de Finances ?

Dans le secteur autoroutier, 2009 est l’année d’entrée en plein régime du programme. Le compte à rebours est lancé pour accélérer les travaux de plusieurs axes : Marrakech-Agadir et Fès-Oujda qui s’achèvera en 2011. Toujours dans le programme autoroutier, nous allons lancer les travaux du triplement des voies de Casablanca-Rabat soit à la fin de l’année, au plus tard, début de l’année prochaine. La présélection des entreprises est déjà faite, reste un certain nombre d’appels d’offres préparatoires qui ne vont pas tarder. L’appel d’offres proprement dit mettra encore quelques semaines.

A la fin de l’année 2009, les travaux du contournement autoroutier de Rabat vont démarrer.

Au delà, 2009 sera aussi la première année de l’exécution du contrat-programme avec Autoroutes du Maroc qui porte sur 35 milliards de dirhams d’ici 2015. Cet accord-cadre prévoit des dotations en capital par l’Etat. Je rappelle que ce sont ces accords qui sont à la base de l’accélération de la réalisation des autoroutes dans notre pays. Par le passé, la démarche consistait à programmer année par année. Maintenant nous sommes inscrits dans une projection quinquennale, cela imprime plus de vitesse et de prévisibilité à la politique gouvernementale.

Que sont devenus les stades projetés dans le cadre de la candidature à l’organisation du Mondial ? Il paraît que certains seraient gelés, voire arrêtés…

Non (catégorique). Aucun chantier n’est arrêté. Les travaux continuent, mais seulement, ils sont moins visibles.

Petites phrases et certitudes du ministre

Bureaux de contrôle : C’est un des maillons faibles sur la chaîne du BTP. Il y aurait des certificats de complaisance qui circulent par milliers. Que faites-vous contre ce fléau ?

D’abord, il faut nuancer, tempère Karim Ghellab. « On ne peut pas affirmer qu’il y a beaucoup d’attestations de complaisance » dit-il. Ce que nous faisons, nous nous en remettons à la réglementation générale. C’est comme un médecin, lorsqu’il émet un certificat médical de complaisance, nous faisons la chasse à ces dérives. Chaque fois qu’une information nous a été remontée, nous prenons des sanctions administratives vis-à-vis du cabinet ou de la société.

Nous avons également un système de qualification dans le BTP, il arrive souvent d’être informé de la circulation de fausses attestations. Nous sévissons immédiatement, cela peut aller d’une sanction administrative à la suspension de l’entreprise et à l’interdiction de qualification aux marchés publics.

Ce qui fait à mon sens dans le règlement des constructions, c’est la présence qui doit être obligatoire d’un bureau d’études parce qu’elle se heurterait à d’immenses contraintes ingérables. C’est une requête des professionnels de BTP que le Maroc devrait satisfaire par souci de maîtriser la qualité des bâtiments qui se construisent. Or, il faut avoir une vision globale dans ce domaine.

Réformes dans les Transports : « Il fallait le faire ! »

Les réformes sectorielles vont se poursuivre malgré la pression et l’opposition des lobbys. La discussion du code de la route au Parlement qui exige un gros travail politique, d’échanges avec des partenaires et une capacité de persuasion. Il faut également maintenir la sérénité et le calme (selon le ministre dans une allusion sans doute aux mouvements de grève qui accompagnent cette réforme).

Certaines réformes visibles dans le transport des marchandises doivent continuer. Le programme du renouvellement du parc des véhicules a commencé à Casablanca, il va falloir maintenant l’étendre et le généraliser à toutes les provinces.

Le programme de formation des conducteurs a démarré. Tout le monde en parlait avant, mais sans concrétiser. Croyez-moi, insiste Karim Ghellab, « ce n’est pas toujours évident dans les transports routiers, il faut apporter la preuve par l’action ». Lorsqu’on annonce un programme, il faut par la suite s’assurer qu’il sera réalisé. Exemple : le renouvellement du parc du transport routier. Il y a des obstacles entre le moment où l’on annonce une réforme, et mobiliser l’argent dans le budget, étudier les processus, convaincre les gens, que les constructeurs suivent, etc. Un programme de formation d’un millier de chauffeurs a été lancé, et l’offre sera bientôt doublée. Avec une centaine de lauréats, l’année 2008 était celle du prototype, 2009 sera celle de la mise en orbite.

Fier de ses « champions » nationaux

Un des objectifs du précédent contrat programme avec les professionnels était de faire émerger des « champions » nationaux. Y êtes-vous parvenu ?

Oui, mais pas encore à la dimension que l’on souhaite. Oui, nous avons des entreprises aujourd’hui capables de rivaliser avec les meilleurs dans leur domaine et qui réalisent de grosses infrastructures à l’étranger. C’est un motif de fierté que des opérateurs marocains aient émergé grâce aux mesures d’incitation gouvernementales.

A titre d’exemple, je citerai SGTM, qui a des références de premier plan dans les grands chantiers dont le nouveau terminal à conteneurs du port de Casablanca et le tunnel souterrain sur le boulevard Roudani à Casablanca ; Somagec qui a participé à la réalisation de TangerMed et qui s’exporte à l’étranger, notamment en Afrique où elle a construit des ports dont celui de Malabo en Guinée équatoriale ; TGCC, qui a construit le stade de Tanger et la Bibliothèque Nationale, Delta Holding, aujourd’hui cotée en Bourse et s’exporte au Sénégal. Dans le domaine autoroutier, Hajji et La Route du Nord par exemple.

Dans la vision gouvernementale, l’idée était de faire participer au maximum nos entreprises aux programmes d’infrastructure de manière à leur permettre d’augmenter leur expertise. Toutes celles que j’ai citées ont mis à profit ces opportunités pour grandir en renforçant leurs ressources humaines et en investissant dans l’outil de production. Maintenant, tout cela est loin d’être au niveau que l’on souhaiterait, mais aussi, loin du niveau où l’on était en 2000 avant la conclusion du contrat programme. Nous prévoyons de conclure un nouvel accord-cadre avec la FNBTP avant la fin de l’année. Mais je tiens à ce que ces accords soient fouillés, qu’ils ne prennent pas la forme d’un catalogue de bonnes intentions.

Pour la première fois, nous avons fait appel à des consultants pour nous aider à mieux définir les engagements des uns et des autres, notamment sur la formation professionnelle. Ce sujet est très important, je souhaite réellement que nous lui consacrions plus de place dans le prochain contrat-programme.

En tant que responsable politique, mon rôle est de répondre aux attentes de nos concitoyens, et la première d’entre elles, est l’emploi. Aujourd’hui, on s’est rendu compte qu’avec la démarche des grands chantiers, nous créons des milliers de postes, mais pas forcément des emplois à la hauteur du potentiel de ces chantiers. Il y aurait donc plus d’opportunités que d’emplois réels. D’où les requêtes récurrentes des entreprises sur la rareté des compétences sur le marché. Je veux cette fois-ci un plan bien intégré, en symbiose avec les entreprises sur la formation professionnelle.
L’Ofppt produit beaucoup de techniciens, mais qui ne sont pas adaptés aux besoins des entreprises. Ce n’est pas de sa faute, cela est imputable au déficit d’intermédiation entre les entreprises et l’appareil de formation professionnelle.

Gestion déléguée des aéroports : « Nous l’étudions »

La question de confier la gestion de l’exploitation des aéroports n’est pas taboue. Au contraire, elle est pertinente et nous nous la posons au gouvernement, révèle le ministre de l’Equipement et du Transport. « Nous comptons lancer une étude pour voir quelle est la meilleure approche et l’avantage d’aller vers la gestion déléguée », poursuit Karim Ghellab. Il ne s’agit pas de céder à la mode du partenariat public-privé si on ne sait pas en quoi cette formule serait pertinente et apporterait une vraie valeur ajoutée, précise le ministre.

Ce qui est certain, c’est que la situation actuelle de la gestion des flux dans les aéroports n’est pas satisfaisante. Ce n’est pas que de la responsabilité de l’Office national des aéroports (Onda), nuance Karim Ghellab. Multiforme, le métier de cet Office est de gérer le domaine public aéroportuaire, louer des espaces, entretenir les aéroports, assurer le contrôle aérien qui est une mission de l’Etat (hébergée à l’Oncf) et enfin, aider à la gestion des flux au sein des plateformes aéroportuaires. C’est cette dernière qu’il réussit le moins bien, tranche le ministre. La maîtrise de ces flux suppose une énorme coordination et une vision transverse de ce qui se passe dans les aéroports. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui.
Arriver à coordonner tous ces flux avec la cascade de contraintes inhérentes à la sûreté est complexe, et une mission très proche de prérogatives de l’Etat de par la coordination à assurer entre la police, la douane, la gendarmerie, etc. Pour le reste, les opérations d’enregistrement des passagers et de traitement des bagages sont assurées par des handlers. Si aujourd’hui, on peut privatiser un terminal dans un port, c’est parce que la réforme portuaire a été mise en œuvre avec à la clé, une autorité portuaire. « Auparavant, il n’était pas possible vendre l’Odep car il assurait aussi la capitainerie, la police portuaire », fait remarquer le ministre de l’Equipement. En général, ce sont de nouvelles plateformes qui servent d’expérience-pilote. En attendant de trancher, les responsables marocains étudient la manière dont la Tunisie a concédé un de ses aéroports.

Source : L’Economiste - Abashi Shamamba

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