La frontière entre l’Algérie et le Maroc a été exceptionnellement ouverte cette semaine pour permettre de rapatrier le corps d’un jeune migrant marocain de 28 ans, décédé par noyade en Algérie.
C’est un jour de marché, à Molenbeek, le quartier marocain de Bruxelles (80.000 habitants). On se croirait au pays. Des femmes vêtues de gandoura en croisent d’autres en jean et baskets… Elles sont toutes voilées. Les filles aux cheveux lâchés sont si rares que ce sont elles que l’on remarque. Sur les têtes couvertes, les regards glissent, indifférents.
A l’hôtel de ville, on est fier de cette communauté. Dans cet ancien quartier de fonderies et de manufactures, sur neuf échevins (les adjoints au maire Philippe Moureaux, une figure socialiste), trois sont maghrébins.
Image d’un ghetto ou d’une société multiculturelle qui, avec 900 000 immigrés (dont 260 000 Marocains) sur une population de 10 millions, s’assume sans complexes ? « Il n’y a pas de modèle belge, tempère Edouard Delruelle, directeur adjoint du Centre pour l’égalité des chances. Mais les pouvoirs publics, qui délèguent facilement, ont toujours eu une neutralité inclusive notamment vis-à-vis des religions. » Et cela se voit à chaque coin de rue.
Anas sirote un café dans un salon de thé exclusivement masculin. Des hommes discutent en arabe. Ça sent la menthe. Sans-papiers de 26 ans, Anas débarque de Hollande : « J’ai été très surpris. Ici, tout est comme au Maroc. C’est la même ambiance. » Yassine, 25 ans, est né en Belgique mais a grandi dans la région du Rif, d’où sont originaires la majorité des Marocains. Ses frères et sœurs (chimiste, coiffeuse et mécanicien) sont belges, tous mariés avec des Marocains. Yassine a commencé les démarches de naturalisation, il cherche du boulot. « Ici, les étrangers restent toujours des étrangers. Pour le travail, la sécurité, il vaut mieux être belge », pense Hamid, 35 ans. Comme nombre de Marocains (premier groupe des naturalisés), il a choisi de prendre la nationalité belge.
Plaintes
Sur les 1 600 cas traités l’an dernier par le Centre pour l’égalité des chances (créé en 1993, 100 permanents), près de 40 % concernaient le racisme. L’emploi vient en tête. Les plaintes vis-à-vis des services publics ont diminué de 5 %. « Il y a eu une politique volontariste, avec campagne de sensibilisation, formation de la police, des magistrats », explique Edouard Delruelle. A Matongé, le quartier africain de Bruxelles, on raconte encore beaucoup d’histoires de discrimination. Originaire du Congo, Henriette est belge mais elle a dû faire louer son appartement par sa fille, métisse. Elle tient un resto dans la galerie près de la porte de Namur où on peut se faire tresser les cheveux, acheter un billet en promo pour Kinshasa, ou boire et danser « entre compatriotes ».
Voile
A Molenbeek, Hamid, belge, a l’air chiffonné : « Ici, il y a un peu trop de droits pour les femmes. L’homme fait tout pour la femme. Il la ramène d’Afrique, après elle commence à l’embêter. Il doit payer une pension alimentaire. » Mehmed, un épicier de 32 ans, est marié à une Marocaine qui s’est voilée depuis qu’elle le fréquente. « Je ne comprends pas pourquoi c’est interdit en France, c’est juste une liberté de s’habiller, on doit respecter les gens. » Sa femme a laissé tomber son poste de réceptionniste dans un hôtel, pour s’occuper de leur enfant.
Dehors, sur le marché, ce sont les femmes qui s’affairent. Deux copines attendent dans une voiture. L’une, au volant, est voilée et maquillée et brandit un portable ultramoderne. L’autre, une lycéenne en tourisme, porte un bonnet de laine, façon hip-hop. « Toutes mes cousines sont voilées, mais je ne vois pas trop l’utilité, explique-t-elle. Certaines le mettent parce que c’est à la mode, d’autres par obligation. » Son amie ne lui lance aucun regard réprobateur. Chacune son choix.
Linda s’arrête à un stand de fruits et légumes. C’est une aide-soignante, née dans le Maine-et-Loire. Elle vit à Bruxelles avec son mari et sa fille. « En France, l’islam a une mauvaise image. Ma sœur et ma mère qui vivent à Saumur sont voilées depuis peu, elles ont des regards noirs à la caisse. » Ici, Linda se présente avec son hijab pour des entretiens d’embauche « et cela ne pose pas de problème ». « Il y a une vraie communauté islamique : on a même le fitness, la natation, l’aérobic. » Elle sort ses papiers de son sac, sur la photo d’identité, elle porte le foulard. « Ici, ma place est bien définie comme musulmane. »
Etincelle
« Les communautés font partie de l’histoire belge. Nous n’avons pas la même langue ni la même religion, cela amortit un peu les différences liées à l’immigration, analyse Edouard Delruelle . Mais parfois, il peut suffire d’une étincelle. »L’an dernier quand Joe Van Holsbeeck, 17 ans, a été tué à la gare centrale de Bruxelles, tout le monde a montré les Marocains du doigt et glosé sur l’échec du relativisme culturel. Le meurtrier était en fait polonais.
Libération.fr - Charlotte Rotman
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