Depuis la promulgation de la nouvelle loi « asile et immigration » en France, les expulsions sous OQTF visent désormais plusieurs catégories d’étrangers autrefois protégées par la loi.
La forteresse France ouvre un tout petit peu plus sa porte aux travailleurs étrangers. Mais attention, pas n’importe lesquels. Seuls seront admis des immigrés en nombre limité et triés sur le volet, puisque leurs compétences devront répondre très précisément aux besoins de l’économie française. « Il s’agit d’une immigration économique très maîtrisée dans les quelques secteurs en tension », insiste un collaborateur du ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, Brice Hortefeux.
Deux listes de métiers ont été élaborées par les services du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi, que Libération s’est procurées. L’une répertorie 30 professions « susceptibles d’être proposées dans certaines régions aux ressortissants des pays tiers [non membres de l’Union européenne, ndlr] ». Il s’agit plutôt de métiers qualifiés – comme informaticien ou géomètre – exigeant des diplômes du supérieur. L’autre liste, plus longue, et nationale celle-là, concerne les 152 métiers qui seraient ouverts aux ressortissants des pays nouvellement membres de l’UE. Elle couvre un large éventail de professions, certaines exigeant peu de qualification, comme laveur de vitres spécialisé, serveur en restauration ou bûcheron.
Besoins évalués. A titre d’exemple, la France a besoin d’employés de ménage à domicile, de responsables d’exploitation en assurance, de sylviculteurs, de matelots à la pêche, de soudeurs, d’agents d’encadrement de la construction mécanique, d’ingénieurs d’affaires, de conseillers en crédit bancaire. Métier par métier, région par région, les besoins sont évalués à l’unité près avec une admirable précision. L’Ile-de-France manque ainsi de 6 979 dessinateurs du BTP, de 7 465 dessinateurs projeteurs de la construction mécanique et du travail des métaux, de 761 attachés commerciaux en biens intermédiaires et matières premières ; Rhône-Alpes de 559 merchandiseurs et de 110 pilotes d’installation de production cimentière ; le Nord-Pas-de-Calais de 503 informaticiens experts ; Provence-Alpes-Côte d’Azur de 307 dessinateurs projeteur en électricité et électronique ; la Bretagne de 154 façonneurs bois et matériaux associés (production de série). Et ainsi de suite.
Langues étrangères. Du côté des patrons, ce coup de pouce donné à l’immigration de travail est plutôt bien ressenti (lire page 4). « Il nous manque 40 000 emplois », évalue André Daguin, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie. De cuisinier à serveur, les professions concernées sont très diverses. « La France accueille 75 millions de touristes, on a de plus en plus besoin de gens parlant des langues étrangères », ajoute-t-il. Les réceptionnistes originaires du sous-continent indien ou du sud-est asiatique, anglophones, seraient ainsi les bienvenus.
Du côté des syndicats de travailleurs, en revanche, c’est le tollé (lire page 4). La loi Hortefeux tout juste votée compliquant les conditions du regroupement familial, FO juge « choquant que l’on choisisse ou rejette les travailleurs migrants en fonction de leur utilité économique, et que l’on restreigne parallèlement la possibilité pour ces mêmes travailleurs de vivre en famille ». Les associations de défense des étrangers réclament, elles, que les métiers en tension soient proposés, en priorité, aux sans-papiers travaillant au noir en France. La loi Hortefeux a pris cette demande en compte, qui permet à ces étrangers de demander leur régularisation s’ils travaillent dans une « zone géographique caractérisée par des difficultés de recrutement » ou s’ils ont fait preuve de leur « capacité d’intégration par le travail ». « Ces régularisations auront un caractère tout à fait exceptionnel. Il ne s’agit évidemment pas de régulariser tous les travailleurs clandestins », insiste-t-on chez Hortefeux.
Pour le gouvernement, cet assouplissement – même très relatif – des conditions d’entrée des travailleurs est la première étape du virage de la France d’une immigration « subie » vers une immigration « choisie ». Lors de son récent déplacement au Maroc, le chef de l’Etat a répété, comme il le fait depuis son élection, que « [son] horizon est de faire passer l’immigration professionnelle de 7 % à 50 % des personnes qui s’installent durablement en France ».
Desiderata.Début juin, Hortefeux avait amorcé le processus en recevant les fédérations professionnelles pour recueillir leurs desiderata concernant l’immigration de travail. Le 23 octobre, le ministre de l’Immigration a soumis les deux listes des métiers ouverts à l’immigration aux organisations syndicales et patronales. Selon FO, ces listes pourraient légèrement évoluer d’ici à leur adoption prévue lors du prochain comité interministériel de contrôle de l’immigration, courant novembre.
Les premières de ces cartes de séjour devraient être délivrées en 2008. Etape suivante ? La fixation d’autres quotas. Le 22 septembre, Nicolas Sarkozy avait annoncé « un chiffre plafond d’étrangers que nous accueillerons sur notre territoire » avec « un quota par profession ». C’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui. Et puis, « naturellement, un quota par région du monde ». Ce qui reste à faire.
Libération - Catherine Coroller
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