Hijab : fashion victims ou militantes engagées ?

16 décembre 2008 - 12h16 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le port du voile par les Marocaines serait-il le signe d’un retour aux valeurs de l’islam, cette sahwa dont parlent les courants islamistes de par le monde ? Ou tout simplement une mode, appelée, comme toutes les autres, à refluer dans un avenir plus ou moins proche ?

Si l’on veut mettre le phénomène en perspective, il faut remonter dans le passé jusque dans les années de l’après-indépendance. Ceux qui ont vécu cette époque se souviendront certainement de cette image, transmise par la télévision marocaine. Nous sommes à la fin des années 60.

La grande diva, Oum Kaltoum, se produit dans la salle archicomble du théâtre Mohammed V. Le public est à moitié féminin. Les femmes sont habillées de façon moderne, certaines arborant des djellabas mais le visage découvert. Pas trace de hijab.

Près d’un demi-siècle plus tard, une autre image se superpose à la première : dans le même théâtre de la capitale, Sofia Essaïdi est en concert. Dans le public, nombre de jeunes femmes ont un foulard sur la tête.

Djellaba, haïk, m’lahfa…, le voile fait partie de la culture marocaine

Entre ces deux images, il y a eu un tournant, que l’on peut situer dans les années 1980. Des années qui, au Maroc comme dans les autres pays arabes et musulmans, ont vu se généraliser le port du voile, davantage dans les classes populaires et moyennes que dans les milieux aisés. La contagion n’épargne pratiquement aucun milieu : élèves et professeurs des établissements scolaires, universités, ouvrières, médecins, avocates, banquières…

Cette époque, estiment les sociologues, est en rupture avec celle de l’indépendance qui a vu les femmes jeter aux orties la tenue traditionnelle et la remplacer par une tenue occidentale.

Le voile, faut-il le rappeler, a, de tout temps, et au-delà de la conviction religieuse, toujours fait partie des habitudes vestimentaires de la femme marocaine. En ville, on portait, selon les régions, la djellaba, le haïk ou la m’lahfa, accompagnés du litham qui cachait le visage, ne laissant apparaître que les yeux.

« Cet habit traditionnel, selon le sociologue Driss Bensaïd, avait une identité sociale et culturelle marquée. Mais il n’avait d’existence que si la femme se déplaçait à l’extérieur de la maison. Or, la femme, comme on le sait, était reléguée au foyer. Elle n’en sortait que par nécessité ».

En milieu rural, poursuit le sociologue, le voile n’existait pas au Maroc. La femme travaillait à l’extérieur, dans les champs, le visage découvert (ce qui est toujours le cas). « La différence entre les deux époques, poursuit M. Bensaïd, c’est que le voile actuel est lié à l’essor de la nouvelle internationale islamiste, qui a vu le jour au lendemain de la Révolution iranienne de 1979 ».

Depuis, la société marocaine a commencé à s’islamiser sous l’influence des courants fondamentalistes prônant le retour au voile pour cacher la awra de la femme. La awra désigne les « parties honteuses du corps et ces parties que nous cachons par dignité », expliquent les oulémas.

Mais tous les courants islamistes ne donnent pas la même définition de cette awra : pour les uns (sunnites), il s’agit du visage et des mains, qu’il ne faut dévoiler qu’en cas de nécessité. Pour d’autres (hanafites), la femme peut découvrir son visage et ses mains, « aussi longtemps que cela ne provoque pas la tentation ».

Etrange conception de la femme, ironisent les pourfendeurs du hijab, qui ne voit en elle qu’un corps et un objet sexuel. Le hijab, pour eux, est le symbole de la servitude. Même l’attitude libérale des hanafites, affirme Ibn Warraq, dans son ouvrage Pourquoi je ne suis pas musulman (éd. L’Age d’Homme, Lausanne, 1999), « n’est qu’un leurre. En réalité, il suffit qu’une femme soit jolie et souriante pour que les oulémas réimposent de façon stricte le voile. Il est même conseillé aux femmes âgées de le porter ».

En revanche, ceux qui souhaitent que les femmes aillent à visage découvert s’appuient sur cette tradition, rapportée par Aïcha, une des épouses du prophètes : Asmae, la fille d’Abubakr (et sœur de Aïcha), se tenait un jour tête nue, devant le Prophète. Celui-ci lui dit alors : « Asmae, une fille pubère ne devrait montrer que cela », et il désigna son visage et ses mains.

Pour en revenir au Maroc, une chose est sûre : le port du voile n’est pas forcément dicté par les seules convictions religieuses. Du reste, des centaines de milliers de Marocaines sont musulmanes pratiquantes, et ne peuvent donc à ce titre être taxées d’impiété, tout en refusant de se voiler.

Interrogées sur la question, certaines étudiantes de l’université Hassan II déclarent qu’elles portent le voile uniquement pour faire plaisir à leurs parents, d’autres pour pouvoir étudier à l’université. Pour Nawal, « le port du voile n’a jamais été un choix personnel. Mais je n’aurais jamais pu accéder à l’université si je n’avais pas accepté de le porter, car mon père et mes frères en avaient fait une condition ». Le paradoxe est que Nawal ne fait pas la prière et que ses parents ne lui en font pas le reproche. « Après deux ans, poursuit-elle, j’ai découvert que, finalement, le voile, loin de me poser des problèmes, m’arrangeait plutôt. Ma famille me laisse en paix et n’intervient pas dans mes affaires personnelles ».

Un choix vestimentaire parmi d’autres, qui ne s’accompagne pas forcément d’une bonne connaissance de la religion

Obligatoire, le port du voile en Islam ? Nawal est incapable de répondre, elle ne veut pas entrer dans ces considérations parce qu’elle ne connaît pas les versets religieux et les hadiths qui évoquent le hijab. Bien entendu, comme des milliers d’étudiantes, elle ne porte pas le voile pur et dur, celui qui recouvre tout le corps de la tête aux pieds, mais seulement le voile dit « moderne », qui cache les cheveux. Pour le reste du corps, elle s’habille à l’occidentale…

Ce voile moderne est très répandu au Maroc et dans le reste du Maghreb, où le voile à l’afghane, qui couvre la femme de la tête aux pieds, reste exceptionnel. Taxé de motabarrij (immoral), il fait fulminer les islamistes irréductibles, pour qui il ne sert à rien de cacher ses cheveux tout en exhibant ses formes dans des pantalons serrés.

Sur la signification que revêt au Maroc le port du voile, les avis sont partagés. Pour ce professeur d’un collège du centre-ville de Casablanca, sur les 40 élèves de sa classe, une bonne quinzaine est voilée. Il s’agit d’adolescentes de 14 à 16 ans. « Quand, lors d’un débat en classe, je leur demande pourquoi elles portent le voile, la plupart répondent que le choix est d’abord familial et non personnel, et que c’est une façon d’être marocaine, musulmane, respectée par les autres ».

Deux enquêtes réalisées en 2006, et dont les résultats ont été rendus publics en décembre 2007, sont venues apporter un éclairage. La première, intitulée « L’islam au quotidien », a été menée par trois chercheurs, Mohamed Ayadi, Mohamed Tozy et Hassan Rachik.

L’enquête, qui a porté sur un millier de personnes, révèle que la religion, exception faite du mois de Ramadan, est bien en régression dans la vie sociale des Marocains. En même temps, une proportion significative de l’échantillon (17,6%) est favorable au mouvement du djihad. En conclusion, l’enquête montre que la religiosité, bien qu’encore présente dans son expression politique, est loin d’être une préoccupation majeure dans la pratique sociale quotidienne des Marocains.

L’autre enquête intitulée « les Jeunes et le voile », dirigée par le sociologue Driss Bensaïd, et directement liée au voile, a été menée par l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), en partenariat avec le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme.

L’étude relève que le port du hijab a connu une nette évolution entre deux périodes : alors que, dans les années 1980, il relevait du registre religieux et militant, dans les années 2000, il a commencé à s’inscrire au registre du profane pour devenir, en fin de compte, un choix vestimentaire parmi d’autres. Cette enquête, qui a porté sur des élèves des lycées, des étudiantes de l’université, des ouvrières…, montre également que les jeunes filles voilées n’ont que « des connaissances fragmentaires et déformées des versets coraniques et des hadiths relatifs au voile ».

Quoi qu’il en soit, le voile n’exclut pas de s’habiller moderne, et, pour nombre de jeunes Marocaines, il ne relève pas d’un choix réfléchi, idéologique, mais plutôt du simple mimétisme. C’est le cas de cette jeune diplômée d’une grande école de commerce, banquière aujourd’hui, qui associe son hijab à des vêtements plutôt « sexy ».

Le voile est-il appelé à disparaître ? « Difficile de se prononcer avec certitude, répond M. Bensaïd. Ce que je peux affirmer, c’est que le mouvement islamiste qui le porte connaît un certain essoufflement. Le port du voile, actuellement, représente davantage une tendance de la mode ». L’historien Mustapha Bouaziz n’est pas du même avis. Selon lui, « le voile n’est ni passager ni définitif. A mon avis, le conservatisme de la société marocaine est réel. Le voile a encore de belles années devant lui. Et tout dépend du mouvement démocratique et progressiste, qui a baissé les bras, laissant l’islamisme gagner du terrain ».

Dans tous les cas, face à cette déferlante du hijab-mode, le Mouvement Unicité et Réforme (MUR) a décidé, au mois de novembre dernier, de mener une campagne pour inciter les femmes à porter le voile qui correspond aux normes religieuses de l’islam. « Un hijab charîi » [selon la loi islamique], martèle le président du MUR, Mohamed Hamdaoui. Soit une tenue satra, qui cache le corps de la femme. Les Marocains n’acceptent ni socialement ni d’un point de vue religieux que les Marocaines se promènent à moitié nues.

Source : La vie éco - Jaouad Mdidech

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