Après avoir changé sa position sur la question du Sahara, la France a adopté la carte complète du Maroc et de ses provinces du Sud. C’est du moins ce que semble montrer la télévision française.
"Il est toujours préférable que les politiques ne soient pas excessivement rétribués pour qu’ils continuent de servir l’État et les citoyens consciencieusement". Max Weber parle là de politiques allemands, ayant de par leur culture protestante, un certain sens de l’éthique, mais pouvant être enclins par la force du capitalisme à plus d’avidité
Au Maroc, que le rapport à l’argent en politique est encore tabou. Il n’est même pas apprécié en fonction du rendement et de l’efficacité de l’élu, du ministre ou du commis d’État, mais eu égard au rapport de forces et au degré d’allégeance qui peut en découler. Tout cela pourrait laisser croire que Weber est hors sujet. Il ne l’est plus depuis que les 43 millions de dirhams alloués pour mieux satisfaire nos parlementaires ont donné lieu à une pétition spontanée de citoyens scandalisés : "36 000 DH par mois à des députés constamment absents de l’hémicycle : ils ont été 125 sur 345 à voter pour la loi de finances ce lundi 17 novembre 2003 : belle récompense !".
Face à la politique du Makhzen qui veut donner 6000 DH d’une main pour retirer le droit à la débandade et à la transhumance de l’autre, s’oppose aujourd’hui une logique citoyenne qui réfléchit en termes de redistribution des richesses. Le rapport à Weber n’est plus lointain, parce que c’est exactement le même sens de la pudeur et de la rationalité qui a fait bondir d’autres citoyens -non pétitionnaires ceux là- à la lecture d’une information parue dans L’Opinion, laissant entendre que 40 BMW série 7 et une cinquantaine de Peugeot 607 allaient être achetées pour les ministres et secrétaires d’État. Le communiqué du Premier ministre venu démentir une telle prodigalité de la part de l’État prouve au moins qu’il y a une polémique, que l’on y repenserait à deux fois si c’était prévu, et que le Maroc ne peut plus se permettre, impunément, de jouer à l’État dépensier.
Certes, le prestige des hommes d’État n’a pas de prix, encore plus dans une monarchie, mais aujourd’hui, le Maroc a surtout un devoir de développement pressant. Et en échelonnant les priorités, la société demande aujourd’hui indirectement un droit de regard sur le rapport fric-pouvoir.
Voilà qui permettrait de rouvrir des dossiers qui fâchent. Celui des gros salaires et gros avantages pour privilégiés, combien crucial. L’alternance l’a à peine effleuré puis définitivement abandonné. Fathallah Oualalou avait, à ses débuts de ministre, fait savoir qu’il n’était pas question d’y toucher pour la simple raison qu’il fallait que "l’État propose autant sinon mieux que les grosses boîtes privées dans le but de drainer des compétences". Niaiserie. Cela laisserait entendre que l’État marocain paie l’efficacité. Faux, le makhzen économique, puisque c’est bien des postes-clé des rentiers du régime qu’il s’agit, paie gros pour fidéliser les bons serviteurs. La solution serait-elle de proposer à un DG de banque moins des 700.000 DH qu’il perçoit ? Non. La solution serait que l’État abandonne sa mainmise sur des secteurs aussi rentables et les laisse tourner au rythme du marché. En dégraissant le mammouth, l’État pourrait se recentrer sur un rôle de régulation, de réglementation et de service public. D’un côté, il n’aurait pas à rétribuer de très gros salaires, mais intéresserait pour des postes stratégiques. D’un autre côté, il permettrait la création d’une plus-value au profit de la société. Enfin, cela lui donnerait plus de ressources pour œuvrer de manière plus organisée dans des domaines sociaux et économiques cruciaux pour le développement (l’école, la santé, le transport public…).
Évidemment que la prolifération des ONG est un levier fondamental dans ces secteurs, mais ne peut être un substitut. Et pour compter davantage sur des structures parallèles, l’État a encore un autre chantier à explorer. Au-delà du rôle législatif classique, c’est un rôle d’encadrement, d’orientation et de contrôle qui lui sied. Mais il lui faut suffisamment de crédibilité pour le faire. Cela voudrait dire plus de rigueur et un souci de contrôle systématique par rapport à toute forme d’usage de biens publics à des fins personnelles vis à vis de ses hauts fonctionnaires, en premier. En continuant d’être laxiste sur ce volet crucial, l’État reste vieux jeu, lèse la société, crée un gros fossé entre le responsable trop bien payé et son second, à peine récompensé. Il biaise, de la sorte, les chances de délégation de pouvoir et isole socialement et financièrement les grands responsables des autres. Il faut le savoir, la démocratie commence par l’argent. Pas question de faire de l’égalitarisme dans ce domaine, mais il est impérieux d’introduire une part d’éthique pour faire comprendre que la rétribution dans les postes–clés de l’État doit par définition être décente. Pour que le fait de servir l’intérêt général devienne un mérite et cesse d’être un privilège.
TelQuel
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