L’Espagne veut faire baisser le nombre de Marocains sur son sol

16 juin 2008 - 22h59 - Espagne - Ecrit par : L.A

En février 2008, une note des services d’intelligence espagnols incitait le gouvernement à faire baisser le nombre de Marocains résidant dans ce pays et à renforcer la présence de la communauté roumaine. Détails.

Le projet espagnol de procéder au rapatriement de Marocains résidant en Espagne et qui se trouvent en situation de chômage est une affaire sérieuse qui nécessite une bonne analyse de la part du gouvernement marocain avant de se prononcer sur la question. Que plus d’une centaine de milliers de citoyens (certaines estimations espagnoles vont jusqu’à 200.000) résidant dans la péninsule ibérique se trouvent du jour au lendemain plus ou moins dans l’obligation de quitter l’Espagne pour retourner chez eux est une grosse affaire qui, malgré les tentatives de banalisation de la part du gouvernement espagnol, posera un grand problème pour le Maroc. En fait, ce sont plus d’une centaine de milliers de nouveaux chercheurs d’emploi qui débarqueront sur le marché national.

Aussi, se prononcer pour ou contre le principe de cette opération lancée par le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero n’est pas une chose à prendre à la légère. Pourtant, à deux reprises, le ministre espagnol de l’Emploi et de l’immigration, Celestino Corbacho, a déclaré que son homologue marocain, Jamal Rhmani, aurait trouvé « très bien » la proposition de Madrid de rapatrier les chômeurs marocains résidant dans ce pays.

La première fois ce fut au lendemain de la VIe Conférence ministérielle sur l’immigration dans la Méditerranée occidentale tenue à Evora au Portugal le 27 mai dernier. « Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, Celestino Corbacho, a indiqué, aujourd’hui, que son homologue marocain, Jamal Rhmani, a « très bien » accueilli le programme du gouvernement (espagnol, NDLR) d’incitation au retour des émigrés à leur pays d’origine », rapportait l’agence Europa Press. Mais cette information avait été démentie, quelques jours plus tard, par le ministre marocain. Des explications lui seront demandées suite à cette précipitation à saluer une initiative de cette dimension en l’absence d’une décision débattue au sein du Conseil de gouvernement et sans attendre les analyses et prises de positions d’organismes en charge du dossier de l’immigration. « Le ministre de l’Emploi marocain, Jamal Rhmani, n’a pas officiellement abordé avec son homologue espagnol le projet dit du retour porté par le gouvernement Zapatero, et qui ambitionne d’obtenir le retour définitif dans leur pays d’origine de 200 000 travailleurs marocains en Espagne », lira-t-on dans un communiqué rendu public le 1er juin.

Mais le ministre espagnol reviendra à la charge, le 10 juin, et s’adressera au même ministre sur la même question et recevra de la part du ministre le même accueil favorable. Ce fut en marge de l’assemblée générale de l’Organisation mondiale du travail tenue à Genève. M. Corbacho saisira l’occasion pour rappeler à la presse qu’il y a bien eu une première rencontre et que le sujet a bel et bien été abordé avec le ministre marocain à Evora au Portugal. « Nous avons déjà parlé de cela à Evora, fin mai, et cette fois a été la deuxième conversation sur le sujet », a rappelé le ministre espagnol dans une déclaration à la presse rapportée par l’agence EFE.

Mais, au-delà de cet aspect de la question, il est impératif que ce dossier soit examiné d’une manière plus « sérieuse » par le gouvernement. On ne peut d’ailleurs que s’interroger sur le mutisme du ministère chargé des MRE qui semble n’accorder aucun intérêt à cette affaire. Accepter une telle démarche suppose plusieurs risques qu’il faut prendre en considération.

D’abord l’aspect humain. Comment peut-on accepter qu’un Etat puisse décider de renvoyer chez eux des gens qui, après avoir travaillé durant de longues années, se sont retrouvés au chômage. Après avoir participé, amplement, au développement économique et à la dynamisation des secteurs de l’agriculture et du bâtiment, ils seraient devenus « caducs ». Comme des produits périmés. Maintenant qu’il y a une régression dans l’économie espagnole, on demande au gouvernement marocain d’accepter leur retour. Or, il y a erreur dans l’approche. Car, on ne peut demander à un pays d’accepter d’accueillir chez lui ses citoyens. Ils sont libres de leur mouvement et ils sont, évidemment, les bienvenus dans leur patrie. Mais, défendre leurs droits est une obligation pour leur gouvernement. Il faut signaler que, selon des estimations basées sur les premières informations révélées sur le programme, les « bénéficiares » recevront l’équivalent de près de 50.000 DH et la promesse d’un soutien pour l’obtention d’un micro-crédit.

Ensuite, il y a l’aspect politique et sécuritaire de l’affaire. Le programme a été mis en marche suite à une note élaborée par le service d’intelligence espagnole (CNI) sonnant l’alarme sur ce qu’il considère comme « le risque de l’islamisation de la communauté étrangère en Espagne ». Cette note, transmise au gouvernement Zapatero en février 2008 – avant les élections législatives -, signalait que les Marocains continuent à être la première communauté étrangère avec 648.735 personnes, mais que la communauté roumaine était sur le point d’atteindre le même chiffre avec 603.889. Après avoir signalé plusieurs aspects religieux, sécuritaires et politiques, la note suggérait de réduire le nombre de Marocains notamment en procédant à une campagne de chasse à l’émigré clandestin et de favoriser l’importation de la main-d’œuvre roumaine – de confession chrétienne – pour la faire passer en première position. Craignant les répercussions politiques, tant sur le niveau interne qu’externe, d’une campagne de rapatriement, le cabinet Zapatero a préféré opter pour faire passer les choses sous forme d’initiative pour le rapatriement « volontaire ».

Une stratégie qui sert les intérêts espagnols aux dépens des droits de plusieurs milliers de citoyens marocains qui payeront le prix d’une tactique politique socialiste visant à se rapprocher de quelques idées de la droite.

Source : L’Economiste - Omar Dahbi

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