L’affaire Rachid M’Barki du nom de l’ex-présentateur franco-marocain du journal de la nuit de BFMTV, mis en examen pour « corruption passive » et « abus de confiance » n’a pas fini de livrer tous ses secrets.
A 36 ans, Younes El-Aynaoui jette ses derniers feux au crépuscule d’une carrière de joueur de tennis qui l’a vu disputer à quatre reprises les quarts de finale dans un tournoi du Grand Chelem et atteindre la 14e place mondiale en 2003. A cet âge, le Marocain ne nourrit plus d’ambitions particulières et souhaite terminer dans le plaisir une aventure professionnelle rendue frustrante ces dernières saisons par de trop nombreuses blessures. Son classement actuel - 174e - ne lui permet plus de jouer les plus grandes épreuves, mais en dépit de sa notoriété et d’un passé relativement glorieux, il ne répugne pas à fréquenter des tournois de moindre importance, appelés Challengers, et considérés comme l’antichambre du circuit principal.
C’est lors de l’un de ces Challengers que, récemment, lui est arrivé la drôle de mésaventure qu’il raconte de la manière suivante : « C’était il y a cinq ou six mois en Europe. Mon téléphone portable sonne. A l’autre bout du fil, quelqu’un qui me dit être l’agent tchèque du joueur que je dois affronter au premier tour du tournoi auquel je participe. Et que me propose-t-il ? De me « coucher », de laisser gagner mon adversaire qui, soi-disant parce qu’il est jeune, a besoin de gagner des points pour progresser au classement. J’étais estomaqué. »
Younes El-Aynaoui a naturellement refusé le « marché » qui lui était proposé. L’offre était pourtant séduisante. « 25 000 euros, hésite-t-il à dire. Soit le montant de la dotation globale de ce tournoi et quatre ou cinq fois plus que ce que j’aurais empoché si j’avais remporté le tournoi. Moi, j’ai dit non, mais comment ne pas être tenté si on est juste financièrement, ce qui est souvent le cas de ces joueurs qui évoluent sur ce circuit secondaire. »
El-Aynaoui a vite compris que celui qui avait tenté de le corrompre avait d’autres soucis en tête que la courbe du classement ATP de son jeune protégé. Quelques questions posées autour de lui lors de ce tournoi qu’il refuse de localiser lui offrirent des réponses auxquelles il ne s’attendait pas. « On m’a affirmé que c’était courant dans le milieu, indique-t-il. Et qu’il s’agissait là de la tentative pour truquer un match dans le cadre des paris sur Internet. J’en avais entendu parler, mais naïvement, je n’y croyais pas. Le pire, c’est qu’on me disait ça tranquillement, comme si c’était une chose normale, habituelle. »
Normales, habituelles, ces tentatives de corruption sur le circuit professionnel du tennis ? Il faut le croire si l’on écoute les témoignages, chaque jour plus nombreux, des joueurs qui reconnaissent avoir été sollicités par des corrupteurs afin d’accepter de perdre un match contre espèces sonnantes et trébuchantes.
Lundi 29 octobre, après sa défaite au premier tour du tournoi de Paris-Bercy, ce fut au tour d’Arnaud Clément d’admettre qu’il avait été également approché. « Oui, je confirme qu’on m’a déjà demandé de perdre un match », a-t-il affirmé en refusant d’être plus précis.
Quelques semaines plus tôt, Michaël Llodra, son partenaire de double, avait fait le même aveu, comme le Russe Dimitry Tursunov, l’Américain Paul Goldstein ou le Belge Gilles Elseneer.
Ces affaires, qui mobilisent désormais à plein temps les organisations internationales du tennis, éclairent d’une lumière crue un phénomène méconnu de beaucoup, au moins de ceux qui suivent de loin les retransmissions sportives : celui des paris sur Internet à l’origine de cette gangrène des temps nouveaux. Ces sites de paris en ligne, où il est possible de miser de l’argent sur n’importe quel événement sportif, s’appellent, entre autres, Betfair, Sportingbet, Bwin ou Unibet, et parviennent notamment à contourner la loi française qui garantit, en principe, le monopole des jeux d’argent à la Française des jeux et au PMU.
A l’heure d’Internet, toutes les règles nationales ont volé en éclats. Chacun, devant son ordinateur, a la liberté de jouer comme il l’entend, en toute tranquillité.
Sur cette toile géante du Net, le tennis, sport individuel mondial par excellence en raison de l’organisation, chaque semaine, de tournois professionnels, petits ou grands, sur tous les continents, se retrouve pris au piège. Car s’il paraît difficile de soudoyer toute une équipe de football, il est, en revanche, plus facile de tenter un joueur de tennis isolé. Chaque jour, des sommes colossales, dont l’origine est souvent impossible à déterminer, transitent ainsi par le biais de ces sites de paris en ligne qui ne répertorient donc pas seulement les tournois du circuit principal, mais acceptent également les paris pour des épreuves moins prestigieuses, comme celle disputée par Younes El-Aynaoui il y a quelques mois. En résumé, la situation est devenue incontrôlable aux quatre coins du globe, et le problème aussi grave, et insoluble pour le moment, que le dopage.
Pour l’heure, en attendant de démasquer les premiers coupables, règne le soupçon. Et dans le cœur de la cible se retrouve le Russe Nikolaï Davydenko, qui se défend contre les rumeurs depuis le tournoi de Sopot, en Pologne. La polémique remonte à son match du 2 août contre l’Argentin Martin Vassallo-Arguello. Ce jour-là, Betfair, l’une des sociétés de paris en ligne, fut alertée par des mises d’un montant inhabituel (7 millions de dollars, dix fois plus que d’ordinaire) sur la victoire de Vassallo-Arguello, loin d’être favori. En abandonnant au début du 3e set en raison d’une blessure au pied, Davydenko s’est retrouvé aussitôt entraîné dans une tempête médiatique qui l’a emporté à nouveau la semaine dernière, lors du tournoi de Saint-Pétersbourg, en Russie, où il s’est vu sanctionner, par l’arbitre, pour « manque de combativité » lors du troisième set de son match perdu contre le Croate Marin Cilic.
Avec effroi, le circuit professionnel découvre, semaine après semaine, la profondeur d’un mal qui l’afflige peut-être depuis plus longtemps. « Je me souviens de Wimbledon il y a une douzaine d’années, quand Internet n’existait pas et qu’il s’agissait d’aller jouer chez les bookmakers du coin, se rappelle Younes El-Aynaoui. Il y avait déjà des gens qui venaient me voir à l’entraînement et qui me disaient : n’oublie pas de me dire si tu as mal quelque part, il y aura 5 000 dollars pour toi. »
Le Monde - Yannick Cochennec
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