L’affaire Rachid M’Barki du nom de l’ex-présentateur franco-marocain du journal de la nuit de BFMTV, mis en examen pour « corruption passive » et « abus de confiance » n’a pas fini de livrer tous ses secrets.
D’après une enquête internationale, le Maroc s’enfonce davantage dans la corruption. Azeddine Akesbi, membre du bureau de Transparency Maroc, explique pourquoi.
Comment se classe le Maroc en matière de corruption ?
Le Maroc est mal classé et sa position se détériore d’une année à l’autre. En 1999, l’indice de perception de la corruption (IPC) était de 4,2 sur une échelle de 10. En 2006, cette note est passée à 3,2.
A titre de comparaison, les IPC du Danemark et de la Finlande tournent autour de 9/10, soit quasiment le plus haut niveau de transparence. Il faut savoir qu’au Maroc comme ailleurs, toutes ces enquêtes relatives à l’IPC sont réalisées par des agences internationales indépendantes qui travaillent elles-mêmes étroitement avec des panels d’experts (universitaires, investisseurs, ONG, etc) connaissant parfaitement la situation du pays.
Tout aussi inquiétant, d’après la dernière enquête sur le baromètre mondial de la corruption (BMC) à laquelle Transparency Maroc a été associée, 60% des ménages marocains affirment avoir été amenés à recourir à la corruption au cours de l’année de l’enquête. Et, sur les treize secteurs auxquels lesdits ménages devaient attribuer une note de 0 à 5 pour mesurer leur niveau d’atteinte par ce phénomène, certains ont récolté un 4/5, comme la Justice, la Santé, la Police (agents de la circulation) ou encore les services de délivrance des autorisations diverses.
Qu’en est-il de notre position par rapport aux autres pays arabes ?
Azeddine Akesbi : Si l’on se tient à la dernière enquête précitée sur l’IPC et qui a concerné en tout 16 pays arabes, le Maroc se situe pour ainsi dire au milieu, en avance par rapport à l’Algérie, à l’Irak et au Liban, mais derrière le Koweït et le Qatar ou encore la Tunisie. Ceci dit, concernant ce dernier pays, on n’y a pas encore réalisé de BMC pour savoir ce qu’il en est au niveau de la perception des ménages comme cela a été fait au Maroc.
De plus, dans notre pays, la corruption est généralisée, elle n’épargne aucun secteur et atteint toutes les sphères du pouvoir. Car ce n’est pas seulement une question de bas revenu, même des hauts fonctionnaires et des personnes largement rémunérées perçoivent des dessous de table.
Est-ce à dire qu’au Maroc, il y a le bakchich comme le gras pot-de-vin, la petite comme la grande corruption ?
Dans le langage usuel, on parle de petite corruption en référence aux petites sommes d’argent (20, 50 ou 200 dirhams) que l’on distribue ici et là pour soudoyer quelqu’un.
Mais, à nos yeux, il n’existe pas de petite corruption, dans le sens où ces montants “dérisoires” peuvent entraîner des conséquences très graves, voire fatales, car ils permettent tout simplement d’échapper à la loi. C’est ce qu’on a vu avec l’effondrement de l’immeuble à Kénitra, l’incendie de Lissassfa, les accidents de la route meurtriers que vit chaque jour le Maroc ou encore les affaires de détournements de deniers publics dont la presse se fait régulièrement l’écho.
Comment expliquez-vous l’ampleur de la corruption au Maroc ? Est-ce lié à un facteur culturel ?
Absolument pas. Pourquoi les Marocains seraient-ils plus enclins à soudoyer ? Nous sommes une société comme une autre.
Si la corruption gangrène autant notre pays, c’est simplement lié à l’absence d’instances de contrôle, de sanctions fermes et à la non-application de la loi. C’est, en somme, un problème de gouvernance. Plusieurs cas de pots-de-vin avérés, révélés par la presse ces derniers mois, sont restés sans suite.
Si la justice était indépendante, elle mènerait ses investigations jusqu’au bout et en informerait l’opinion publique pour montrer qu’il n’y a pas d’impunité, pour les corrompus comme pour les corrupteurs. Malheureusement, nombre de rapports restent dans les tiroirs.
En près de douze ans d’existence, où en est concrètement Transparency Maroc dans sa lutte contre la corruption ?
Transparency Maroc fait partie de la société civile. Et, à ce titre, notre rôle est avant tout de sensibiliser et d’alerter l’opinion publique. C’est ce que nous faisons constamment avec la réalisation d’études sur la question et la publication de leurs résultats. Mais tous nos efforts demeurent insuffisants tant que le gouvernement ne nous donne pas les moyens d’agir. Transparency Maroc existe en effet depuis 1996. Il a fallu 8 ans pour que notre existence soit officiellement reconnue et cela fait deux ans que nous avons requis l’Utilité publique, sans que les autorités concernées ne daignent nous répondre. Peut-être que la volonté politique est insuffisante.
Que voulez-vous dire par là ?
On sent certes une ouverture au niveau du discours, mais pas encore d’engagement clair et déterminé de la part des pouvoirs publics à lutter contre ce fléau. Il est en effet pour le moins étonnant que l’Instance centrale de Prévention de la Corruption, adoptée par le gouvernement en avril 2007 conformément à la ratification par le Maroc de la convention de l’ONU sur la question, n’ait toujours pas été installée ni reçue officiellement. Qu’attend-on ?
Le plus grave, c’est que la corruption se banalise d’une année à l’autre aux yeux de l’opinion publique marocaine. Le jour où les pouvoirs publics s’attèleront véritablement à la tâche, il leur faudra un travail monumental pour renverser cette tendance.
Source : Maroc Hebdo - Mouna Izddine
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