Malheureusement, les récits des entrepreneurs d’Afrique du Nord se ressemblent beaucoup. Pendant la pause café, les langues se sont déliées. « Je n’ai pas eu le choix de corrompre un inspecteur. Autrement, ma marchandise serait restée coincée au port pendant des jours et mon usine serait tombée en arrêt de montage », confie l’un deux. « Nous sommes confrontés à la corruption chaque jour. Et souvent cela coûte beaucoup plus cher de lutter que de céder… C’est horrible de devoir le dire mais c’est la vérité : nous n’avons pas toujours les moyens d’être transparents », déplore un autre.
En effet, le défi de sensibilisation auprès des businessmen est énorme. « Ils sont axés sur les résultats. Le meilleur moyen de les convaincre est de parler le langage de la compétitivité, et non celui de la morale », explique Abdesselam Aboudrar, président de la Commission de lutte contre la corruption à la CGEM, et de la Commission nationale gouvernance d’entreprise. « Les entreprises ont aujourd’hui de nouvelles responsabilités : sociales, environnementales, etc. Le contexte de globalisation les oblige à répondre à des critères beaucoup plus stricts, et les TI facilitent beaucoup la circulation de l’information », précise Aboudrar. Au Maroc, avec un tissu économique constitué à 98% de PME, la situation est jugée particulière. « Un très bon nombre d’entre elles sont des entreprises familiales. Et bien souvent, la distinction entre les fonds de la personne morale et ceux de la famille ne se fait pas », poursuit le président. Les interventions de sensibilisation doivent donc cibler aussi bien la gestion interne que les relations de la société avec ses clients, ses fournisseurs, etc.
La journée de réflexion tombait d’ailleurs à point, alors que le très attendu Code marocain de bonnes pratiques de gouvernance d’entreprise devrait être mis en consultation dès la semaine prochaine, et mis en place avant la fin de l’année. Ce code de conduite s’adressera aussi bien aux PME qu’aux institutions de crédit, sociétés publiques et mixtes. « Ce ne sera pas une loi au sens propre du terme, mais plutôt un référentiel », soutient Aboudrar. « Il fonctionnera selon le principe comply or explain, c’est-à-dire que ceux qui ne s’y conformeront pas seront dans l’obligation d’expliquer pourquoi ».
Le Maroc, beau parleur ?
Le Maroc est signataire de la convention de l’ONU pour la lutte contre la corruption, mais il ne cesse de dégringoler dans le classement annuel de l’Indice de perception de la corruption de Transparency International (TI). Il occupait le 52e rang en 2002, contre le 72e cette année.Selon les entrepreneurs marocains interrogés par TI, les cinq « secteurs » les plus corrompus sont : les agents de circulation (99%), les moqaddems (97%), les employés du ministère des Transports (96%), les douaniers (95%) et les fonctionnaires de l’administration locale et municipale (92%).
L’Economiste - Marie-Hélène Giguère